L’Encyclopédie/1re édition/HÉMORRHOIDES

Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 128-129).

HÉMORRHOIDES, sub. fém. pl. terme de Chirurgie. Ces gonflemens variqueux viennent de la stagnation du sang, par sa lenteur à retourner par la veine hémorrhoïdale dans les branches méséraïques, ou celles de la veine-porte. Les veines hémorrhoïdales sont plus sujettes à ces dilatations contre nature, que toutes les veines du corps, parce qu’il n’y a aucun muscle qui par son action procure ou facilite le retour du sang ; au contraire le séjour des excrémens dans le rectum, & les efforts du diaphragme & des muscles du bas-ventre pour l’expulsion des matieres stercorales, contribuent à la production des hémorrhoïdes, parce qu’ils poussent le sang vers l’anus, & le font séjourner dans les veines hémorrhoïdales qui sont forcées de s’étendre & de produire ainsi cette fâcheuse maladie.

Les différences des hémorrhoïdes sont assez sensibles ; les auteurs les ont nommées uvales, verrucales, véticales, par rapport aux différentes figures qu’elles représentent. De quelque figure & de quelque grosseur qu’elles soient, on les distingue des autres excroissances qui sont situées aux environs de l’anus, en ce que celles-ci confinent moins le bord de l’anus ; que la peau seule y est affectée sans noirceur ni gonflement d’aucune veine, comme dans les hémorrhoïdes.

Les hémorrhoïdes sont sujettes à s’enflammer, elles suppurent quelquefois & causent des fistules. Voyez Fistules à l’anus. Dans des sujets mal constitués, les hémorrhoïdes dégenerent quelquefois en ulceres chancreux. Voyez Cancer.

La guérison des hémorrhoïdes a été regardée comme impossible par plusieurs auteurs ; elle est au moins très-difficile. On peut les traiter palliativement, ou tenter la guérison radicale ; pour la cure des hémorrhoïdes fluentes, voyez Flux hémorrhoidal.

La cure palliative des gonflemens hémorrhoïdaux s’obtient par les saignées, par un régime humectant & rafraîchissant. On applique extérieurement des pommades ou onguens anodins, tels que le populeum, l’onguent de linaire, de l’huile d’œufs agité dans un mortier de plomb, &c. Il n’y a point d’auteur qui ne rapporte une quantité de formules extérieures qui peuvent convenir dans ce cas. Lorsque les douleurs sont violentes, on peut appliquer sur la partie un cataplasme anodin, ou des compresses trempées dans une décoction de plantes émollientes : le demi bain avec cette décoction, ou le lait, ou un bouillon fait avec les tripes de mouton, est fort bon, de même que la vapeur de ces fomentations reçûe sur une chaise de commodité. Après les anodins on passe quelquefois, dans le cas d’extrèmes douleurs, à l’application des stupéfians ou narcotiques.

Les purgatifs augmentent la douleur que causent les hémorrhoïdes ; il faut être circonspect sur leur administration ; la décoction de casse ou sa pulpe, sont ceux qui ont le moins d’inconvéniens. Si malgré l’usage des remedes les mieux indiqués, on ne parvient point à calmer les douleurs, on se détermine à vuider ces tumeurs ou par l’application d’une sangsue, voyez Sangsue, ou par l’ouverture, au moyen d’une ponction avec la lancette.

Le malade se sent soulagé immédiatement après que les hémorrhoïdes ont été desemplies, parce qu’alors la tension cesse ; mais il reste assez souvent un écoulement continuel par ces ouvertures qui devient très-incommode, & qu’il est souvent très dangereux de supprimer.

La cure radicale consiste à emporter totalement les sacs hémorrhoïdaux ; pour pratiquer cette opération, on prépare le malade par les remedes généraux comme pour l’opération de la fistule à l’anus. Lorsque le malade a pris sa résolution, & que l’heure de l’opération est fixée, pour y procéder on fait mettre le malade couché sur le bord de son lit, le ventre en-dessous & les piés par terre : deux aides écartent les fesses tournées du côté du jour. Le chirurgien saisit alors chaque poche variqueuse avec des pincettes qu’il tient de la main gauche ; il l’emporte entierement avec des ciseaux, & observe d’en laisser une des plus petites pour conserver une issue libre au sang, & procurer par-là le flux hémorrhoïdal. L’appareil consiste à mettre de la charpie brute soutenue par des compresses & par un bandage en T, comme pour l’opération de la fistule à l’anus. Voyez Fistule à l’anus. On est souvent obligé d’en venir à cette opération, lorsque les hémorrhoïdes ne peuvent rentrer, & qu’elles commencent à noircir ; car elles tombent alors bien-tôt en gangrene, ainsi qu’un bourlet formé par la membrane interne du rectum, que le moindre effort fait sortir, & qui se gonfle, s’enflamme & se gangrene fort promptement par l’étranglement que la marge de l’anus cause au-dessus.

