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qu’on les voit survenir dans le même tems que l’entrelacement des cheveux ; & en second lieu, si on les coupe dans cet état, les fluxions des yeux & les autres accidens succedent aussi promptement que si on coupe les cheveux. Quant à la maniere dont cette crise s’opere, & la cause qui la détermine plûtôt vers cette partie que vers les autres, nous avouons sincérement que nous ne savons rien de positif là-dessus, & que ce méchanisme est aussi obscur & aussi ignoré que l’aitiologie des autres crises ; on peut seulement présumer que la nature de la maladie, de la cause morbifique, la disposition des humeurs, semblent affecter & déterminer un couloir particulier préférablement à tout autre ; que de même qu’une fluxion de poitrine, se juge par l’expectoration ou les sueurs, une maladie de la tête par les selles, une fievre maligne par une parotide, &c. de même le plica affecte déterminément les cheveux & les ongles. Il y a lieu de penser avec le docteur Derham, que les cheveux & les poils servent de canaux pour une insensible transpiration. Quelques expériences d’accord avec les observations faites sur les malades attaqués du plica, démontrent que les poils ont une cavité, qu’ils sont arrosés, humectés, lubréfiés, entretenus, réparés & nourris par une humeur particuliere qui circule dans leur tissu (voyez Poil, Cheveux) ; ils tirent cette humeur par une racine bulbeuse implantée dans la peau, de façon qu’ils sont sur le corps comme des plantes parasites qui vivent avec lui & sans lui, qui ont une vie commune & particuliere. Qu’on suppose que par un effort critique les humeurs soient poussées abondamment vers leurs bulbes, que ces petites glandes soient irritées, réveillées ; que leur jeu soit animé, leur action augmentée, elles suceront une plus grande quantité d’humeurs, elles en transmettront davantage dans les cheveux : ceux-ci s’alongeront, grossiront ; leur transpiration deviendra plus sensible ; ils seront humides, gras, onctueux ; l’irritation qu’excitera sur leur tissu sensible la quantité & peut-être la qualité des humeurs, les fera crisper, replier : de-là cette complication, cet entrelacement aidé, favorisé & fortifié par ce suc glutineux qui suinte de leurs pores, & qui colle les cheveux l’un à l’autre. La même cause qui détermine une plus grande quantité d’humeurs dans les bulbes des poils, y peut aussi faire parvenir le sang rouge ; car alors les vaisseaux sont dilatés, & il est probable que le sang est dissous. C’est par le même méchanisme, par l’abord plus considérable d’humeurs & même de sang, que les ongles grossissent, s’alongent, deviennent noirs & raboteux.

Quelque rapport qu’ait cette maladie avec la vérole & le scorbut, il est bien facile de l’en distinguer, soit en faisant attention aux symptomes propres à ces maladies, ce qui est nécessaire dans le premier période du plica, avant l’affection des cheveux, soit en considérant l’entrelacement des cheveux & l’altération des ongles ; mais ce signe qui est univoque & infaillible, ne peut servir que lorsque la maladie est tout-à-fait décidée, & qu’elle tend à sa fin.

Tous les auteurs, à l’exception de ce Guillaume Davisson dont nous avons parlé plus haut, s’accordent à regarder cette maladie comme très-dangereuse ; mais ils conviennent que le danger est beaucoup moindre lorsque l’entrelacement des cheveux est formé : du reste il varie suivant le nombre & l’intensité des symptomes ; si la crise est parfaite, c’est-à-dire si, après que le plica est décidé, la violence des accidens diminue, le malade peut être censé hors d’affaire. Quelques auteurs ont prétendu que le plica femelle étoit plus grave & plus dangereux que le plica mâle ; quelquefois l’entrelacement des cheveux subsiste pendant très-long-tems, la dépuration ne se faisant que petit-à-petit & par degrés ; quelquefois les paquets formés par les cheveux entrelacés tombent en peu de

