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mais Bosso, témoin oculaire, assure que le turc rejetta cet abaissement avec indignation.

Paul Jove dit qu’Alexandre VI. par un traité avec le sultan, marchanda la mort de Zizim. Le roi de France, qui dans des projets trop vastes, assuré de la conquête de Naples, se flattoit d’être redoutable à Bajazet, voulut avoir ce frere malheureux. Le pape, selon Paul Jove, le livra empoisonné. Il resta indécis si le poison avoit été donné par un domestique du pape, ou par un ministre secret du grand-seigneur. Mais on divulgua que Bajazet avoit promis 300 mille ducats au pape, pour la tête de son frere.

Je ne dois pas finir l’article de Pruse, sans remarquer que Dion, orateur & philosophe, naquit dans cette ville. Il vivoit sous Vespasien, Domitien & Trajan qui le consideroit, & qui s’entretenoit souvent avec lui. Son éloquence lui valut le surnom de Chrysostome ou bouche d’or. Il composa en latin quatre-vingt oraisons, orationes, que nous avons encore, & qui ont été imprimées à Paris, en 1604 & 1623, in-fol. 2. vol. Mais on n’y retrouve pas cette pureté de langage, cette grandeur de sentimens, cette noblesse de style, en un mot, cette éloquence romaine du beau siecle de Cicéron.

Pruse étoit aussi la patrie d’Asclépiade, un des célebres médecins de l’antiquité, dont j’ai dejà parlé au mot Médecine.

J’ajouterai seulement qu’il étoit contemporain de Mithridate, puisqu’il ne voulut pas aller à sa cour, où l’on tâcha de l’attirer par des promesses magnifiques. Fameux novateur entre les médecins dogmatiques, il rétablit la Médecine à Rome, environ 100 ans après l’arrivée d’Archagatus, & prit tout le contre-pié de ce médecin. Il ne proposa que des remedes doux & faciles, & se fit un très-grand parti. Il sçut encore gagner les esprits par ses manieres & par son éloquence. Il ne croyoit point que l’ame fût distincte de la matiere. Il composa plusieurs livres qui sont tous perdus. Pline, Celse & Galien en ont cité quelques-uns. Apulée, Celse & Scribonius Largus, lui donnent de grandes louanges. Quand donc Pline nous dit qu’Asclépiade s’engagea à ne point passer pour médecin s’il étoit jamais malade, & qu’il gagna la gageure ; c’est un conte qu’on ne doit pas croire à la légere, parce qu’il n’y a pas d’apparence qu’un philosophe comme Asclépiade, eût été assez fou pour risquer ainsi sans nécessité, sa réputation & sa gloire. Enfin un témoignage bien avantageux en son honneur, c’est qu’il a été le médecin & l’ami de Cicéron, qui faisoit d’ailleurs beaucoup de cas de son éloquence, preuve qu’Asclépiade ne quitta pas son métier de rhéteur faute de capacité. Mais pour vous instruire à fond du caractere & du mérite d’Asclépiade, il faut lire ce qu’en dit M. Daniel le Clerc dans son Hist. de la Médec. (Le Chevalier de Jaucourt.)

PRUSSE, (Géog. mod.) pays d’Europe, borné au nord par la mer Baltique, au midi par la Pologne, au levant par la Samogitie & la Lithuanie, au couchant par la Poméranie & le Brandebourg.

On ne sait point comment on appelloit anciennement les Prussiens : Ils ne le savent pas eux-mêmes. Tantôt on les confond avec les Allemans, tantôt avec les Polonois. Ils sont aujourd’hui mêlés des uns & des autres ; mais autrefois ils n’avoient aucun commerce avec ces peuples, aussi ne sont-ils point connus.

On rapporte comme une merveille, que sous l’empire de Néron, un chevalier romain passa de Hongrie jusque dans cette province, pour y acheter de l’ambre. Ils ont tiré leur nom des Borussiens, qui étant partis de la Scythie & des extrémités de l’Europe, où est la source du fleuve Tanaïs, s’arrêterent dans cette province qui avoit été pillée & abandonnée par les Goths.

