L’Encyclopédie/1re édition/POTASSE, ou POTASCHE

POTASSE, ou POTASCHE, s. f. (Chimie, Comm. & Arts.) ce mot est originairement allemand ; il signifie cendre de pot, & a été adopté en françois & en anglois, pour désigner un sel alkali fixe qui se tire des cendres de différens bois brûlés, on donne aussi le nom de potasse à la cendre même qui contient ce sel alkali fixe ; cette cendre est rendue compacte & solide comme une pierre, parce qu’on l’humecte pour cet effet avec de l’eau, après quoi on la calcine pour la durcir, comme nous aurons occasion de le dire.

La potasse fait une des principales branches du commerce du nord ; il en vient une grande quantité de Russie, de Pologne, de Lithuanie, d’Ukraine, de Suede ; les vastes forêts qui se trouvent dans ces pays mettent les habitans à portée d’avoir le bois nécessaire pour faire cette substance : on ne trouveroit pas son compte à les imiter dans les pays où le bois est rare ; mais les François & les Anglois pourroient très bien faire de la potasse dans leurs possessions de l’Amérique septentrionale, où le bois est plus commun qu’en aucune contrée de l’Europe.

Chaque pays suit une méthode particuliere pour obtenir de la potasse ; on n’emploie à cet usage que de vieux arbres qui se pourrissent ; ceux qui y sont les plus propres sont le chêne, le hêtre, le peuplier, le frêne, l’orme, le houx, le bouleau, le noisettier, & tout le bois blanc. Les pins, les sapins, & tous les bois résineux ne sont point bons pour cela en Suede. Suivant le rapport de M…… en Suede, on commence par couper le bois, & on le met en bûches ; on en forme de grands tas que l’on allume & qu’on fait brûler lentement ; on en recueille les cendres, que l’on sépare autant qu’on peut des charbons : on amasse toutes les cendres, on les humecte avec de l’eau, & l’on en fait une espece de mortier d’une consistence épaisse ; on prend cette espece de mortier, & l’on en fait un enduit autour des troncs de sapins ou de pins fraichement coupés ; on forme de ces troncs ainsi enduits des piles qui ont la hauteur d’une maison ; on allume un feu de bois sec sous la pile, le tout brûle très vivement ; les cendres dont les buches de sapin ont été enduites, rougissent & se vitrifient ; pour lors on détruit la pile, & pendant que les cendres sont encore fortement échauffées, & pour ainsi dire en fusion, on les applique avec des bâtons pour en incruster les bûches de sapins. Cette opération se nomme walla en suédois ; par son moyen les cendres forment une masse solide & dure comme de la pierre. Lorsque tout est refroidi, on détache ces cendres durcies & incrustées avec des outils de fer, & on les entasse dans des tonneaux, & on les débite sous le nom de potasse.

Dans d’autres pays, après avoir coupé le bois, on l’entasse dans des creux fort grands que l’on fait en terre pour cet usage, & l’on y fait brûler doucement les arbres qu’on y a amassés, & l’on en recueille les cendres. On les lave pour en séparer la partie saline : lorsque l’eau est suffisamment chargée de sel, on la fait évaporer jusqu’à siccité dans des chaudieres de fer, au fond desquelles le sel s’attache si fortement, que l’on est obligé de l’en détacher avec des ciseaux & des maillets.

Il y a quelques années que l’on a publié en Angleterre une méthode pour faire de la potasse semblable à celle de Russie ; elle est dûe au chevalier Pierre Warren. Il dit qu’il faut que le bois dont on se servira pour cela ait été coupé depuis le mois de Novembre jusqu’au mois de Février ; on le laissera sécher en pile pendant une année entiere, au bout de ce tems, on le brûlera sur une aire garnie de briques & couvert, afin d’obtenir plus de cendre : on passera cette cendre par un tamis, après quoi on le mettra dans des cuves ; on versera de l’eau de pluie ou de fontaine en assez grande quantité pour qu’elle y surnage ; on laissera le tout pendant quatre ou cinq mois dans cet état ; au bout de ce tems on aura des fourneaux semblables à des fours de boulangers, dont l’entrée doit être large, & qui auront à leur partie supérieure trois ou quatre regîtres pour la circulation de l’air, que l’on pourra fermer en cas de besoin : on allumera un grand feu dans ces fourneaux avec du bois de chêne ou de frêne, alors on y mettra les cendres humectées, qui se durciront & se vitrifieront. On continuera à donner un grand feu jusqu’à ce que le fourneau soit rempli de cendre ; par ce moyen elles deviendront compactes, & elles se mettront en grandes masses, dont on remplira des tonneaux de façon qu’elles soient garanties du contact de l’air.

