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Une retraite de cette nature bien concertée, ne peut guere manquer de réussir heureusement. En tout cas, le pis qui en puisse arriver, c’est, comme le dit M. Belidor, de tomber dans un gros d’ennemis, & de supporter le sort qu’on vouloit éviter, c’est-à-dire, d’être prisonniers de guerre. Car ce n’est guere que dans ce cas qu’il faut tout risquer pour ne point subir cette facheuse condition.

Quel que soit l’événement d’une action de cette espece, elle ne peut que faire honneur au courage de celui qui ose le tenter. C’est ainsi que M. Peri sauva la garnison d’Haguenau, que les ennemis vouloient faire prisonniere de guerre. M. de Folard raconte ce fait fort au long dans son premier volume de son commentaire sur Polybe. Nous allons le rapporter d’après M. le marquis de Feuquiere, qui le donne plus en abrégé dans le quatrieme volume de ses mémoires.

« En l’année 1705, les ennemis avoient assiégé Haguenau, fort mauvaise place, dans laquelle M. le maréchal de Villars avoit laissé M. Peri avec quelques bataillons. Comme les ennemis faisoient ce siege derriere leur armée, ils ne crurent pas qu’il leur fût nécessaire d’investir la place régulierement. M. Peri la défendit autant qu’il lui fut possible ; mais se sentant hors d’état d’y faire une plus longue résistance, il fit battre la chamade un peu avant la nuit, & proposer des articles si avantageux pour la garnison, qu’ils ne furent point accordés. On recommença donc à tirer.

« Il avoit besoin de tout ce tems-là pour évacuer les équipages de sa garnison, avec escorte par le côté qui n’étoit point investi. Après quoi la garnison se retira, ne laissant que quelques hommes dans les angles du chemin couvert, pour en entretenir le feu, lesquels même ignoroient ce qui se passoit dans la place, afin qu’un déserteur ne pût avertir l’ennemi de la sortie de la garnison. Quand M. Peri se crut assez éloigné de la place, il envoya retirer les hommes qu’il avoit laissés dans les dehors, & ils le joignirent tranquillement. Ainsi, il retira toute la garnison de Haguenau, & il rejoignit l’armée sans avoir perdu un seul homme dans sa retraite, qui ne fut connue de l’ennemi qu’au jour, lorsqu’il étoit déja hors de portée d’être joint par la cavalerie que l’ennemi avoit pu envoyer à sa suite ».

On peut à cet exemple en ajouter un autre plus moderne, mais d’une bien plus grande importance ; c’est la retraite de Prague par M. le maréchal de Bellisle. Quoique cette place fût bloquée de tous côtés, les troupes de France, au nombre d’environ quatorze mille hommes, tant de cavalerie que d’Infanterie, en sortirent la nuit du 16 au 17 Décembre 1742. « M. le maréchal de Bellifle déroba 24 heures de marche pleines au prince de Lobkowitz, qui n’étoit qu’à cinq lieues de lui. Il perça ses quartiers, & traversa dix lieues de plaines, ayant à traîner un haras de 5 ou 6000 chevaux d’équipages, des caissons, du pain ; trente pieces de canon, tout l’attirail, toute la poudre, les balles, les outils, &c ».

Il arriva à Egra sans échec, en dix jours de marche, pendant lesquels l’armée fit trente-huit lieues au milieu des glaces & des neiges, ayant été continuellement harcelée de hussards en tête, en queue & sur les flancs. « On ne perdit que ce qui n’avoit pu supporter la fatigue & la rigueur inexprimable du froid, qui avoient été l’un & l’autre au-delà de toute expression ». Cette belle retraite couta 7 à 800 hommes morts de froid dans les neiges, ou restés sans force de pouvoir suivre. M. le maréchal de Belleisle avoit la fievre depuis six jours lorsqu’il sortit de Prague ; cependant malgré cette maladie & ses autres incommodités, il soutint avec courage les fatigues

extraordinaires de cette pénible, mais célébre retraite, que les fastes militaires ne laisseront pas de faire passer à la postérité, avec les éloges dûs à la conduite & à la fermeté du général par lequel elle fut entreprise & exécutée.

L’antiquité fournit plusieurs exemples de troupes qui, par une retraite habilement conçue & exécutée, échaperent aux ennemis qui les bloquoient. Nous terminerons cet article par celui d’Annibal fils de Giscon, à Agrigente.

Les Romains avoient formé le blocus de cette ville de Sicile, qui servoit d’entrepôt aux Carthaginois. Il y avoit cinq mois qu’Annibal le soutenoit lorsque le sénat de Carthage envoya Hannon à son secours. Ce général ayant été battu par les Romains, Annibal qui n’avoit plus d’espérance d’être secouru, & qui manquoit de tout, fit des dispositions pour sauver sa garnison. Il sortit de la place avec ses troupes, la nuit même qui suivit le jour du combat. Il arriva sans bruit & sans obstacles aux lignes de circonvallation & de contrevallation des ennemis ; il en combla le fossé, & il fit sa retraite sans que les Romains s’en apperçussent que le lendemain. Ils détacherent des troupes après lui ; mais elles ne purent atteindre que son arriere-garde, à laquelle elles firent peu de mal. Voyez sur ce sujet l’histoire de Polybe, liv. I. ch. iij. (Q)

Retraite, battre la retraite ; c’est battre le tambour à une certaine heure du soir, pour avertir les soldats de se retirer à leurs quartiers dans les garnisons, ou à leurs tentes dans un camp. Voyez Tambour. Chambers.

Retraite, (Marine.) lieu où les pyrates se mettent en sureté.

Retraite des hunes, ou cargues des hunes, (Marine.) ce sont des cordes qui servent à trousser le hunier.

Retraite, terme de commerce de lettres-de-change ; c’est une somme tirée sur quelqu’un, & par lui retirée sur un autre. Les traites & les retraites ruinent les négocians. Voyez Traite. Dictionn. de comm. & de Trévoux.

Retraite, (Maréchal.) les Maréchaux ferrans appellent ainsi une portion de clou qui a resté dans le pié d’un cheval.

C’est aussi une espece de longe de cuir attachée à la bride du cheval de devant d’une charrette, & liée à un cordeau, dont on se sert pour manier le cheval.

Retraite, en fait d’escrime ; on dit faire retraite lorsqu’on se met tout-à-fait hors d’atteinte & des estocades de l’ennemi.

Ordinairement on fait retraite après une attaque vive, & après avoir détaché quelques bottes de reprises. La meilleure méthode de faire retraite, est de reculer simplement deux pas en arriere, en commençant par le pié droit, le faisant passer derriere le gauche, & ensuite le gauche devant le droit.

Il y en a qui font deux sauts en arriere, ils sont bien les maîtres, mais je ne conseille à personne de les imiter.

Retraite, (Architect.) est un petit espace qu’on laisse sur l’épaisseur d’un mur ou d’un rempart à mesure qu’on l’éleve. Voyez Muraille, Rempart.

C’est proprement la diminution d’un mur en-dehors, au-dessus de son empatement & de ses assises de pierre dure. On fait deux ou trois retraites en élévant de gros fondemens, les parapets sont toujours bâtis en retraite.

Retraite, s. f. terme de Bourrelier ; espece de longe de cuir attachée à la bride du cheval de devant, liée à un cordeau dont on se sert pour manier un cheval. Trévoux. (D. J.)

Retraite, mettre les cuirs en ; terme de Hongrieur