tems, mais ils reviennent ensuite, & alors on a observé que pendant le tems qui s’écouloit entre la chûte de ces paquets & leur renouvellement, il survenoit de fâcheux accidens qui ne se dissipoient qu’après la formation d’un nouveau plica. Il y a des gens qui ont porté toute leur vie sans incommodité un pareil entrelacement de cheveux toujours désagréable & dégoûtant ; d’autres, après avoir supporté patiemment pendant quelques années & ce désagrément & la malpropreté qui en est inséparable, ont été parfaitement guéris par la chûte spontanée de ces paquets. Mais le danger n’est jamais si prochain que lorsqu’on veut s’en débarrasser mal-à-propos, qu’on rase les cheveux, & qu’on coupe les ongles. On a vu des malades mourir victimes de l’inexpérience de leur médecin ou de leur propre imprudence. Les suites les plus ordinaires sont la cécité, des ophtalmies, des fluxions opiniâtres ; quelques-uns en sont devenus bossus, d’autres ont éprouvé divers accidens, suivant la nature & l’usage de la partie sur laquelle se jettoit, comme on dit, l’humeur morbifique, à qui on ôtoit par cette indiscrette précipitation son issue naturelle. On assure que les saignées & les purgations, les seules armes de bien des medecins, qu’a justement ridiculisés Moliere, ne sont pas moins nuisibles. Hercule Saxonia raconte avoir vû survenir des douleurs extrèmement aiguës, avec des tumeurs œdémateuses au bras & au pié, après des saignées faites dans ces parties au commencement du plica.

Quel parti doit donc prendre le médecin pour guérir surement & sans danger cette maladie ? Quel secours doit-il employer ? aucuns. Il n’a dans ce cas, comme dans presque toutes les maladies, qu’à laisser faire la nature, qu’à la suivre, lui obéir servilement, & se bien garder de prétendre la maîtriser ; elle est le vrai médecin, qui quoique peu instruite de la situation & de la structure des ressorts de la machine, fait mettre en mouvement les plus convenables dans le tems le plus propre & de la façon la plus sûre ; elle a su ménager une voie pour la terminaison de la maladie dont il s’agit. Si le médecin ne veut pas être tranquille & oisif spectateur de ses opérations ; s’il veut mettre une main qui ne soit qu’inutile à l’ouvrage, qui ne soit pas pernicieuse ; qu’il seconde la nature, qu’il pousse doucement les humeurs vers le couloir qu’elle affecte ; bien instruit de cet admirable axiome, quo natura tendit, &c. si souvent répété, mais qui ne sauroit l’être assez, & qui devroit, au grand avantage des malades, être profondément inculqué dans l’esprit de tous les Médecins : alors il pourra user de quelques legers sudorifiques, cordiaux, employer l’émétique, les décoctions de salsepareille, de houblon, & de la thériaque ; quelques gouttes d’esprits aromatiques huileux. Il évitera avec la derniere circonspection les purgatifs qui détournent & diminuent puissamment la transpiration, les saignées, qui font le même effet, & qui sont surement mortelles dans les maladies malignes ; secours qu’une observation plus particuliere a bannis plus séverement du traitement de cette maladie. Les lotions de la tête avec les décoctions de branche-ursine, de houblon, de mousse terrestre, &c. sont fort usitées dans le pays, & ne sont surement pas sans utilité, pouvant relâcher les pores de la peau, & déterminer la sueur vers cette partie. Peut-être pourroit-on trouver un antidote spécifique dans cette maladie, comme on en a pour la vérole & le scorbut ; mais en attendant on est obligé de s’en tenir à cette prudente inaction, ou à l’usage de ces foibles secours. Quelques auteurs ont prétendu que la mousse terrestre avoit la propriété spécifique de guérir cette maladie ; & on l’a appellé en conséquence plicaria. Il est certain qu’il résulte de plusieurs observations bien attestées, que des personnes atteintes du plica en sont