Tel est le procédé de M. Warren, il est assez long & très-inutile ; & pour peu qu’on ait des notions chimiques, on verra que ces opérations, ainsi que celles que nous avons dit se pratiquer en Suede, sont superflues & même nuisibles à la bonté de la potasse. En effet, la Chimie nous apprend que toutes les plantes réduites en cendres donnent de l’alkali fixe, & ce n’est que ce sel que l’on cherche à obtenir en faisant de la potasse. Nous savons aussi que tous les alkalis fixes obtenus des cendres des végétaux ont les mêmes propriétés lorsqu’ils sont parfaitement purs. Voyez l’article Sel alkali. Or par toutes les méthodes que l’on vient de rapporter, on semble s’efforcer de faire un sel alkali fixe très-impur : 1°. en brûlant le bois à couvert, sous prétexte d’obtenir plus de cendres, on obtient un sel à la façon de Tachenius, c’est-à-dire un sel alkali fixe très-charge de parties huileuses & inflammables, & mélés d’un grand nombre de sels neutres qui se sont formés pendant la déflagration, tels que du tartre vitriolé, un sel savonneux, du soufre, de l’hepar sulphuris, &c. En un mot, on obtient un sel très impur, & que quelquefois on a beaucoup de peine à purifier. 2°. Il est très-inutile de donner à la potasse une consistance solide ; ce qui se fait en humectant les cendres, & en les calcinant ensuite dans un fourneau, parce que ces opérations ne rendent point le sel alkali fixe plus pur ; au contraire, en exposant ces cendres à un feu violent, le sel alkali fixe qu’elles renferment se vitrifie avec la partie terreuse de ces cendres ; & étant changé en verre, le sel n’a plus les propriétés d’un alkali fixe.

Ainsi la voie la plus sure pour faire de bonne potasse, seroit de brûler le bois à l’air libre, afin que sa partie grasse & huileuse puisse se dissiper ; de ramasser les cendres, d’en séparer autant qu’il est possible, les charbons qui y sont mélés ; de laver ces cendres avec de l’eau froide : quand cette eau sera suffisamment chargée de sel, on la filtrera, & on la fera évaporer jusqu’à siccité ; & lorsque le sel sera bien sec, on n’aura qu’à le faire rougir dans un fourneau, & on le tiendra quelque tems dans cet état, sans permettre qu’il entre en fusion. On pourra, si on le juge nécessaire, réitérer cette calcination à plusieurs reprises ; par ce moyen on aura un sel alkali fixe dégagé de phlogistique.

La potasse peut être mélée de tartre vitriolé, qui s’est forme pendant la déflagration ; ce sel neutre est produit par la combinaison de l’acide vitriolique avec le sel alkali fixe : l’action du feu dégage cet acide, qui est contenu dans de certains bois, tel qu’est surtout le chêne. Pour en séparer l’alkali fixe de la potasse, on n’aura qu’à la faire dissoudre dans de l’eau froide, par ce moyen l’alkali fixe se dissoudra promptement dans l’eau, au lieu que le tartre vitriolé qui se dissout plus difficilement, restera au fond de l’eau sous la forme d’une poudre.

En suivant cette méthode, les habitans du Nord, au lieu de nous vendre une cendre quelquefois très impure, & qu’ils se sont donnés bien de la peine à rendre dure, compacte & vitrifiée, nous fourniroient un sel alkali fixe pur sous un moindre volume, & dont l’effet seroit plus sûr dans les arts.

La potasse, telle qu’elle nous vient, differe pour les degrés de bonté ; cela dépend du bois que l’on a employé pour la faire, de la maniere dont on l’a brûlée, & du soin avec lequel on l’a purifiée. En Allemagne on regarde la potasse qui vient de Dantzic comme la meilleure ; elle se fait en Pologne, & passe par cette ville, où elle subit un examen de la part de gens destinés à cette fonction ; ils ouvrent les tonneaux, quand elle se trouve d’une bonne qualité, on met les armes de la ville sur le tonneau : on juge de la bonté lorsqu’elle est d’un blanc bleuâtre, en masses solides, pesantes & seches, & d’un goût très-caustique. Si la potasse est d’une qualité inférieure, on fait deux entailles dans une des douves du tonneau, & on l’appelle brack : elle est d’un prix moindre que la premiere ; enfin celle qui est encore moins pure se nomme bracks-brack. La potasse qui vient de Konigsberg est moins estimée que celle de Dantzic, & celle qui vient de Riga passe pour la plus mauvaise de toutes.

La potasse a les propriétés de tous les sels alkalis fixes, & peut être employée aux mêmes usages que le sel alkali du tartre, & que les sels tirés de toute cendre ; elle ne differe de la soude, que parce que cette derniere est mélée de sel marin. Voyez Soude. On emploie la potasse dans la verrerie, dans les teintures, pour blanchir les toiles, &c. on lui donne quelquefois le nom de cendre de Moscovie. (—)