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S’étant sur ce chapitre expliquée aujourd’hui,
Ne veut se laisser voir à personne qu’à lui.
J’en suis fâché, monsieur ; car pour ne vous rien taire,
Vous ne sauriez la voir.

Le médecin.

Vous ne sauriez la voirIl n’est pas nécessaire.
Et je puis sans cela la guérir dès ce soir.

Géronte.

Quoi ! vous la guérirez sans la voir ?

Le médecin.

Quoi ! vous la guérirez sans la voir ?Sans la voir.

Cela ne sert de rien.

Géronte.

Cela ne sert de rienL’admirable méthode !
Je suis ravi, monsieur, de vous voir si commode ;
Et sans perdre de tems, puisque votre bonté
Veut bien lever pour nous cette difficulté,
Je vous vais de son mal, faire un récit sincere,
Afin que vous sachiez,

Le médecin.

Afin que vous sachiez,Il n’est pas nécessaire.
Que je le sache ou non, tout cela m’est égal.

Géronte.

Quoi, monsieur, sans la voir, & sans savoir son mal,
Vous guérirez ma fille ?

Le médecin.

Vous guérirez ma fille ?Et cent autres comme elle !
J’ai trouvé, pour guérir, une mode nouvelle,
Prompte, sûre, agréable, & facile.

Géronte.

Prompte, sûre, agréable, & facileTant mieux !

Crispin.

Voici quelque sorcier,

Eraste.

Voici quelque sorcier,Ou quelque cerveau creux.

Géronte.

Puisque vous ne voulez ni la voir, ni l’entendre,
Dites-nous que faut-il, monsieur, lui faire prendre ?

Le médecin.

Rien du tout.

Géronte.

Rien du toutRien du tout ! Quand vous traitez quelqu’un,
Quoi ! Vous n’ordonnez pas quelque remede ?

Le médecin.

Quoi ! Vous n’ordonnez pas quelque remede ?Aucun.

Géronte.

Ni sans savoir son mal, sans le voir, sans remede,
Vous le guérissez ?

Le médecin.

Vous le guérissez ?Oui.

Géronte.

Vous le guérissez ? Oui.Certes il faut qu’on vous cede :
Les autres médecins vont être désolés.

Le médecin.

Les autres médecins, monsieur, dont vous parlez,
Sont gens infatués d’une vieille méthode ;
Qui n’ont pas le talent d’inventer une mode
Pour guérir un malade.

Géronte.

Pour guérir un malade.Allons de grace au fait.
Quelle cause produit ce surprenant effet ?
Que faut-il pour guérir Lucile, qui s’obstine ?

Le médecin.

De ses ongles rognés, ou bien de son urine,
Ou même si l’on veut de ses cheveux ; après
Par l’occulte vertu d’un mixte que je fais,
Je prétens la guérir, fût-elle en Amérique ?

Lisette à part.

Je gage que voici le docteur sympathique
Dont on a tant parlé.

Géronte.

Dont on a tant parlé.Ce secret me surprend !
Mais comment se produit un miracle si grand ?
Comment s’opere-t-il ? Voyons, je vous en prie.

Le médecin.

C’est par cette vertu dite de sympathie :
Voici comment. Ce sont des effets merveilleux !
De ces ongles rognés, monsieur, de ces cheveux,
Ou bien de cette urine, il sort une matiere,
Comme de tous nos corps, subtile, singuliere,
Que Démocrite appelle en ses doctes écrits,
Atomes, petits corps, monsieur, que je m’applique
A guérir par l’effort d’un mixte sympathique.
Ces petits corps guéris dès ce moment, dès-lors
Vont à-travers de l’air chercher les petits corps,
Qui sont sortis du corps du malade ; de grace
Suivez-moi pas à pas ; ils pénetrent l’espace
Qui les a séparés depuis qu’ils sont dehors,
Sans s’arrêter jamais aux autres petits corps,
Qui sont sortis du corps de quelqu’autre ; de sorte
Qu’ayant enfin trouvé dans l’air qui les transporte,
Les petits corps pareils à ceux dont nous parlons ;
Les susdits petits corps, comme des postillons,
Guéris par la vertu du mixte sympathique,
Leur portent la santé que je leur communique ;
Et le malade alors reprenant la vigueur,
Se sent gaillard, dispos, sans mal, & sans douleur.

Crispin.

Ainsi ces petits corps qui vont avec vîtesse
Emportent par écrit avec eux leur adresse,
Et pour connoître ceux qu’ils vont chercher si loin,
Sans doute ils sont marqués, monsieur, à quelque coin.

Géronte.

Maraut, te tairas-tu ? mais docteur, écoutez ;
Ce remede est-il sûr ?

Le médecin.

Ce remede est-il sûr ?Sûr ! si vous en doutez,
Qu’un malade ait la fiévre, & qu’on me donne en main
De ses ongles rognés, de ses cheveux ; soudain
Les mettant dans un arbre avec certains mélanges
Mon mixte produira des prodiges étranges ;
Et par un changement que l’on admirera,
L’homme perdra la fiévre, & l’arbre la prendra.

Crispin.

Ainsi si vous vouliez, vous donneriez les fiévres
A toute la forêt d’Orléans.

Géronte.

A toute la forêt d’OrléansSi tes levres

Eraste.

Cet homme aux petits corps n’a pas l’esprit trop sain

Eraste avoit raison ; mais les rires du parterre sur le médecin sympathique, & ses battemens de mains à chaque discours du valet, confondirent tout ensemble les vendeurs de poudre, ceux qui en faisoient usage, & les Gérontes qui auroient eu beaucoup de penchant à donner leur confiance à ce remede. Ridiculum acri, &c. Le Chevalier de Jaucourt.

Poudre a canon, composition qui se fait avec du salpêtre, du soufre, & du charbon mêlés ensemble, & mise en grains qui prennent aisément feu, & qui se raréfient ou s’étendent avec beaucoup de violence par le moyen de leur vertu élastique. Voyez Élasticité, Raréfaction, &c.

C’est à cette poudre que nous devons tout l’effet des pieces d’artillerie & de mousqueterie, de sorte que l’art militaire moderne, les fortifications, &c. en dépendent entierement. Voyez Canon, Artillerie, Fortification, &c.

L’invention de la poudre est attribuée par Polydore Virgile, à un chimiste, qui ayant mis par hasard une partie de cette composition dans un mortier, & l’ayant couvert d’une pierre, le feu y prit & fit sauter la pierre en l’air avec beaucoup de violence.

Thevet dit que la personne dont on vient de parler étoit un moine de Fribourg, nommé Constantin Anelzen ; mais Belleforest & d’autres auteurs soutiennent, avec plus de probabilité, que ce fut un nommé Barlholde Schwartz, qui en allemand signifie