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qu’elle pouvoit avoir, il fut obligé d’envoyer à Rome ses machines, avec un ouvrage apologétique. La faveur du pape ne réduisit pas ses ennemis à l’inaction : ils s’adresserent à son général qui condamna sa doctrine, supprima ses ouvrages, & le jetta au fond d’un cachot. On ne sait s’il y mourut ou s’il en fut tiré : quoi qu’il en soit, il laissa après lui des ouvrages dont on ne devoit connoître tout le prix que dans des tems bien postérieurs au sien. Roger ou frere Bacon cessa d’être persécuté & de vivre en 1294, à l’âge de 78 ans.

Gilles Colonne, hermite de S. Augustin, fut théologien & philosophe scholastique. Il étudia sous Thomas d’Aquin : il eut pour condisciple & pour ami Bonaventure : il se fit une si prompte & si grande réputation, que Philippe le Hardi lui confia l’éducation de son fils ; & Colonne montra par son traité de regimine principium, qu’il n’étoit point d’un mérite inférieur à cette fonction importante. Il professa dans l’université de Paris. On lui donna le titre de docteur très-fondé, & il fut résolu dans un chapitre général de son ordre qu’on s’y conformeroit à sa méthode & à ses principes. Il fut créé général en 1292. Trois ans après sa nomination, il abdiqua une dignité incompatible avec son goût pour l’étude ; son savoir lui concilia les protecteurs les plus illustres. Il fut nommé successivement archevêque & désigné cardinal par Boniface VIII. qu’il avoit défendu contre ceux qui attaquoient son élection, qui suivit la résignation de Célestin. Il mourut à Avignon en 1314.

Nous reviendrons encore ici sur Jean-Duns Scot, dont nous avons déja dit un mot à l’article Aristotélisme. S’il falloit juger du mérite d’un professeur par le nombre de ses disciples, personne ne lui pourroit être comparé. Il prit le bonnet de docteur à Paris en 1204 : il fut chef d’une secte qu’on connoît encore aujourd’hui sous le nom de Scotistes : il se fit sur la grace, sur le concours de l’action de Dieu & de l’action de la créature, & sur les questions relatives à celles-ci un sentiment opposé à celui de S. Thomas ; il laissa de côté S. Augustin, pour s’attacher à Aristote, & les theologiens se diviserent en deux classes, qu’on nomma du nom de leurs fondateurs. Il passe pour avoir introduit dans l’Eglise l’opinion de l’immaculée conception de la Vierge. La Théologie & la Philosophie de son tems, déja surchargées de questions ridicules, acheverent de se corrompre sous Scot dont la malheureuse subtilité s’exerça à inventer de nouveaux mots, de nouvelles distinctions & de nouveaux sujets de disputes qui se sont perpétuées en Angleterre au-delà des siecles de Bacon & de Hobbs.

Nous ajouterons à ces noms de la seconde période de la scholastique ceux de Simon de Tournai, de Robert Sorbon, de Pierre d’Abano, de Guillaume Durantis, de Jacques de Ravenne, d’Alexandre d’Alexandrie, de Jean le Parisien, de Jean de Naples, de François Mayro, de Robert le Scrutateur, d’Arnauld de Villeneuve, de Jean Bassoles, & de quelques autres qui se sont distingués dans les différentes contrées de l’Allemagne.

Simon de Tournai réussit par ses subtilités à s’attirer la haine de tous les philosophes de son tems, & à rendre sa religion suspecte. Il brouilla l’Aristotélisme avec le Christianisme, & s’amusa à renverser toujours ce qu’il avoit établi la veille sur les matieres les plus graves. Cet homme étoit violent : il aimoit le plaisir ; il fut frappé d’apoplexie, & l’on ne manqua pas de regarder cet accident comme un châtiment miraculeux de son impiété.

Pierre d’Apono ou d’Abano, philosophe & médecin, fut accusé de magie. On ne sait trop pourquoi on lui fit cet honneur. Ce ne seroit aujourd’hui qu’un misérable astrologue, & un ridicule charlatan.

