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mens reprirent leur valeur, & attirerent l’attention des médecins ; mais le pouls ne rentra point dans ses droits, le préjugé contre la doctrine de Galien sur le pouls étoit invincible, tout ce qu’il avoit dit passoit pour un fatras d’absurdités & de fictions ; & cette idée n’étoit malheureusement fausse que parce qu’elle étoit trop générale. Les remarques très-judicieuses de cet auteur sur les pouls critiques resterent confondues avec les fables dont elles étoient environnées, ne percerent point, ne frapperent point les observateurs ; le seul pouls ondulant qui annonce la sueur critique, fut transmis dans les livres, mais jamais employé par le praticien. Boerrhaave s’écrioit du fond de son cabinet : sed & accuratissime est observandus pulsus, &c. « il faut observer le pouls avec une extrème attention, il est un sûr indice de la matiere morbifique lorsqu’elle va se mouvoir, qu’elle se meut, qu’elle est prête à être chassée hors du corps, & que l’excrétion commence à s’en faire, il dénote aussi très-bien le tems le plus convenable pour l’administration des remedes, &c ». Institut. medic. n°. 970. Mais au lit du malade ce théoricien célebre ne tiroit aucune lumiere du pouls ; il semble que l’éloge qu’il en fait soit le fruit d’une pratique conforme, point du tout ; c’est la façon de Boerrhaave, toujours brillant & animé lorsqu’il écrit d’après son imagination, lorsqu’il donne des préceptes ; mais timide & froid lorsqu’il s’agit de les exécuter, & hors d’état de bien observer. Les vérités lumineuses qu’il seme quelquefois dans ses écrits partent d’une imagination vive, qui lui représente l’avenir comme présent, & souvent plutôt ce qui doit, ou pourroit être, que ce qui est en effet. Ce n’est que dans la doctrine que nous allons exposer que le pouls remplit exactement les promesses de Boerrhaave ; & avant Solano, on n’imaginoit pas qu’on pût en tirer le moindre parti pour la prédiction des crises. On n’a qu’à consulter l’article Crise, article très-détaillé, sait par l’auteur des recherches sur le pouls, où il ne donne rien de sa doctrine postérieure à la composition de cet article, & à l’impression du quatrieme volume dans lequel il est contenu. Ce Dictionnaire pourra servir d’époque & de monument à bien des découvertes précieuses. Voici quelle fut l’origine & l’occasion de celle-ci.

Solano étudiant en Médecine en 1707, suivoit en pratique dans les hôpitaux dom Joseph Pablo, professeur, &c. il observa souvent le pouls rebondissant ; il en demanda la raison, & ce qu’il signifioit à dom Pablo, qui lui dit de ne pas faire attention à ces bagatelles qui ne provenoient que des vapeurs fuligineuses ; s’il lui avoit répondu avec nos modernes que ces variations bizarres du pouls n’étoient que des irrégularités de peu d’importance fort communes à certains états de spasme & d’irritation, il eût donné une explication moins ridicule ; mais il n’en auroit pas moins substitué, comme le remarque M. Bordeu, des idées vagues aux nouvelles observations qu’il s’agissoit de faire sur un fait qui méritoit d’être approfondi. Cet exemple peut être présenté en maniere d’apologue à ceux qui seroient tentés d’être aussi prompts dans leur décision sur cette matiere que Joseph Pablo. Solano ne se rebutant point, il continua ses remarques & ses observations ; il vit avec plaisir & une surprise inexprimable survenir une hémorrhagie du nez à un malade auquel il avoit trouvé ce pouls rebondissant ; il réitéra de pareilles observations qu’il étendit aux sueurs & aux diarrhées ; il trouva qu’elles étoient constamment précédées, l’une du pouls intermittent, & l’autre du pouls que Galien appelle ondulant, & auquel il donne le nom d’inciduus ; il vit aussi quelque correspondance entre le pouls intermittent mou & l’excrétion des urines, entre l’intermittent dur & le vomissement ; il vint à bout de se faire des regles assez sûres là-dessus, & il étonna d’abord