Ils se rendirent néanmoins avec le tems redoutables à leurs voisins. Conrad duc de Mazovie, sur les terres de qui ils avoient fait de grands ravages, appella vers l’an 1230, les chevaliers teutoniques que les Sarrazins avoient chassés de Syrie. Ces chevaliers après de longues guerres dompterent les Prussiens, & y introduisirent le Christianisme : ils tournerent ensuite leurs armes contre la Pologne. Cette guerre se termina par un accord fait entre les Polonois & le margrave de Brandebourg, grand-maître de l’ordre teutonique. Il renonça à ses vœux, embrassa le Luthéranisme, se maria & partagea la Prusse, à condition que ce qu’il retenoit seroit une principauté séculiere, avec le titre de duc pour lui & ses descendans ; c’est ce qui distingue la Prusse polonoise de la Prusse ducale.

La Prusse polonoise est composée de quatre provinces ou palatinats ; savoir, celui de Marienbourg, de Culm, de Warmie, & de la Pomérellie. On y professe également la religion catholique, la luthérienne & la réformée.

La Prusse ducale, aujourd’hui royaume de Prusse, est partagée en trois cercles, le Samland, le Nataugen & le Hockerland. Les trois religions, la catholique, la luthérienne & la réformée y ont un libre exercice.

L’occasion de l’érection de la Prusse ducale en royaume, est connue. L’empereur Léopold ayant besoin de se faire un parti puissant en Europe, pour empêcher l’effet du testament de Charles II. roi d’Espagne, & connoissant que l’électeur de Brandebourg étoit un des princes d’Allemagne dont il pouvoit attendre les plus grands services, il profita du penchant que ce prince avoit naturellement pour la gloire, & voulant l’attacher étroitement à sa maison, il érigea le duché de Prusse en royaume héréditaire. En conséquence Fréderic, électeur de Brandebourg, fut couronné à Konigsberg le 18 Janvier 1701, reconnu en cette qualité par tous les alliés de l’empereur, & bientôt après, en 1713, par les puissances contractantes au traité d’Utrecht.

Fréderic Guillaume II. second roi de Prusse, dépensa près de 25 millions de notre monnoie, à faire défricher les terres, à bâtir des villes, & à les peupler. Il y attira plus de seize mille hommes de Saltzbourg, leur fournissant à tous de quoi s’établir, & de quoi travailler. En se formant ainsi un nouvel état, il créoit par une économie singuliere, une puissance d’une autre espece. Il mettoit tous les mois environ 60 mille écus d’Allemagne en réserve, ce qui lui composa un trésor immense en 28 ans de regne. Ce qu’il ne mettoit pas dans ses coffres, il l’employoit à former une armée de 80 mille hommes choisis, qu’il disciplina lui-même d’une maniere nouvelle, sans néanmoins s’en servir.

Son fils Fréderic II. fit usage de tout ce que le pere avoit préparé. L’Europe savoit que ce jeune prince ayant connu l’adversité sous le regne de son pere, avoit employé son loisir à cultiver son esprit, & à perfectionner tous les dons singuliers qu’il tenoit de la nature. On admiroit en lui des talens qui auroient fait une grande réputation à un particulier ; mais on ignoroit encore qu’il seroit un des plus grands monarques. A peine est-il monté sur le trône, qu’il s’est immortalisé par son code de lois, par l’établissement de l’académie de Berlin, & par sa protection des arts & des sciences, où il excelle lui-même. Devenu redoutable à la maison d’Autriche par sa valeur, par la gloire de ses armes, par plusieurs batailles qu’il a gagnées consécutivement, il tient seul aujourd’hui, par ses hauts faits, la balance en Allemagne, contre les forces réunies de la France, de l’impératrice reine de Hongrie, de la czarine, du roi de Suede, & du corps germanique. « Un roi qui ne se-