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connues dans le langage de l’école sous le nom des six choses non naturelles, & qui sont absolument nécessaires à la vie : l’examen réfléchi des effets qui résultent de l’action de ces causes sur le corps & de quelques phénomenes peu approfondis, l’analogie qu’il doit y avoir nécessairement entre la machine humaine & les autres que la main des hommes a su fabriquer, & plusieurs autres raisons de convenance, ont fait penser qu’il devoit y avoir dans le corps un premier & principal ressort, dont le mouvement ou le repos entraîne l’exercice ou l’inaction de tous les autres, voyez Œconomie animale ; observation si frappante, qu’il est inconcevable comment elle a pû échapper à l’esprit de comparaison & aux recherches des Méchaniciens modernes. Parmi les différentes parties, celles dont le département est le plus étendu, sont sans contredit, la tête & le ventre, l’influence de leurs fonctions est la plus générale ; ces deux puissances réagissent mutuellement l’une sur l’autre, & par cette contranitence d’action, lorsqu’elle est modérée, se conservent dans une tension nécessaire à l’exercice de leurs fonctions respectives ; mais leurs efforts se réunissent sur le diaphragme, cet organe le premier mû dans l’enfant qui vient de naître, doit être regardé comme le grand mobile de tous les autres ressorts, comme la roue maîtresse de la machine humaine, comme le point ou les dérangemens de cette machine viennent se concentrer, où ils commencent & d’où ils se répandent ensuite dans les parties analogues.

Partons de ce point de vûe lumineux, pour promener avec plus de fruit nos regards attentifs sur l’innombrable cohorte de maladies qui se présente à nos yeux ; tâchons de pénétrer dans l’intérieur de la machine pour y appercevoir les dérangemens les plus cachés : supposons parmi cette multitude de ressorts qui se résistent mutuellement & qui par cette contranitence réciproque, entretiennent leurs mouvemens & concourent par-là à l’harmonie générale ; supposons, dis-je, un de ces ressorts altéré, affoibli, par l’abus de ce qui sert à l’entretenir, destitué de la force nécessaire pour réagir efficacement contre le ressort sympathique ; aussi-tôt cette égalité d’action & de réaction qui constitue une espece de spasme naturel est troublée ; ce dernier ressort augmente la sphere de ses mouvemens, les fibres qui le composent sont irritées, tendues, resserrées, & dans un orgasme qui constitue proprement l’état spasmodique contre nature. Mais remontons à la source du dérangement d’un organe particulier, nous la trouverons dans le diaphragme, qui par le tissu cellulaire, par des bandes aponévrotiques & par les nerfs, communique comme par autant de rayons aux différentes parties ; l’action de cet organe important est entretenue dans l’uniformité qui forme l’état sain par l’effort réciproque & toujours contre-balancé de la tête & de l’épigastre ; si l’une de ces deux puissances vient à agir avec plus ou moins de force, dès-lors l’équilibre est rompu, le diaphragme est affecté, son action cesse d’être uniforme, une ou plusieurs de ses parties sont dérangées, & par une suite de son influence générale sur tous les visceres, le dérangement, l’affection, la maladie plus ou moins considérable se propage & se manifeste dans les organes qui répondent aux parties du diaphragme altérées, par un spasme plus ou moins sensible, plus ou moins facilement réductible à l’état naturel.

Les deux pivots sur lesquels roule le jeu du diaphragme & en conséquence tous les mouvemens de la machine, & où prennent naissance les causes ordinaires de maladie, sont comme nous l’avons déja remarqué, la tête & le bas-ventre ; toute la force du bas-ventre dépend de l’action tonique des intestins & de l’estomac, & de leur effort contre le diaphragme ;

les alimens qu’on prend en attirent par le méchanisme de la digestion, l’influx plus considérable de toutes les parties sur la masse intestinale, en augmente le jeu, & remonte pour ainsi dire ce ressort qu’une trop longue abstinence laissoit débandé, sans force & sans action ; il agit donc alors plus fortement sur le diaphragme ; le dérangement qui en résulte très-sensible chez certaines personnes leur occasionne pendant la digestion une espece de fievre ; si la quantité des alimens est trop grande, ou si par quelque vice de digestion ils séjournent trop long-tems dans l’estomac, l’égalité d’action & de réaction de la tête avec cet organe est sensiblement troublée, & ce trouble se peint tout aussi-tôt par l’affection du diaphragme & des parties correspondantes. Les mêmes effets suivront si les humeurs abondent en quantité à l’estomac & aux intestins, si leurs couloirs sont engorgés, si des mauvais sucs s’accumulent dans leur cavité, &c. appliquons le même raisonnement à la tête, & nous verrons l’équilibre disparoître par l’augmentation des fonctions auxquelles la masse cérébrale est destinée ; ces fonctions sont connues sous le nom générique de passions ou affections de l’ame, elles se réduisent au sentiment intérieur qui s’excite par l’impression de quelque objet sur les sens, & à la durée du sentiment produit par ces impressions ; ce sont ces deux causes dans la rigueur, réductibles à une seule, qui entretiennent le ressort de la tête ; & son augmentation contre nature est une suite de leur trop d’activité ; ainsi les passions modérées ne concourent pas moins au bonheur physique, c’est-à-dire à la santé, qu’au bonheur moral : le corps seroit bien moins actif, les sommeils seroient bien plus longs, les sens seroient dans un engourdissement continuel, si nous n’éprouvions pas cette suite constante de sensations, de craintes, de réflexions, d’espérance ; si nous étions moins occupés de notre existence & des moyens de l’entretenir, & si à mesure que le soin de la vie animale nous occupe moins, nous ne cherchions à donner de l’exercice à la tête par l’étude, par l’accomplissement de nouveaux devoirs, par des recherches curieuses, par l’envie de se distinguer dans la société, par l’ambition, l’amour, &c. ce sont-là tout autant de causes qui renouvellent le ressort de la tête, & qui entretiennent son antagonisme modéré avec celui du bas-ventre ; mais si ces causes deviennent plus actives ; si une crainte excessive ou une joie trop-vive nous saisit ; si l’esprit ou le sentiment est trop occupé d’un seul objet, il se fatigue & s’incommode, le ressort de la tête augmentant & surpassant celui du bas-ventre, devient cause de maladie. Théorie importante qui nous manquoit, qui nous donne un juste coup-d’œil pour exciter & modérer nos passions d’une maniere convenable.

De cette double observation naît une division générale de la pathologie en maladies dûes au ressort augmenté de la tête, & en celles qui sont produites par l’augmentation du ressort du bas-ventre : cette division va paroître plus importante & plus féconde en se rapprochant du langage ordinaire des médecins ; pour cela qu’on fasse attention que le dérangement du ressort du bas-ventre reconnoît pour cause, des mauvaises digestions, des amas d’humeurs viciées, &c. dans l’estomac & les intestins ; & d’un autre côté que le ressort de la tête est altéré par des sensations trop vives, par des passions violentes, par des méditations profondes, des veilles excessives, des études forcées, & l’on s’appercevra que la division précédente se reduit à la distinction connue, mais mal approfondie, des maladies en humorales & nerveuses : double perspective qui se présente dans un lointain très-éclairé au médecin observateur.

Les maladies purement nerveuses dépendantes d’une lésion particuliere de sentiment, doivent être appel-