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imitoit les conversions du ciel, & représentoit les diverses saisons de l’année, qui changeoient à chaque service & faisoient pleuvoir des fleurs & des essences sur les convives. Comme le luxe va toujours en augmentant, quoique la fortune diminue, Eliogabale enchérit encore sur Néron, autant que Néron avoit enchéri sur Lucullus.

Les buffets étoient chargés de quantité de vases, encore plus précieux par la délicatesse du travail, que par l’or, l’argent ou la matiere rare dont ils étoient composés. C’étoient la plupart des fruits de leurs victoires, & des dépouilles des provinces qu’ils avoient conquises, dont la plus grande partie servoit plutôt à former un spectacle magnifique, qu’à aucun usage nécessaire.

La table étoit chez les premiers Romains de figure quarrée, du bois que leur fournissoient leurs forêts, & que leur tailloient leurs propres ouvriers. Quand ils eurent passé chez les Africains & chez les Asiatiques, ils imiterent d’abord ces peuples, puis ils les surpasserent en ce genre-là comme en tout autre. Ils varierent la figure de leurs tables ; & parce qu’ils ne les couvroient point encore de nappes, il fallut les faire au-moins d’une matiere qui n’offrît à leurs yeux rien que de luisant & de beau. Ils y employerent l’ivoire, l’écaille de tortue, la racine du buis, de l’érable, du citronnier & tout ce que l’Afrique féconde en singularités, leur fournissoit de plus curieux. Non contens de cette recherche, ils les ornerent de plaques de cuivre, d’argent & d’or, & ils y enchâsserent des pierres précieuses en forme de couronne. La table des pauvres étoit à trois piés ; celle des riches étoit soutenue par un seul. A chaque service on nettoyoit les tables avec une éponge mouillée, & à chaque fois les conviés se lavoient les mains. On avoit encore l’usage de substituer au premier service une nouvelle table toute servie, & ainsi pour tous les autres jusqu’à la fin du souper.

La maniere dont les Romains étoient à table n’a pas toujours été la même ; mais elle a paru digne de la curiosité des gens de lettres. Dans les premiers tems, ils mangeoient sur des bancs à l’exemple des Lacédémoniens ; ensuite ils adopterent l’usage des petits lits de Carthage qui n’étoient pas fort tendres ; enfin ils vinrent à manger sur les lits les plus mollets, les plus voluptueux & les plus magnifiques. Voyez Lit de table, Antiq. rom.

Les convives se rendoient au souper à la sortie du bain, avec un habillement qui ne servoit qu’à cela, & qu’ils appelloient synthesis ; espece de draperie qui ne tenoit presque à rien, comme il paroît dans les marbres, & qui étoit pourtant différente du pallium des Grecs.

On ne voit point qu’on ôtât les souliers aux dames, ni qu’on leur lavât ou parfumât les piés quand elles venoient prendre part à la fête ; mais rien n’étoit plus commun pour les hommes : on avoit raison de ne pas exposer à la boue & à la poudre, les étoffes précieuses dont les lits de table étoient couverts. On présentoit de l’eau pour les mains, & même pour les piés, à ceux qui ne sortoient pas du bain.

Quant aux ombres & aux parasites qui venoient aux repas, ceux-ci appellés ou tolérés par le maître de la maison, & ceux-là amenés par les convives, voyez-en l’article au mot Ombre & Parasite.

Une chose qui paroîtra même ici fort bisarre, c’est que long-tems après le siecle d’Auguste, ce n’étoit point encore la mode que l’on fournît des serviettes aux conviés ; ils en apportoient de chez eux.

Tout le monde ainsi rangé, on ôtoit de dessus le buffet où étoient les vases plus ou moins précieux, on ôtoit, dis-je, des coupes qu’on plaçoit devant chaque convive. On faisoit présenter à chacun des

couronnes de fleurs ou de lierre, auxquelles on se plaisoit d’attribuer la propriété d’empêcher par leur fraîcheur, l’effet des fumées du vin. Après s’être fait frotter les cheveux d’essences odorantes, ils mettoient ces couronnes sur leur tête, & les gardoient pendant tout le repas. On leur donnoit en même tems une liste de tous les services & de tous les mêts qui devoient composer le festin.

On servoit ensuite les viandes, non pas toujours chaque plat séparément ; mais souvent plusieurs plats ensemble sur une table portative.

Leurs soupers étoient pour l’ordinaire à trois services ; mais quelquefois par un surcroît de bonne chere & de magnificence, on les augmentoit jusqu’à sept. On commençoit d’abord par des œufs, c’étoit un des mêts du premier service ; on y servoit aussi des salades de laitues & d’olives, des huitres du lac Lucrin si renommé chez eux pour la bonté de ce coquillage, & d’autres choses pareilles qui pouvoient exciter l’appétit.

Le second service étoit composé du rôti & des viandes les plus solides, parmi lesquelles on entremêloit quelques plats de poisson, dont ils étoient si grands amateurs, que sans ce mêts on n’auroit pas cru faire bonne chere.

Le troisieme service consistoit en pâtisserie, & en fruits de toute espece ; rien n’étoit plus magnifique.

On attendoit ce dernier service pour faire les dernieres libations. Ces libations consistoient à répandre avant que de boire, un peu de vin de la coupe en l’honneur de quelque divinité, ou même de l’empereur, pour se montrer bon courtisan quand la république fut assujettie ; ou en celui du génie de la personne à qui on vouloit déférer cette distinction : c’étoit le tems du repas où la gaieté des conviés paroissoit davantage.

On commençoit à faire courir les santés ; le maître de la maison faisoit apporter une coupe plus grande & plus riche que les autres, qu’on appelloit cupa magistra, la principale coupe, pour boire à la ronde les santés des personnes qu’on chérissoit. Quand c’étoit celle d’une maîtresse, souvent par galanterie on obligeoit de boire autant de coups que son nom avoit de lettres. On élisoit souvent un roi du festin. Voyez Roi du festin.

Il y avoit des domestiques dont la fonction étoit de présider à l’arrangement des plats, & qui tenoient lieu de nos maîtres d’hôtel ; d’autres pour avoir soin de la distribution des vins, & d’autres pour couper les viandes. Ils faisoient la fonction de nos écuyers tranchans : il y en avoit même qui pendant l’été ne faisoient que chasser les mouches avec de grands éventails de plumes garnis d’un manche, comme quelques bas-reliefs antiques nous les représentent.

On se lavoit quelquefois les mains aussi souvent que les services varioient ; si on servoit un poisson ou un oiseau de quelque prix & de quelque rareté singuliere, on l’apportoit aux sons des flûtes & des hautbois ; l’allegresse redoubloit, ainsi que le vin de Falerne qu’on faisoit rafraîchir dans des vases d’or, & le maître du festin se croyoit amplement récompensé par les acclamations de toute l’assemblée.

La bonne chere n’étoit pas le seul plaisir des soupers, la musique eu faisoit souvent partie ; on y admettoit des chanteuses & des joueurs d’instrumens ; ou bien les conviés eux-mêmes y suppléoient ; on y appelloit aussi des danseuses, des mimes, des pantomimes, qui faisoient des scenes muettes, & d’autres sortes de gens dont le métier étoit de débiter des contes plaisans, pour amuser la compagnie ; on y lisoit souvent des ouvrages d’esprit : enfin on tâchoit de rassembler tout ce qui pouvoit divertir & flater les sens.

Au commencement de la république les Romains