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tage ne prenant le pouls mol pour un signe mortel. Il n’est tel que lorsqu’il est parvenu au dernier degré de relâchement, & qu’on l’appelle lâche & vuide ; quantité d’observations prouvent que le pouls modérément mou à la fin des maladies, est dans certains cas un signe très-favorable ; le pouls petit est un signe très-équivoque de foiblesse ; cette idée peut induire dans bien des erreurs. J’ai vû souvent périr des malades réputés foibles & traités en conséquence par les cordiaux, les spiritueux, parce que le médecin ignoroit qu’au commencement des maladies & dans d’autres cas le pouls est souvent enfoncé, profond, petit, &c. sans être foible, & qu’une saignée auroit relevé ce pouls, & fait avec succès l’office de cordial. De même le pouls grand fait tomber dans les mêmes fautes ceux qui le confondent avec le fort ; on saigne, on affoiblit tandis qu’il ne faudroit rien faire ou fortifier, & cependant le malade meurt victime de l’ignorance de l’empirique qui le traite. Erreur encore de la part de ces médecins, qui pensent que le pouls intermittent est un signe mortel. Nous prouverons par des faits qu’il annonce souvent la guérison prochaine ; erreur encore de la part de ceux qui regardent toutes les inégalités du pouls comme des variations bisarres dépendantes d’un défaut dans la situation, ou le tissu des arteres, ou d’un état d’irritation & de spasme. Il est évident qu’ils substituent à des faits qu’ils devroient indiquer des raisonnemens vagues & purement arbitraires ; erreur encore, mais en voilà assez pour faire connoître la façon de penser de ces médecins. Nous lasserions nos lecteurs & nous les ennuyerions en les promenant ainsi d’erreurs en erreurs ; ce que nous avons dit suffit pour faire juger du reste, & pour faire conclure que les Méchaniciens n’ont aucune idée raisonnable sur le pouls, que leur système vague dans les différences, faux dans l’étiologie, est encore plus vague, plus faux, plus inutile, & même dangereux dans les présages.

Doctrine du pouls suivant la musique. Hérophile est le premier qui ait fait attention au rapport qu’on pouvoit établir entre les battemens des arteres & les notes de musique ; on assure que sa doctrine du pouls étoit fondée là-dessus ; il est aussi certain qu’il en a emprunté les mots de rythme, ρυθμος, ou cadence, qu’il emploie très-souvent pour indiquer les différences & l’état du pouls. Voyez Rythme ; mais la perte de ses ouvrages & des commentaires que Galien en avoit faits nous ôte les moyens de nous éclaircir sur ce point, & de satisfaire la curiosité du lecteur ; depuis lui Avicenne, Savonarola, saxon, Fernel, & plusieurs autres médecins, s’étoient proposés de faire le parallele des cadences de la musique avec le pouls, mais ils n’ont point exécuté leurs projets ; Samuel Hafen Refferus, médecin allemand, fit imprimer en 1601, un traité sur cette matiere intitulé mono-chordon symbolico-bio-manticum ; il nous a été impossible de nous procurer cet ouvrage. Enfin M. Marquet, médecin de Nancy, donna en 1747 un essai fort abrégé, où il expose la nouvelle méthode, facile & curieuse pour apprendre par les notes de musique à connoître le pouls de l’homme & ses différens changemens, &c. Nancy 1747. La doctrine qu’il établit sur les différences, les causes & les présages du pouls n’est qu’un mélange absurde & singulier de quelques dogmes des Galénistes, des Méchaniciens, & des Chimistes : il rejette avec les Méchaniciens une grande partie des pouls adoptés par les Galénistes. « Les pouls, dit-il, qu’on appelle raboteux, ondés, résonnans, arrondis, longs, courts, pétulens, enflés, évaporés, suffoqués, solides ou massifs, dirigés à queue de souris, sont tous imaginaires (ch. xxx. ») Il admet avec Galien les pouls doubles ou directs, tremblans, défaillans, vermiculaires, fourmillans & profonds, superficiels, caprisans, convulsifs, &c.

Il place les causes du pouls dans le mouvement du sang, ou dans les contractions du cœur qui sont entretenues depuis la naissance jusqu’à la mort, par le mouvement d’expiration & d’inspiration (chap. j.) « De façon, dit-il plus bas, que nous établissons le mouvement du poumon respectivement à celui du cœur pour la cause prochaine de la circulation du sang, du battement du cœur & des arteres (ibid. pag. xiv. »). Les causes qui font varier le pouls, qui le rendent non naturel, dépendent de la quantité ou de la qualité du sang vivisiées, ou du défaut de proportion des vaisseaux avec le sang ; il a sur ce sujet les mêmes idées à-peu-près que les Méchaniciens, il ajoute quelquefois avec les Chimistes, pour cause des pouls inégaux, les excès réciproques des parties sulfureuses, salines, globuleuses, &c. La partie sulfureuse dégagée & abondante produit un pouls grand & véhément, la saline un pouls intermittent, la sereuse un pouls petit, foible, tardif, la globuleuse un pouls frequent ; & lorsque ces causes se trouvent réunies & agir ensemble sur le pouls, il en resulte cette espece de pouls que l’on appelle convulsif. Le pouls intercadent, échappé ou intermittent doit son origine à des bulles d’air qui entrent dans le sang, & qui rendent dans les endroits où elles se trouvent la dilatation de l’artere imperceptible ; qu’on juge par-là des idées, du génie & des lumieres de l’auteur : les présages qu’il tire des différens pouls répondent à la certitude de sa théorie ; ils sont conformes à ceux des Méchaniciens : nous ne nous étendrons pas davantage là-dessus, & nous négligerons de faire sur cette doctrine des réflexions que tout le monde peut faire, nous nous hâtons de passer à la partie neuve & plus intéressante de son ouvrage, qui regarde la maniere de tâter le pouls.

Notre auteur exige, « Que celui qui veut s’instruire de ses principes, ait au-moins quelque legere teinture de musique, afin qu’en battant la mesure reglée, il s’accoûtume à connoître au juste la cadence du pouls, en la comparant à celle de la musique » : il faut aussi supposer dans les lecteurs la connoissance des principes de cet art, pour pouvoir lire son traité & connoître la valeur des figures sous lesquelles il peint les différentes especes de pouls. Voyez dans ce Dictionnaire les articles de musique, Noire, Blanche, Croche, Double-croche &c. Le pouls naturel qui sert de mesure & de point de comparaison pour les autres, est censé battre soixante fois dans une minute, toutes les pulsations ont la même force, la même cadence, & le même intervalle qui est de cinq tems entre chaque pulsation ; il égale ordinairement la cadence d’un menuet en mouvement, de façon que les pulsations battent la mesure d’un menuet qu’on chantera ou jouera pendant qu’on tate le pouls : ce pouls dont toutes les qualités sont égales & tempérées est marqué par des noires placées entre deux paralleles, & qui sont séparées par cinq petites lignes qui représentent les cinq tems ; chaque pulsation ou chaque noire qui en est la figure est à côté d’une grande ligne qui indique chaque cadence ou mesure du menuet qui est noté par-dessous : voici la figure qu’il en donne.

Le pouls naturel dont il est ici question est le pouls des adultes, car les enfans ont le pouls beaucoup plus vîte ; leur pouls, dit notre auteur, tierce la marche de celui des adultes, ou va plus vîte d’un tiers.