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refusons pas aux écrivains modernes, lorsqu’ils rapportent des faits dont nous n’avons pas été témoins.

Voilà à-peu-près toutes les différentes especes de prodiges physiques qui sont rapportés dans les anciens. Ils faisoient une partie considérable de l’histoire ; & quoiqu’ils n’eussent par eux-mêmes aucune liaison naturelle avec les évenemens politiques, l’adresse de ceux qui gouvernoient mettant la superstition des peuples à profit, ils se servoient de ces prodiges comme de motifs puissans pour faire prendre des résolutions importantes, & comme des moyens pour faciliter l’exécution des entreprises les plus considérables. Les anciens historiens ont donc eu raison de faire si souvent mention de ces prodiges, & ils ne pouvoient prévoir qu’il y auroit un tems où les hommes n’y feroient attention que pour en rechercher la cause physique, & pour satisfaire un léger mouvement de curiosité.

On reproche aux anciens historiens qu’ils rapportent ces prodiges comme étant persuadés non-seulement de leur vérité, mais encore de leur liaison avec les évenemens historiques, & cela parce qu’ils les joignent ordinairement ensemble. Il est facile de répondre à cette critique Premierement, quand il seroit vrai que tous ces historiens eussent regardé les prodiges de cette façon, je ne sai si c’est un reproche bien fondé. La croyance aux prodiges & à la divination conjecturale faisoit une partie de la religion chez les anciens, & l’on ne doit pas blâmer un historien pour n’avoir point attaqué dans ses ouvrages les traditions religieuses de la société, au milieu de laquelle il est & pour laquelle il écrit ; d’ailleurs ce n’est pas toujours une preuve qu’il en soit bien persuadé ; Cicéron, par exemple, qui ne passera jamais pour un homme trop crédule, rapporte dans sa troisieme harangue contre Catilina, n°. 18. tous les prodiges par lesquels les dieux avoient averti la république du danger qui la menaçoit, & cela du ton le plus dévot du monde. Néanmoins ce même Cicéron se moquoit des prodiges avec ses amis, & ne les regardoit que comme des effets produits par une cause physique & nécessaire : Ut ordiar ab aruspicinâ, quam ego reipublicæ causâ communisque religionis colendam censeo ; sed soli sumus ; licet verum exquirere sine invidiâ, dit-il, lorsqu’il parle en philosophe.

Mais, ajoute-t-on, ces historiens ne rapportent jamais des prodiges que dans des tems de guerre, & lorsqu’il arrive quelques évenemens surprenans. Je réponds 1° que ces écrivains n’ont point eu dessein de transmettre à la postérité la connoissance de tous les prodiges, mais seulement de ceux qui ont fait une forte impression sur l’esprit des peuples, & que l’on a regardés comme les signes de ces évenemens : 2° pour me servir des paroles de Cicéron en parlant de la même matiere : Hæc in bello, plura & majora videntur timentibus : eadem non tam animadvertant in pace. Les mêmes peuples, qui ne font aucune attention aux prodiges qu’ils apperçoivent pendant la paix, sont frappés de tous ceux qui se montrent pendant la guerre, lorsque la crainte des malheurs qui les menacent a tourné leurs esprits vers la dévotion : Quod evenire solet, dit Tite-Live, motis semel in religionem animis multa nuntiata & temerè credita.

Concluons qu’il n’est pas étonnant que les historiens ayent joint l’observation de certains prodiges avec les évenemens importans ; ils n’ont fait qu’imiter la conduite des peuples dont ils écrivoient l’histoire, & dont ils nous vouloient dépeindre le caractere. Les plus sensés nous en ont dit assez pour nous apprendre qu’ils n’étoient pas les dupes de la croyance populaire, mais quand ils ne l’auroient pas fait & qu’ils seroient convaincus de s’y être livrés, je ne sai, pour le répéter encore, s’ils seroient fort blâmables d’avoir été de la religion de leur pays, & d’avoir

cru avec le reste de leurs concitoyens que certains phénomenes rares & étonnans pouvoient être le signe de la volonté des dieux.

Ces phénomenes étoient véritables & réels pour la plûpart, & plusieurs exemples rapportés par les modernes prouvent qu’ils se rencontrent encore de tems en tems à nos yeux, & que l’on auroit grand tort d’insulter à la bonne foi des anciens qui en ont fait mention dans leurs ouvrages.

La Philosophie moderne, en même tems qu’elle a éclairé & perfectionné les esprits, les a néanmoins rendus quelquefois trop décisifs. Sous prétexte de ne se rendre qu’à l’évidence, ils ont cru pouvoir nier l’existence de toutes les choses qu’ils avoient peine à concevoir, sans faire reflexion qu’ils ne devoient nier que les faits dont l’impossibilité est évidemment démontrée, c’est-à-dire qui impliquent contradiction.

D’ailleurs il y a non-seulement différens degrés de certitude & de probabilité, mais encore différens genres d’évidence ; la Morale, l’Histoire, la Critique & la Physique ont la leur, comme la Métaphysique & les Mathématiques, & l’on auroit tort d’exiger, dans l’une de ces sciences, une évidence d’un autre genre que le sien. Le parti le plus sage, lorsque la vérité ou la fausseté d’un fait qui n’a rien d’impossible en lui-même, n’est pas évidemment démontrée, le parti le plus sage, dis-je, seroit de se contenter de le révoquer en doute, sans le nier absolument ; mais la suspension & le doute ont toujours été, & seront toujours un état violent pour le commun des hommes même philosophes.

La même paresse d’esprit qui porte le vulgaire à croire les faits les plus extraordinaires sans preuves suffisantes, produit un effet contraire dans plusieurs physiciens ; ils prennent le parti de nier les faits qu’ils ont quelque peine à concevoir, & cela pour s’épargner la peine d’une discussion & d’un examen fatiguant. C’est encore par une suite de la même disposition d’esprit qu’ils affectent de faire si peu de cas de l’étude, de l’érudition, ils trouvent bien plus commode de la mépriser que de travailler à l’acquérir, & ils se contentent de fonder ce mépris sur le peu de certitude qui accompagne ces connoissances, sans penser que les objets de la plûpart de leurs recherches ne sont nullement susceptibles de l’évidence mathématique, & ne donneront jamais lieu qu’à des conjectures plus ou moins probables du même genre que celles de la Critique & de l’Histoire, & pour lesquelles il ne faut pas une plus grande sagacité que pour celles qui servent à éclaircir l’antiquité.

Enfin ils devroient faire réflexion que pour l’intérêt même de la Physique & peut-être encore de la Métaphysique, il importeroit d’être instruits de bien des faits rapportés par les anciens, & des opinions qu’ils ont suivies. Les hommes des états civilisés ont eu à-peu-près autant d’esprit dans tous les tems, ils n’ont différé que par la maniere de l’employer ; quand même il seroit vrai que notre siecle eut acquis une méthode de raisonner, inconnue à l’antiquité, ne nous flattons pas d’avoir donné par-là une étendue assez grande à notre esprit pour qu’il doive mépriser les connoissances & les réflexions de ceux qui nous ont précédés. (D. J.)

PRODIGIEUX, adj. (Gram.) qui tient du prodige Voyez Prodige. On dit un événement prodigieux ; un jugement prodigieux ; une mémoire prodigieuse. Il n’y a rien de prodigieux pour celui qui a étudié la nature, ou tout l’est également pour lui.

PRODIGUE, s. m. (Gram.) celui qui dissipe son bien sans raison. Voyez Prodigalité.

PRODIGUER, v. act. (Gram.) répandre, accorder, donner sans jugement. On prodigue son argent,