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La sociabilité est cette disposition qui nous porte à faire aux hommes tout le bien qui peut dépendre de nous, à concilier notre bonheur avec celui des autres, & à subordonner toujours notre avantage particulier, à l’avantage commun & général.

Plus nous nous étudierons nous-mêmes, plus nous serons convaincus que cette sociabilité est conforme à la volonté de Dieu ; car outre la nécessité de ce principe, nous le trouvons gravé dans notre cœur. Si d’un côté le Créateur y a mis l’amour de nous-mêmes, de l’autre la même main y a imprimé un sentiment de bienveillance pour nos semblables ; ces deux penchans, quoique distincts l’un de l’autre, n’ont rien d’opposé, & Dieu les a gravés dans nos ames pour agir de concert. Aussi les cœurs généreux trouvent-ils la satisfaction la plus pure à faire du bien aux autres hommes, parce qu’ils ne font en cela que suivre un penchant naturel.

Du principe de la sociabilité découlent toutes les lois de la société.

1°. Cette union que Dieu a établie entre les hommes exige d’eux que dans tout ce qui a quelque rapport à la société, le bien commun soit la regle suprème de leur conduite ; & qu’attentifs aux conseils de la prudence, ils ne cherchent jamais leur avantage particulier au préjudice de l’avantage public.

2°. L’esprit de sociabilité doit être universel. La société humaine embrasse tous les hommes avec lesquels on peut avoir quelque commerce, puisqu’elle est fondée sur les relations qu’ils ont tous ensemble, en conséquence de leur nature & de leur état. Voyez-en les preuves dans Puffendorf & Cumberland.

3°. La raison nous dit que des créatures du même rang, de la même espece, nées avec les mêmes facultés, pour vivre ensemble & pour participer aux mêmes avantages, ont en général un droit égal & commun. Nous sommes donc obligés de nous regarder comme naturellement égaux, & de nous traiter comme tels ; ce seroit démentir la nature que de ne pas reconnoître ce principe d’équité (que les Jurisconsultes nomment æquabilitatis juris), comme un des premiers fondemens de la société. C’est là-dessus qu’est fondée la loi du réciproque ; de même que cette regle si simple, mais d’un usage universel, que nous devons être à l’égard des autres hommes dans les mêmes dispositions où nous desirons qu’ils soient à notre égard, & nous conduire avec eux de la même maniere que nous voulons qu’ils se conduisent avec nous dans des circonstances pareilles.

4°. La sociabilité étant d’une obligation réciproque entre les hommes, ceux qui par leur malice ou leur injustice rompent ce lien, ne sauroient se plaindre raisonnablement si ceux qu’ils offensent ne les traitent plus comme amis, ou même s’ils en viennent contr’eux à des voies de fait.

Mais si l’on est en droit de suspendre à l’égard d’un ennemi les actes de la bienveillance, il n’est jamais permis d’en étouffer le principe. Comme il n’y a que la nécessité qui nous autorise à recourir à la force contre un injuste aggresseur, c’est aussi cette même nécessité qui doit être la regle & la mesure du mal que nous pouvons lui faire ; & nous devons toujours être disposés à rentrer en amitié avec lui, dès qu’il nous aura rendu justice, & que nous n’aurons plus rien à craindre de sa part.

En un mot, rien n’est plus convenable à l’humanité que la bénéficence & la générosité. Il n’y a rien de plus vrai, dit Cicéron liv. I. des Offices, ch. vij. que ce beau mot de Platon, que nous ne sommes pas nés pour nous, mais pour les autres hommes & pour la patrie. Les Stoïciens soutenoient que pour entrer dans les desseins de la nature, il falloit contribuer chacun du sien à l’utilité commune, & employer non seulement son industrie, mais ses biens à serrer de plus en

plus les nœuds de la société humaine. (D. J.)

SOCIABLE, AIMABLE, (Langue franç.) ces deux mots ne sont plus synonymes dans notre langue.

L’homme sociable a les qualités propres au bien de la société ; je veux dire la douceur du caractere, l’humanité, la franchise sans rudesse, la complaisance sans flatterie, & sur-tout le cœur porté à la bienfaisance ; en un mot, l’homme sociable est le vrai citoyen. Voyez Sociabilité.

L’homme aimable, dit M. Duclos, du moins celui à qui l’on donne aujourd’hui ce titre, est fort indifférent sur le bien public, ardent à plaire à toutes les sociétés où son goût & le hasard le jettent, & prêt à en sacrifier chaque particulier. Il n’aime personne, n’est aimé de qui que ce soit, plait à tous ; & souvent est méprisé & recherché par les mêmes gens.

Les liaisons particulieres de l’homme sociable sont des liens qui l’attachent de plus en plus à l’état ; celles de l’homme aimable ne sont que de nouvelles dissipations, qui retranchent d’autant les devoirs essentiels. L’homme sociable inspire le desir de vivre avec lui ; l’homme aimable en éloigne ou doit en éloigner tout honnête citoyen. (D. J.)

SOCIAL, adj. (Gramm.) mot nouvellement introduit dans la langue, pour désigner les qualités qui rendent un homme utile dans la société, propre au commerce des hommes : des vertus sociales.

Social, (Comm.) ce qui appartient à une société, ou qui est fait en son nom. On dit qu’un billet, ou autres actes, sont signés du nom social, lorsqu’un ou deux associés les ont signés du nom de la société. Dans ces écritures on met tous les noms des associés, ou l’on y ajoute le nom de compagnie, N. N. & compagnie. Voyez Nom social, Société & Compagnie.

Sociale, guerre, (Hist. rom.) on appella guerre sociale ou des alliés, celle des peuples du Latium ou du pays Latin, contre les Romains. Cette guerre fut entreprise par les alliés, l’an de Rome 663, pour obtenir le droit de bourgeoisie que la république leur refusoit.

Les peuples du Latium supportoient les charges de la république, & cependant n’étoient point admis aux dignités, & n’avoient pas même le droit de suffrage. Il est vrai que dans les tems difficiles, pour les attacher plus étroitement à la république, on s’étoit quelquefois relâché là-dessus, par exemple, dans la seconde guerre punique ; mais quand le péril fut passé, les Romains firent regarder ces concessions comme des graces passageres, & qui ne fondoient point de droits.

Cependant les peuples alliés représentoient toujours qu’il étoit juste qu’ils eussent part aux honneurs d’un état, dont ils avoient étendu l’empire par leur vaillance. Ces peuples donc outrés d’être exclus du droit de bourgeoisie, résolurent d’en obtenir l’effet les armes à la main ; ils s’associerent ensemble, réunirent leur ressentiment commun, signerent une ligue, & se donnerent réciproquement des ôtages.

Il y eut entre eux & la république des combats sanglans, des batailles & des prises de villes. La fortune passa plus d’une fois dans l’un & l’autre parti. Enfin le sénat s’appercevant que la république ne remportoit pas même de victoires qui ne lui fussent funestes, & qu’en faisant périr des alliés, elle perdoit autant de soldats qui composoient auparavant ses armées, ce corps si sage leur accorda insensiblement le droit de bourgeoisie romaine. Mais suivant sa politique ordinaire, il réduisit ce droit presque à rien, par la forme qu’il donna au traité ; de sorte que ce droit de bourgeoisie, qui avoit coûté tant de sang aux alliés, ne devint presque à leur égard, qu’un vain titre, sans fonctions & sans autorité. (D. J.)