Les pansemens doivent être fort simples ; on applique des plumaceaux couverts de digestifs ; on emploie ensuite des lotions détersives, & ensuite des dessicatives. Il est bon que pendant le traitement & même après la guérison, le malade se tienne à un régime sage, & prenne des lavemens, de crainte que des excrémens durs ne nuisent par leur passage, & ne fatiguent une cicatrice tendre & mal affermie.

M. Suret, maître en Chirurgie à Paris, a inventé un bandage qui remédie à la chûte de l’anus, qui contient les hémorrhoïdes extérieures, & dont l’usage affermit les hémorrhoïdes internes, & les empêche de se présenter lorsque les malades vont à la selle. Ce bandage, dont l’auteur donnera la description qui sera inserée dans la suite des volumes de l’académie royale de Chirurgie, est d’une construction trop ingénieuse, & d’une utilité trop marquée, pour me dispenser d’en dire quelque chose : il a d’ailleurs mérité l’approbation des plus grands maîtres de l’art, qui ont reconnu ses avantages dans l’usage qu’ils en ont fait faire à plusieurs malades, dont les incommodités n’avoient jusqu’alors trouvé aucun soulagement.

Le corps de ce bandage est un bouton d’ivoire creux, pour qu’il ait beaucoup de légereté, & percé pour donner issue libre aux vents & aux humidités stercorales qui en accompagnent quelquefois la sortie. M. Suret donne à cette piece une configuration différente, suivant la figure des sacs hémorrhoïdaux, l’embonpoint différent des sujets, le volume des muscles fessiers, &c. Ces boutons sont olivaires, en timbre, d’autres creusés en gondole : c’est ce bouton qui soutient le rectum, ou qui contient les hémorrhoïdes. Il est attaché au centre d’un sous-cuisse, sur une plaque de tôle percée à jour pour l’usage dont nous avons parlé. Il joue en tous sens par le moyen d’un ressort qui est dans l’intérieur de sa base, de façon que la compression est toûjours égale dans quelque situation que le malade puisse se mettre, ce bouton étant mobile en tous sens. On peut même s’asseoir perpendiculairement dessus, sans que la circonférence de l’anus sur laquelle il appuie, en soit plus fortement comprimée.

Ce bandage est en outre composé d’une ceinture de cuir couverte de chamois ; elle fait le tour du corps sur les os des îles, & se boucle en devant. Au milieu de cette ceinture est cousue une plaque de cuir matelassée, qui a à-peu-près la figure de l’os sacrum, sur lequel elle appuie : à la face externe de cette plaque, & sous le chamois qui lui sert d’enveloppe, il y a un ressort auquel est attachée l’extrémité postérieure du sous-cuisse, qui est de cuir garni de chamois, & qui se divise en-devant en deux branches pour passer à droite & à gauche sur les aines & s’attacher antérieurement à la ceinture.

Le ressort auquel est attachée l’extrémité postérieure du sous-cuisse, fait l’office de store, de sorte que la courroie s’allonge & s’accourcit suivant les différens mouvemens du corps. Cela étoit très essentiel pour que la pelote du bouton d’ivoire qui appuie sur la circonférence de l’anus, demeurât invariablement dans la même situation, soit que le malade soit debout ou assis, soit qu’il se baisse en-devant ou en-arriere, sans que les différens mouvemens qu’il faut faire pour passer d’une de ces attitudes à une autre, dérange en aucune façon le bandage. C’est un avantage essentiel que personne n’avoit trouvé jusqu’alors, & qui avoit rendu inutiles toutes les especes de bandages & machines qu’on a si souvent essayés contre les indispositions dont nous venons de parler.

Les hémorrhoïdes des femmes grosses doivent être traitées avec beaucoup de circonspection ; l’on a observé des effets funestes de la guérison subite des hémorrhoïdes, par l’application inconsidérée des remedes répercussifs dans cet état. Il ne faut pas qu’une femme grosse s’inquiette, parce que des hémorrhoïdes qui n’ont jamais flué donnent un peu de sang. Cette évacuation peut lui être salutaire ; une saignée calme assez ordinairement la douleur qui survient à l’approche du flux hémorrhoïdal. Si les hémorrhoïdes aveugles sont enflammées, dures, & fort douloureuses, on fait concourir avec la saignée l’insession dans une décoction d’herbes émollientes ou dans du lait chaud, où on fomente la partie avec ces fluides. Les femmes enceintes sujettes aux hémorrhoïdes sont ordinairement constipées ; elles doivent avoir soin de se tenir le ventre libre par des lavemens, par des boissons laxatives, par un usage habituel des eaux minérales, telles que celles de Passy. Ces eaux réussissent à la longue, parce qu’elles délayent la bile, & la rendent plus coulante. Il convient en outre que le régime de vie soit délayant, humectant, & tempérant ; mais les Accoucheurs en général se plaignent de l’indocilité des femmes qui ferment leurs oreilles aux conseils salutaires de ceux qui les dirigent ; elles suivent plus volontiers leur penchant au plaisir ; elles contentent leurs appétits dépravés, souvent même avec affectation, pour la satisfaction d’agir contre les défenses précises des gens de l’art. (Y)