Robert Sorbon s’est immortalisé par la maison qu’il a fondée, & qui porte son nom.

Pierre de Tarantaise, ou Innocent V. entra en 1225 chez les Dominicains à l’âge de dix ans. Il savoit de la théologie & de la philosophie. Il professa ces deux sciences avec succès. Il fut élevé en 1263 au généralat de son ordre. Il obtint en 1277 le chapeau, en 1284 il fut élu pape. Il a écrit de l’unité, de la forme, de la nature des cieux, de l’éternité du monde, de l’entendement & de la volonté, & de la jurisprudence canonique.

Guillaume Durand ou Durantis, de l’ordre des Dominicains joignit aussi l’étude du droit canonique à celle de la scholastique.

La scholastique est moins une philosophie particuliere qu’une méthode d’argumentation syllogistique, seche & serrée, sous laquelle on a réduit l’Aristotélisme fourré de cent questions puériles.

La théologie scholastique n’est que la même méthode appliquée aux objets de la Théologie, mais embarrassée de Péripatétisme.

Rien ne put garantir de cette peste la Jurisprudence. A-peine fut-elle assujettie à la rigueur de la dialectique de l’école, qu’on la vit infectée de questions ridicules & distinctions frivoles.

D’ailleurs on vouloit tout ramener aux principes vrais ou supposés d’Aristote.

Rizard Matumbra s’opposa inutilement à l’entrée de la scholastique dans l’étude du droit civil & canonique ; elle se fit.

Je n’ai rien à dire d’Alexandre d’Alexandrie, ni de Dinus de Garbo, sinon que ce furent parmi les ergoteurs de leur tems deux hommes merveilleux.

Jean ce Paris ou Quidort, imagina une maniere d’expliquer la présence réelle du corps de Jésus-Christ au sacrement de l’autel. Il mourut en 1304 à Rome où il avoit été appellé pour rendre compte de ses sentimens.

Jean de Naples, François de Mayronis, Jean Bassolis furent sublimes sur l’univocité de l’être, la forme, la quiddité, la qualité, & autres questions de la même importance.

Il falloit qu’un homme fût doué d’un esprit naturel bien excellent pour résister au torrent de la scholastique qui s’enfloit tous les jours, & se porter à de meilleures connoissances. C’est un éloge qu’on ne peut refuser à Robert, surnommé le scrutateur ; il se livra à l’étude des phénomenes de la nature ; mais ce ne fut pas impunément : on intenta contre lui l’accusation commune de magie. La condition d’un homme de sens étoit alors bien misérable ; il falloit qu’il se condamnât lui-même à n’être qu’un sot, ou à passer pour sorcier.

Arnauld de Ville-neuve naquit avant l’an 1300. Il laissa la scholastique ; il étudia la philosophie naturelle, la Médecine & la Chimie. Il voyagea dans la France sa patrie, en Italie, en Espagne, en Allemagne, en Asie & en Afrique. Il apprit l’arabe, l’hébreu, le grec ; l’ignorance stupide & jalouse ne l’épargna pas. C’est une chose bien singuliere que la fureur avec laquelle des hommes qui ne savoient rien, s’entêtoient à croire que quiconque n’étoit pas aussi bête qu’eux, avoit fait pacte avec le diable. Les moines intéressés à perpétuer l’ignorance, accréditoient sur-tout ces soupçons odieux. Arnauld de Ville-neuve les méprisa d’abord ; mais lorsqu’il vit Pierre d’Apono entre les mains des inquisiteurs, il se méfia de la considération dont il jouissoit, & se retira dans la Sicile. Ce fut-là qu’il se livra à ses longues opérations que les chimistes les plus ardens n’ont pas le courage de répeter. On dit qu’il eut le secret de la pierre philosophale. Le tems qu’un homme instruit donnera à la lecture de ses ouvrages ne sera pas tout-à-fait perdu.

On nomme parmi les scholastiques de l’Allemagne,