tout le monde par la nouveauté & la justesse de ses prédictions ; il en rendit plusieurs fois témoins les autres médecins, qui d’abord par une jalousie naturelle & particulierement attachée à la profession, furent ses ennemis ; mais ils ne tarderent pas à rendre témoignage à la vérité, & devinrent ensuite ses amis, ses écoliers & ses admirateurs. Bel exemple qu’on pourroit proposer aujourd’hui à bien des médecins à qui il ne resteroit que la moitié de l’ouvrage à faire, mais la plus noble & la plus difficile ! Les observations de Solano se trouvent répandues dans l’idioma de la natura lezza, ouvrage espagnol peu connu, & dans le lapis lydius Apollinis, immense & ennuyeux in-folio, que nous ne connoissons que par l’extrait qu’en a donné M. Nihell, médecin irlandois, qui restoit à Cadix. Ce livre lui étant tombé entre les mains, il trouva la matiere si importante & si embrouillée, qu’il prit le parti d’aller à Antequerra voir dom Solano, & lui demander les éclaircissemens dont il avoit besoin ; il eut occasion par-là d’être témoin lui-même de la justesse des prédictions de ce médecin faites sur ces principes ; il recueillit de nouvelles observations des autres médecins, ramassa les attestations les plus anthentiques, & il fit ensuite lui-même d’heureuses applications de ces regles ; il forma de tous ces matériaux un recueil intéressant, qui contient, outre la doctrine de Solano éclaircie, commentée, corrigée & confirmée par plusieurs observations, des remarques très-judicieuses sur le parti qu’on peut tirer de cette importante découverte. C’est une obligation que la Médecine & l’humanité ont à cet auteur, d’avoir mis les idées du praticien espagnol dans un nouveau jour, & de les avoir arrachées à l’oubli dans lequel les auroit laissé tomber la négligence indolente de cette nation. Cet ouvrage est écrit en anglois, d’où il a été traduit en latin par M. Noorthwyk, & en françois par M. de la Virotte, sous ce titre : observations nouvelles & extraordinaires sur la prédiction des crises par le pouls, &c. par dom Solano de Lucques, enrichies de plusieurs cas nouveaux, par M. Nihell, &c. chez Debure, Paris 1748.

M. Bordeu ne doit ses premieres idées sur ce sujet, comme il l’annonce lui-même, qu’à la maniere dont il fut frappé plusieurs fois de quelques modifications du pouls qui lui paroissoient singulieres ; cependant il n’osoit encore les regarder que comme des mouvemens bizarres & presque de nulle conséquence ; ce ne fut qu’après avoir vu la traduction de l’ouvrage de Nihell qu’il comprit l’importance & la valeur de ses premieres observations, & qu’il s’attacha sérieusement à les suivre & à les confirmer, soit dans le cours de sa pratique ordinaire, soit dans les hôpitaux où il passoit des journées entieres pendant plusieurs années ; cette assiduité extrème, & sur-tout un génie observateur que la nature seule donne, le mirent bien-tôt en état de confirmer, de perfectionner & d’étendre les observations de Solano, & il eut plus d’une occasion brillante de faire admirer la force, la certitude & la précision de ses pronostics. Ses observations se trouvent exposées au nombre de près de deux cens dans ses recherches sur le pouls par rapport aux crises, à Paris, chez Debure 1756 ; ouvrage précieux, non-seulement par cette multitude de faits intéressans qui y sont rassemblés, mais encore par le corps de doctrine suivi qui y est répandu, & par les réflexions justes dont il est rempli sur la marche, la nature, les terminaisons des maladies, l’évaluation de l’action des remedes, &c. aussi a-t-il obtenu le comble des honneurs littéraires, c’est-à-dire, l’approbation & les applaudissemens des juges impartiaux & éclairés, & le blâme & les censures des envieux & des ignorans. Cependant on y desireroit des remarques plus suivies, plus détaillées sur les avantages qu’on peut en retirer dans le traitement des ma-