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est signifiée par le mot de triangle ; c’est-là une vérité réelle, qui emporte une connoissance réelle & instructive.

Comme nous n’avons que peu ou point de connoissance des combinaisons d’idées simples qui coexistent dans les substances, que par le moyen de nos sens, nous ne saurions faire sur leur sujet aucunes propositions universelles qui soient certaines, au-delà du terme où leurs essences nominales nous conduisent ; & comme ces essences nominales ne s’étendent qu’à un petit nombre de vérités très-peu importantes, eu égard à celles qui dépendent de leurs constitutions réelles ; il arrive de-là que les propositions générales qu’on forme sur les substances, sont pour la plûpart frivoles, si elles sont certaines ; & que, si elles sont instructives, elles sont incertaines, quelque secours que puissent nous fournir de constantes observations & l’analogie pour former des conjectures ; d’où il arrive qu’on peut souvent rencontrer des discours fort clairs & fort suivis qui se réduisent pourtant à rien ; car il est visible que les noms des substances étant considérés dans toute l’étendue de la signification relative qui leur est assignée, peuvent être joints avec beaucoup de vérité, par des propositions affirmatives & négatives, selon que leurs définitions respectives les rendent propres à être unis ensemble, & que les propositions composées de ces sortes de termes, peuvent être déduites l’une de l’autre avec autant de clarté, que celles qui fournissent à l’esprit les vérités les plus réelles ; & tout cela sans que nous ayons aucune connoissance de la nature ou de la réalité des choses existantes hors de nous. Selon cette méthode, l’on peut faire en paroles des démonstrations & des propositions indubitables, sans pourtant avancer par-là le moins du monde dans la connoissance de la vérité des choses. Chacun peut voir une infinité de propositions, de raisonnemens & de conclusions de cette sorte dans des livres de métaphysique, de théologie scholastique, & d’une certaine espece de physique, dont la lecture ne lui apprendra rien de plus de Dieu, des esprits & des corps, que ce qu’il en savoit avant d’avoir parcouru ces livres. Voyez l’article Vérité.

Mais pour conclure, voici les marques auxquelles on peut connoître les propositions purement verbales.

2°. Toutes les propositions, où deux termes abstraits sont affirmés l’un de l’autre, ne concernent que la signification des sons ; car nulle idée abstraite ne pouvant être la même avec une autre qu’avec elle-même, lorsque son nom abstrait est affirmé d’un autre terme abstrait, il ne peut signifier autre chose, si ce n’est que cette idée peut ou doit être appellée de ce nom, ou que ces deux noms signifient la même idée. Ainsi qu’un homme dise, que l’épargne est la frugalité ; que la gratitude est la reconnoissance, quelque spécieuses que ces propositions & autres semblables paroissent du premier coup d’œil, cependant, si l’on vient à en presser la signification, on trouvera que tout cela n’emporte autre chose que la signification de ces termes.

2°. Toutes les propositions, où une partie de l’idée complexe qu’un certain terme signifie, est affirmée de ce terme, sont purement verbales. Et ainsi toute proposition, où les mots de la plus grande étendue, qu’on appelle genres, sont affirmés de ceux qui leur sont subordonnés, ou qui ont moins d’étendue, qu’on nomme especes ou individus, est purement verbale.

En un mot, je crois pouvoir poser pour une regle infaillible, que par-tout où l’idée qu’un mot signifie, n’est pas distinctement connue & présente à l’esprit, & où quelque chose qui n’est pas déjà contenu dans cette idée, n’est pas affirmé ou nié, dans ce cas là

nos pensées sont uniquement attachées à des sons, & n’enferment ni vérité ni fausseté réelle : ce qui, si l’on y prenoit bien garde, pourroit peut-être épargner bien de vains amusemens & des disputes, & abréger extrèmement les tours & les détours que nous faisons pour parvenir à une connoissance réelle & véritable. Essai sur l’entendement humain de M. Loke.

Proposition, en Mathématiques, c’est un discours par lequel on énonce une vérité à démontrer, ou une question à résoudre. Dans le premier cas on l’appelle théorème ; par exemple, les trois angles d’un triangle sont égaux à deux angles droits, est un théorème. Voyez .

On l’appelle problème, quand la proposition énonce une question à résoudre ; comme trouver une proportionnelle à deux quantités données. Voyez Problème.

A la rigueur la proposition n’est simplement que l’énoncé du théorème ou du problème ; & dans ce sens on la distingue de la solution, qui recherche ce qu’il faut faire pour effectuer ce que l’on demande, & de la démonstration, qui prouve la vérité de ce qu’on a avancé : dans la solution on a fait ce qu’exigeoit la question proposée. Voyez Solution. (E)

Proposition, en Poésie, c’est la premiere partie & comme l’exorde du poëme, où l’auteur propose brievement & en général ce qu’il doit dire dans le corps de son ouvrage. On l’appelle autrement début. Voyez Poeme épique, &c.

La proposition, comme l’observe le P. le Bossu, doit seulement contenir la matiere du poëme, c’est-à-dire l’action & les personnes qui l’exécutent, soit humaines soit divines ; ce qui doit apparemment s’entendre des principaux personnages, car on courroit risque d’alonger extrèmement la proposition si elle devoit faire mention de tous ceux qui ont part à l’action du poëme.

On trouve tout cela dans les débuts de l’Iliade, de l’Odyssée & de l’Enéïde. L’action qu’Homere propose dans l’Iliade est la colere d’Achille ; dans l’Odyssée, le retour d’Ulisse ; & dans l’Enéïde Virgile a pour objet de montrer que l’empire de Troie a été transporté en Italie par Enée.

Le même auteur remarque que les divinités qui s’intéressent au sort des héros de ces trois poëmes sont nommés dans leur proposition. Homere dit que tout ce qui arrive dans l’Iliade se fait par la volonté de Jupiter, & qu’Apollon fut cause de la division qui s’éleva entre Agamemnon & Achille. Le même poëte dit dans l’Odyssée que ce fut Apollon qui empêcha le retour des compagnons d’Ulysse, & Virgile fait mention des destins, de la volonté des dieux & de la haine implacable de Junon qui met obstacle à toutes les entreprises d’Enée. Mais ces poëtes s’arrêtent principalement à la personne du héros ; il semble que lui seul soit plus la matiere du poëme que tout le reste. Voyez Heros.

Il y a cependant en ceci quelque différence dans les trois poëmes ; Homere nomme Achille par son nom, & même il lui joint Agamemnon : dans l’Odyssée & dans l’Enéïde, Ulysse & Enée ne sont point nommés, mais seulement désignés sous le nom générique de virum, héros ; de sorte qu’on ne les connoîtroit pas si l’on ne savoit déja d’ailleurs qui ils sont.

En suivant le sentiment du P. le Bossu sur la construction de l’épopée, cette derniere pratique avoit du rapport à la premiere intention du poëte, qui doit d’abord feindre son action sans noms, & qui ne raconte point l’action d’Alcibiade, comme dit Aristote, ni par conséquent celle d’Achille, d’Ulysse, d’Enée ou d’un autre particulier, mais d’une personne universelle, générale & allégorique ; mais n’est-ce pas s’attacher trop servilement aux mots ? Dic mihi, mu-