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diocrement agité. Enfin il y en auroit un troisieme à un seul rang, & c’est sur celui-ci que l’on gradueroit les eaux, lorsque l’air presque tranquille, ne pouvant agir qu’à-travers une seule masse d’épines, perdroit entierement sa force s’il en rencontroit une seconde, & y laisseroit retomber les parties douces qu’il auroit emportées de la premiere.

Les eaux en coulant sur les épines, y laissent une matiere terreuse, sans salure & sans goût, qui s’y durcit tellement au bout de 7 à 8 ans, que l’air n’y pouvant plus passer, on est obligé de les renouveller. Les épines de leur côté rendent l’eau graisseuse, & lui donnent une couleur rousse. C’est pour cette raison que dans les salines où il y des bâtimens de graduation, le sel n’est jamais si blanc que lorsqu’on bouillit les eaux telles qu’elles sortent de leurs sources.

Les eaux graduées au degré qu’on se propose, ou auquel l’on peut les amener, sont conduites par des tuyaux de sapin, dans deux reservoirs placés derriere les bernes, & de-là sont distribuées aux poëles qui y répondent. Ces bassins que l’on nomme baisoirs, forment un quarré long de 44 piés, sur 10 de large & 5 de profondeur ; ils contiennent chacun 262 muids d’eau.

Il y a six poëles à Montmorot, dont chacune forme aussi un quarré long de 26 piés, sur 22 de largeur & 18 pouces de profondeur, & contient environ 100 muids d’eau. C’est dans les angles où l’eau ne bouillit jamais, que le schelot s’amasse en plus grande quantité. La premiere poële est la seule qui ait derriere elle un poëlon : encore le sel que l’on y forme est-il si brun, & si chargé de parties étrangeres, que l’on est ordinairement obligé de le refondre.

La cuite ne se divise dans cette saline, qu’en deux opérations ; le salinage & le soccage.

On entend par salinage, tout le tems qui est employé à faire réduire l’eau salée, jusqu’à ce que le sel commence à se déclarer à sa surface. Il s’opere toujours par un feu vif, & dure plus ou moins, ce qui va de 16 à 24 heures, suivant le degré de salure qu’ont les eaux. C’est pendant ce tems que l’eau jette une écume qu’il faut enlever avec loin, & que le schelot, c’est-à-dire que les matieres terreuses, & autres parties étrangeres renfermées dans les eaux, s’en dégagent & se précipitent au fond de la poële. Mais il faut pour cela une forte ébullition : aussi dans les poëlons où l’eau ne bouillit point, l’on ne tire jamais de schelot. Il reste mêlé avec le sel, qui pour cette raison est plus brun, plus pesant & bien moins pur que celui formé dans les poëles. On y amasse toujours la quantité de 16 pouces de muire brisante, c’est-à-dire d’eau dont le sel commence à paroitre ; ce qui oblige de remplir la poële à plusieurs reprises, lorsque l’ébullition a diminué le volume d’eau salée que l’on y avoit mise.

Le schelot que l’on tire des poëles dans de petits bassins nommés augelots, que l’on met sur les bords, & où il va se précipiter, parce que l’eau est plus tranquille, sert à former à Montmorot les sels purgatifs d’pesom & de glauber, & la potasse qui sert à la fusion des matieres dans les verrerie. Voyez Sel d’Epsom, de Glauber, & Potasse.

Le soccage comprend tout le tems que le sel reste à se former. Il commence dès que l’eau qui bouillit dans la poële est parvenue à 24 ou 25 degrés. C’est alors de la muire brisante, au-dessus de laquelle nagent de petites lames de sel, qui s’accrochant les unes aux autres en forme cubique, s’entraînent mutuellement au fond de la poële. Plus le feu est lent pendant le soccage, & plus le grain du sel est gros. Sa qualité en est meilleure aussi, parce qu’il se dégage plus exactement des graisses & des autres vices que l’eau renferme encore. Cette seconde & derniere opération dure 16 heures pour les sels destinés à être mis en

grains, 20 heures pour les sels en grains ordinaires, & 70 heures pour ceux à gros grains. Ces trois différentes especes de sel sont les seules que l’on forme à Montmorot.

