le noir : on assure du moins que ce fut le premier qui enseigna l’usage de la poudre aux Vénitiens en 1380, pendant la guerre qu’ils eurent avec les Génois ; qu’elle fut employée pour la premiere fois contre Laurent de Médicis, dans un lieu qui s’appelloit autrefois fossa Clodia, aujourd’hui Chioggia, & que toute l’Italie s’en plaignit comme d’une contravention manifeste aux lois de la bonne guerre.
Mais ce qui fait connoître que l’invention de la poudre est beaucoup plus ancienne, c’est que Pierre Mexia dit, dans ses leçons diverses, que les Mores étant assiégés en 1343, par Alphonse XI. roi de Castille, ils tirerent certains mortiers de fer, qui faisoient un bruit semblable au tonnerre ; ce qui est confirmé par dom Pedre, évêque de Léon, qui dans la chronique du roi Alphonse, qui fit la conquête de Tolede, rapporte que dans un combat naval, entre le roi de Tunis & le roi more de Séville, il y a plus de 400 ans, ceux de Tunis avoient certains tonneaux de fer dont ils lançoient des foudres. Ducange ajoute que les registres de la chambre des comptes font mention de poudre à canon dès l’année 1338. Voyez Canon.
En un mot, il paroit que Roger Bacon eut connoissance de la poudre plus de 150 ans avant la naissance de Schwartz. Cet habile religieux en fait la description en termes exprès dans son traité de nullitate magiæ, publié à Oxfort en 1216. Vous pouvez, dit-il, exciter du tonnerre & des éclairs quand vous voudrez ; vous n’avez qu’à prendre du soufre, du nitre, & du charbon, qui séparément ne font aucun effet, mais qui étant mêlés ensemble & renfermés dans quelque chose de creux & de bouché, font plus de bruit & d’éclat qu’un coup de tonnerre.
Maniere de faire la poudre à canon. Il y a plusieurs compositions de la poudre à canon, par rapport aux doses de ces trois ingrédiens ; mais elles reviennent à-peu-près au même dans la plûpart des écrivains pyrotechniques.
Le soufre & le salpêtre ayant été purifiés & réduits en poudre, on les met avec de la poussiere de charbon dans un mortier humecté d’eau ou d’esprit-de-vin, ou de quelque chose de semblable : on pile le tout pendant vingt-quatre heures, & l’on a soin de mouiller de tems en tems la masse pour l’empêcher de prendre feu ; enfin on passe la poudre au crible, ce qui lui donne la forme de petits grains ou globules que l’on fait sécher pour la derniere façon ; car la moindre étincelle que l’on feroit tomber dessus d’un briquet, enflammeroit le tout sur-le-champ, & causeroit un éclat des plus violens.
Il n’est pas difficile de rendre compte de cet effet, car le charbon qui se trouve sur le grain où tombe l’étincelle, prenant du feu comme une amorce, le sel & le nitre se fondent promptement, le charbon s’enflamme, & dans le même instant tous les grains contigus subissent le même sort ; on sait d’abord que le salpêtre étant igné, se raréfie à un degré prodigieux. Voyez Salpêtre & Raréfaction.
Newton raisonne sur cette matiere en ces termes : Le charbon & le soufre qui entrent dans la poudre prennent feu aisément & allument le nitre ; & l’esprit de nitre étant raréfié par ce moyen se tourne en vapeur & s’échappe avec éclat, à-peu-près de la même maniere que la vapeur de l’eau sort d’un éolipyle ; de même le soufre étant volatile, il se change en vapeur & augmente l’éclat. Ajoutez que la vapeur acide du soufre, & en particulier celle qui se distille sous une cloche, en huile de soufre, venant à entrer avec violence dans le corps fixe du nitre, déchaîne l’esprit du nitre, & excite une plus grande fermentation, ce qui augmente encore la chaleur, de sorte que le corps fixe du nitre en se raréfiant, se change aussi en fumée, & rend l’explosion plus
promte & plus violente ; car si on mêle du sel de tartre avec de la poudre à canon, & que l’on échauffe ce mélange jusqu’à ce qu’il prenne feu, l’explosion sera plus prompte & plus violente que celle de la poudre seule, ce qui ne peut venir que de la vapeur de la poudre qui agit sur le sel de tartre, & raréfie ce sel. Voyez Poudre fulminante.
