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voisinage de Calydon. Elle fut la patrie d’Alexandre dit de Pleuron, parce qu’il lui fit honneur ; il étoit poëte & grammairien, il avoit fait des tragédies, des élégies, & des mimes estimés, &c. mais il ne nous reste de tout cela que quelques fragmens qui sont cités par Strabon, par Athénée, par Aulu-gelle & par Macrobe.

Il y eut une autre ville nommée Pleuron, qui fut bâtie après la destruction de la premiere dans un autre endroit, savoir au pié du mont Aracymbus. Pline Lib. IV. c. ij. dit que cette seconde Pleuron étoit dans les terres. (D. J.)

PLEURONIA, (Géog. anc.) canton de l’Etolie, ainsi nommé de la ville Pleuron. Strabon, lib. X. p. 465, nous apprend que ce canton s’appelloit auparavant Curétide, parce qu’il étoit habité par les Curetes, anciens colons de l’Etolie. (D. J.)

PLEURS, s. m. pl. Voyez Larme. Par les pleurs, on ne doit pas entendre de simples larmes, car outre ces larmes, il y a dans l’action de pleurer, plusieurs affections de la poitrine, avec grande inspiration ; le thorax dilaté & comprimé alternativement & promptement, à-peu-près comme dans le ris, une grande expiration aussi-tôt suivie du retour de l’air dans les poulmons. Lisez Schreiber de fletu pag. 8. Schaarsenude, Berl. Nachr. 1740, n° 46 Walther, de erubescent. pag. 4. On a donc en pleurant les mêmes anxiétés qu’en riant ; on conserve à-peu-près la même figure, si ce n’est que les yeux sont plus poussés en avant, & s’enflent en quelque sorte, à force de pleurer ; au reste on pleure un peu à force de rire.

Pleurs, (Métaphys.) voyez Larmes. Les pleurs sont l’effet de toute violente émotion de l’ame, car on pleure d’admiration, de joie, de tristesse, &c. Les plus grands héros n’étoient point honteux chez les anciens de verser des larmes. Achille, Alexandre, Scipion, Annibal ont sçu pleurer. Comment les pleurs deshonoreroient-elles un grand homme, puisque la sensibilité dont elles procedent est une vertu ? Les larmes qu’Enée versa dans le mouvement de joie qu’il ressentit de voir l’honneur qu’on faisoit à sa patrie & aux braves guerriers qui l’avoient si courageusement défendue, étoient des larmes l’une ame bien née ; sunt lachrimæ rerum, dit Virgile, locution latine qui est d’une élégance admirable.

Pleurs de terre, (Architect. hydraul.) on appelle ainsi, dit Daviler, les eaux qu’on ramasse de diverses hauteurs à la campagne, par le moyen des puisards qu’on fait pour les découvrir, & des pierres glaisées dans le fond, avec goulotes de pierre pour les découvrir à un regard commun appellé réceptacle, où elles se purifient avant que d’entrer dans un aqueduc, &c. Dans l’usage ordinaire, on nomme pleurs de terre les eaux qui coulent & qui distillent entre les terres. (D. J.)

Pleurs, (Géog. mod.) dans la langue du pays Piuri, bourg d’Italie, au comté de Chiavenne, l’une des Grisons. Je ne parle de ce bourg que parce qu’il étoit magnifique, par de somptueux édifices qui l’embellissoient, lorsqu’en 1618, le 25 d’Août, la montagne voisine se détacha, & tombant sur ce bourg, l’abima au point qu’il n’en réchappa personne pour porter la nouvelle de cet affreux désastre. On dit qu’il y périt quinze cens ames, & de-là vint le nom qu’on lui donna tiré des pleurs que sa ruine fit répandre aux habitans des environs. (D. J.)

