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auroit pu en tirer du profit, ou il n’y perd rien. Dans le premier cas, pourquoi seroit-il toujours obligé indispensablement à préferer l’avantage du débiteur au sien propre ? Dans l’autre cas, il n’est pas plus obligé par cette seule considération, de prêter gratuitement son bien, qu’un homme qui a deux maisons, dont l’une lui est inutile, n’est tenu d’y loger un ami, sans exiger de lui aucun loyer. (Le Chevalier de Jaucourt.)

Prêt a consomption, (Droit naturel.) en latin mutut datio ; contrat par lequel nous donnons à quelqu’un une chose susceptible de remplacement, à la charge de nous rendre dans un certain tems autant qu’il a reçu de la même espece, & de pareille qualité. Mutui datio, dit le droit romain, in iis rebus consistit, quæ pondere, numero, mensurâ constant : veluti vino, oleo, frumento, pecuniâ numeratâ, oere, argento, auro, quas res, aut numerando, aut metiendo, aut adpendendo, in hoc damus, ut accipientium fiant. Et quoniam nobis non eadem res, sed aliæ ejusdem naturæ, & qualitatis redduntur : inde etiam mutuum appellatum est, quia ita à me tibi datur, ut ex meo tuum fiat. Instit. lib. III. tit. 15.

Les choses que l’on prête à consomption, sont dites susceptibles de remplacement, parce que chacune tient lieu de toute autre semblable, ensorte que quiconque reçoit autant qu’il avoit donné, de la même espece, & de pareille qualité est censé recouvrer la même chose précisément ; tel est l’argent monnoyé prêté, l’or massif, & les autres métaux non-travaillés, le blé, le vin, le sel, l’huile, la laine, le pain.

Les choses qui entrent dans le prêt à consomption, se donnent au poids, au nombre & à la mesure qui servent à déterminer & spécifier ce qu’il faut rendre ; & c’est pour cela qu’on les désigne par le nom de quelque quantité, au lieu que les autres sont appellées des choses en espece : on dit, par exemple, je vous prête mille écus, trois mille livres de fer, vingt boisseaux de blé, dix muids de vin, cent mesures d’huile.

Le caractere propre des choses susceptibles de remplacement, est qu’elles se consument par l’usage. Or, il y a deux sortes de consomption, l’une naturelle, & l’autre civile. La consomption naturelle a lieu ou en matiere de choses qui périssent d’abord par l’usage, comme celles qui se mangent ou qui se boivent, ou en matiere de choses, qui sont d’ailleurs sujettes à se gâter aisément, quand même on n’y toucheroit pas, tels que sont les fruits des arbres, &c. car pour celles qui s’usent insensiblement à mesure qu’on s’en sert, mais qui ne périssent pas tout-à-fait comme les habits, la vaisselle de terre, &c. elles n’appartiennent point ici.

La consomption civile a lieu dans les choses dont l’usage consiste en ce qu’on les aliene, quoiqu’en elles-mêmes, elles subsistent toujours. Tel est non seulement l’argent monnoyé, mais encore tout ce que l’on troque, comme aussi ce que l’on donne pour être employé à bâtir, ou pour entrer dans toute autre composition, ou dans tout autre ouvrage. Sur ce pié-là, il y a deux sortes de choses susceptibles de remplacement, les unes qui sont telles de leur nature, & invariablement ; les autres qui dépendent de la volonté arbitraire des hommes, & d’une destination variable. Les premieres sont celles dont l’usage ordinaire consiste dans leur consomption ou naturelle, ou civile. Je dis l’usage ordinaire, car quoique l’on puisse quelquefois prêter, par exemple, une somme d’argent, simplement pour la forme, ou pour la parade, & une poutre pour appuyer un échaffaudage, cependant, comme cela est rare, on n’y a aucun égard en matiere de lois, qui roulent sur ce qui arrive ordinairement.

L’autre classe de choses susceptibles de remplace-

ment, renferme celles qui, quoiqu’on puisse s’en servir

& les prêter sans qu’elles se consument, sont souvent destinées à être vendues, ou à entrer dans le commerce, ensorte que, selon la destination de celui de qui on les emprunte, c’est tantôt un prêt à consomption, & tantôt un prêt à usage. Lors, par exemple, qu’un homme qui a une bibliothèque pour son usage me prête un livre qui lui est précieux, par des notes manuscrites, ou autres raisons particulieres, il entend, que je lui rende le même exemplaire ; de sorte que, quand je voudrois lui en donner un autre aussi bien conditionné, il n’est pas obligé ordinairement de s’en contenter. Mais, si celui de qui j’ai emprunté un livre est marchand libraire, ou fait trafic de livres, il suffit que je lui rende un autre exemplaire aussi bien conditionné, parce que, comme il ne gardoit ce livre que pour le vendre, il lui doit être indifférent, que je lui rende l’exemplaire même qu’il m’a donné, ou un autre semblable.

Il en est de même des marchandises, hormis de celles qui sont extrèmement rares, ou travaillées avec beaucoup d’art, comme certaines drogues peu communes, une montre, des instrumens de musique, de mathématiques, une pompe pneumatique, ou autres machines à faire des expériences, &c. car il est bien difficile d’en trouver qui soient précisément de même qualité & de même bonté, ensorte qu’elles puissent tenir lieu de telle ou telle que l’on a empruntée.

On prête toutes ces choses gratuitement, ou en stipulant du débiteur un certain profit, qui n’a lieu communément que pour l’argent monnoyé, à l’égard duquel le prêt non gratuit se nomme prêt à usage ou prêt à intérêt. Voyez Prêt à intérêt. Droit naturel, civil & religion. (D. J.)

Prêt a usage, (Droit naturel.) en latin commodatum, contrat bienfaisant, par lequel on accorde à autrui gratuitement l’usage d’une chose qui nous appartient. Le droit romain définit ce contrat en ces mots : Commodatum propriè intelligitur, si nullâ macede acceptâ, vel inconstitutâ, res tibi utenda data est.

Voici en général les regles de ce contrat.

1°. On doit garder & entretenir soigneusement la chose empruntée. De quelque maniere qu’on ait entre les mains le bien d’autrui, on est obligé par le droit naturel & indépendamment des lois civiles à en prendre tout le soin dont on est capable, c’est-à-dire comme des choses qui nous appartiennent & que nous affectionnons. Lorsqu’on a porté jusques-là l’attention & la diligence, c’est tout ce que peuvent demander les intérêts, à-moins qu’on ne se soit clairement engagé à quelque chose de plus. Que si la conservation de notre propre bien se trouve en concurrence avec celle du bien d’autrui, ensorte qu’on ne puisse point vaquer en même-tems à l’un & à l’autre, il est naturel que le premier emporte la balance, chacun pouvant, toutes choses égales, penser à soi plutôt qu’aux autres, de sorte que cet ordre ne doit être renversé que pour satisfaire à un engagement exprès ou tacite.

Le but & la nature du prêt à usage considéré en lui-même ne demande rien de plus que de maintenir la chose prêtée avec tout le soin possible, quand même d’autres personnes plus propres ou plus avisées auroient pû la manier plus délicatement, & la mieux conserver ; mais, dans ce prêt, il se trouve ordinairement une convention tacite, par laquelle on s’engage non-seulement à dédommager le propriétaire au cas que la chose empruntée se trouve gâtée, mais encore à la payer, si elle vient à périr entre nos mains, même sans qu’il y ait de notre faute, pourvu qu’elle eût pû se conserver entre les mains de celui qui l’a prêtée. En effet, peu de gens voudroient prêter sans