L’explosion de la poudre à canon naît donc de l’action violente par laquelle tout le mélange étant promptement échauffé, se raréfie, & se change en fumée & en vapeur par la violence de cette action, s’échauffant au point de jetter une lueur ; elle paroit aux yeux en forme de fumée. Voyez Feu.
M. de la Hire attribue toute la force & tout l’effet de la poudre au ressort ou élasticité de l’air renfermé dans les différens grains de la poudre, & dans les intervalles ou espaces qui se trouvent entre ces grains : la poudre étant allumée donne du jeu au ressort de toutes ces petites parties d’air & les dilate tout-à-la-fois ; c’est-là ce qui fait l’effet, la poudre même ne servant qu’à allumer un feu qui puisse mettre l’air en mouvement, après quoi tout le reste se fait par l’air seul. Voyez Air.
La poudre à canon est une matiere de grande conséquence, tant pour la spéculation que pour la guerre, & pour le commerce, dans lequel il s’en fait un débit incroyable, & elle mérite que nous entrions dans un détail encore plus particulier sur ce qui la regarde.
Pour faire donc de la bonne poudre, il faut avoir soin que le salpêtre soit bien purifié, & qu’il paroisse comme de beaux morceaux de crystal, autrement il faut le purifier en lui ôtant tout le sel fixe ou commun & les parties terrestres : cela fait, il faut dissoudre dix livres de nitre dans une quantité suffisante d’eau claire ; faites reposer, filtrer, & évaporer le tout dans un vaisseau verni jusqu’à ce qu’il soit diminué de moitié, ou jusqu’à ce qu’il paroisse au-dessus une petite peau ; pour-lors vous pouvez ôter le vaisseau de dessus le feu & le mettre à la cave. En vingt-quatre heures de tems, les crystaux s’étant formés, il faut les séparer de la liqueur ; continuez de même à crystaliser ainsi plusieurs fois la liqueur jusqu’à ce que tout le sel en soit tiré ; mettez ensuite ces crystaux dans un chaudron, & le chaudron sur une fournaise où il n’y ait d’abord qu’un feu modéré, que vous augmenterez par degrés jusqu’à ce que le nitre commence à fumer, à s’évaporer, à perdre son humidité, & à devenir d’un beau blanc. Pendant ce tems-là il faut le remuer continuellement avec une cuillere à pot, de peur qu’il ne reprenne sa premiere forme, par ce moyen vous lui ôterez toute sa graisse & ordure. Versez ensuite dans le chaudron assez d’eau pour en couvrir le nitre ; & lorsqu’il se trouve dissout & réduit à la consistance d’une liqueur épaisse, il faut le remuer avec la cuillere, sans aucune interruption, jusqu’à ce que toute l’humidité se soit évaporée de nouveau, & que le nitre soit réduit à une forme seche & blanche. Il faut prendre les mêmes précautions pour le soufre, en choisissant celui qui se trouve en gros volume, clair, & d’un beau jaune, qui ne soit point extrèmement dur ni compacte, mais poreux ; cependant il ne faut pas qu’il soit trop luisant ; si en l’approchant du feu il se consomme entierement & ne laisse après lui que peu ou point de matiere, c’est une marque de sa bonté ; de même, si on le presse entre deux plaques de fer assez chaudes pour le faire couler, & qu’en coulant il paroisse jaune, de sorte cependant que la matiere qui reste soit de couleur rougeâtre, on peut conclure qu’il fera de la bonne poudre : mais si le soufre renferme beaucoup de matieres hétérogenes, on peut le purifier de cette maniere : Faites fondre le soufre dans une grande cuillere ou pot de fer sur