PLEUREUSES, s. f. pl. (Antiquités rom.) les Romains pour s’épargner la peine d’offrir une affliction extérieure dans les funérailles de leurs parens & de leurs amis, ou pour augmenter l’aspect de leur deuil, établirent l’usage d’un chœur de pleureuses, qu’ils plaçoient à la tête du convoi, & qui par des chants lugubres, & par des larmes affectés, tâchoient d’é-

mouvoir le public en faveur du mort que l’on conduisoit au bucher. Elles avoient à leur tête une femme qui régloit le ton sur lequel elles devoient pleurer ; on les appelloit præficæ, comme nous l’apprenons de Festus. Præficæ dicuntur mulieres ad lamentandum mortuum conductæ, quæ dant cæteris modum plangendi, quasi in hoc ipsum prefectæ. Le poëte Lucilius en a fait mention, au rapport de Nonius.

Mercede quæ
Conductæ flent alieno in funere præficæ.

Celle qui entonnoit la lamentation étoit nommée præfica, du terme præfari, parce qu’elle commençoit à pleurer la premiere. Les autres étoient aussi nommées præficæ, mais plus rarement que leur maîtresse ; & c’est ce qui fait croire que præfica ne vient pas de præfari, puisque toutes les pleureuses étoient honorées de cette illustre qualité.

Lorsque les Romains vouloient parler d’eux-mêmes avantageusement, ils prévenoient leurs auditeurs par ce mot præfiscine ; en quoi nous les imitons encore, lorsque nous voulons nous donner quelques louanges, car nous disons volontiers, cela soit dit sans vanité. Nous lisons dans l’Asinaria de Plaute, act. 2. scen. 4. que Leonida accusé de quelque tour de souplesse, commença sa justification par præfiscine, parce qu’il devoit dire du bien de lui-même.

Præfiscine, hoc nunc dixerim nemo me etiam accusavit.
Merito meo, neque me Athenis est alter hodie cui credi recte, æquè putent.

Et comme les pleureuses affectoient de donner de grandes louanges au mort, elles se servoient d’abord selon la coutume, du terme præfiscine, pour prévenir les spectateurs, & attirer leur croyance ; d’où l’on a fait le mot præficæ. L’Ecriture nous fournit des exemples de ces pleurs publiques ; il est dit dans le chapitre 21 des Nombres, que l’on pleura trente jours sur le corps d’Aaron : omnis autem multitudo videns occubuisse Aaron, flevit super eo trigenta diebus per cunctas familias suas. Moise fut pleuré de même pendant trente jours par tout Israel.

Aussi-tôt que le malade étoit expiré, l’usage des Romains étoit d’appeller les pleureuses, que l’on plaçoit à la porte de la maison ; là s’étant instruites par les domestiques des circonstances de la vie du défunt, elles en composoient un éloge, où le mensonge & la flatterie n’étoient pas épargnés.

L’art des pleurs consistoit dans l’action & dans le chant. Le poëte Lucilius nous l’apprend par ces vers :

In funere, præficæ
Multo, & capillos scindunt, & clamant magis.

On reconnoît dans ces vers, les deux parties de l’art de pleurer. Capillos scindunt, voilà l’action ; & clamant magis, voilà le chant qu’elles accommodoient à certains vers lugubres, que l’on nommoit neniæ, selon l’explication de Festus : nenia est carmen, quod in funere laudandi gratiâ cantatur, & c’est ainsi que Ciceron en parle dans le second livre des lois ; honoratorum virorum laudes in concione memorant, easque etiam ad cantus, ad tibicinem prosequuntur, cui nomen neniæ, quo vocabulo etiam græci cantus lugubres nominant.

On comprend aisément que ces pleureuses étoient vêtues de l’habit qui marquoit ordinairement le deuil & l’affliction ; c’étoit une robe noire, que les Romains appelloient pulla, & ceux qui en étoient vêtus, étoient désignés par cette épithete, pullati, dont Juvénal fait mention dans sa troisieme satyre.

Si magna Arturici cecidit domus, horrida mater
Pullatos proceres differt vadimonia prætor.

Auguste au rapport de Pétrone, défendit à ceux