Lorsque le sel est formé, il reste encore au fond de la poële des eaux qui n’ont pas été réduites, & que l’on nomme eaux-meres. Elles sont ameres, pleines de graisse, de bitume, & fort chargées de sel d’epsom & de glauber. Elles sont très-difficiles à réduire, & il faut avoir grand soin de ne pas mettre la poële à siccité, pour qu’elles ne communiquent pas au sel les vices qu’elles contiennent. Elles en ont plus ou moins, suivant que les eaux salées dont l’on se sert sont plus ou moins pures. Le sel, au sortir de la poële, est imbibé de ces eaux qu’il faut laisser égoutter. Lorsqu’elles sont sorties des sels, elles prennent le nom d’eaux-grasses ; mais leur nature est toujours à-peu-près la même que celle des eaux-meres. L’une & l’autre sont très-vicieuses à Montmorot, & il seroit à desirer qu’on n’en fit aucun usage.

Neuf cuites font une remandure qui dure plus ou moins, suivant l’espece de sel qu’on veut former.

L’on fait par année, à cette saline, environ 60 mille quintaux de sel, dont la moitié est délivrée en pains, à différens cantons suisses, suivant des traités particuliers faits avec la ferme générale, & l’autre moitié formée en pains, est vendue à différens bailliages de la province. Mais comme Salins fournit de plus aux Suisses les 38 mille quintaux que Montmorot donne pour lui à la province, il s’ensuit toujours que cette derniere saline fait entrer en France environ 350 mille livres par année.

Le sel que Montmorot délivre à la province, étoit séché sur les braises, ainsi qu’on le pratique à Salins ; mais il se trouvoit toujours une odeur fort désagréable dans la partie inférieure des pains, qui d’ailleurs brûlée par l’activité du feu, avoit la dureté du gypse, beaucoup d’amertume, & fort peu de salure. Ces défauts exciterent des réclamations de la part de la Franche-Comté, & donnerent lieu à plusieurs remontrances de son parlement ; le roi en conséquence envoya dans la province, en 1760, un commissaire pour examiner si les plaintes étoient fondées, & pour faire l’analyse des sels de Montmorot.

On n’a trouvé dans cette saline aucune matiere pernicieuse, les sels en grains que l’on en tire sont très bons, & les défauts dont l’on se plaignoit justement dans les sels en pains, ne provenoient que du vice de leur formation.

Les eaux grasses à Montmorot contiennent beaucoup de sels d’epsom & de glauber, sont ameres & chargées de graisse & de bitume. Cependant l’on s’en servoit pour paîtrir les sels destinés à être mis en pains. Quand l’on porte les pains de sel sur les braises, on les y pose sur le côté, en sorte que les eaux grasses dont ils étoient impregnés, descendant de la partie supérieure à la partie basse qui touche le brasier, s’y trouvoient saisies par la violence de la chaleur. Là les graisses dont elles sont chargées se brûloient, & par leur combustion donnoient une odeur insupportable d’urine de chat à cette partie toujours pleine de taches & de trous par les vuides qu’elles y laissoient, & les charbons qu’elles y formoient. Le sel d’epsom s’y desséchoit aussi ; & au-lieu de s’égoutter dans les cendres avec l’eau qui l’entraînoit, il restoit adhérant au bas du pain, où il formoit, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, des especes de grumeaux jaunâtres & d’une grande amertume.

L’on a essayé de former à Montmorot les pains de sel avec de l’eau douce, & alors ils ont été beaucoup moins défectueux que quand ils étoient paîtris avec l’eau grasse ; mais tant qu’ils ont été séchés sur les braises, on leur a toujours trouvé un peu de l’odeur