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pareille perception. J’aimerois autant qu’on dît que j’apperçois sans appercevoir.

Je pense donc que nous avons toujours conscience des impressions qui se font dans l’ame, mais quelquefois d’une maniere si légere, qu’un moment après nous ne nous en souvenons plus. Quelques exemples mettront ma pensée dans tout son jour.

Qu’on réfléchisse sur soi-même au sortir d’une lecture, il semblera qu’on n’a eu conscience que des idées qu’elle a fait naître ; il ne paroîtra pas qu’on en ait eu davantage de la perception de chaque lettre, que de celle des ténebres, à chaque fois qu’on baisse involontairement la paupiere. Mais on ne se laissera pas tromper par cette apparence, si l’on fait réflexion que sans la conscience de la perception des lettres, on n’en auroit point eu de celle des mots, ni par conséquent des idées.

Cette expérience conduit naturellement à rendre raison d’une chose dont chacun a fait l’épreuve ; c’est la vitesse étonnante avec laquelle le tems paroît quelquefois s’être écoulé : cette apparence vient de ce que nous avons oublié la plus considérable partie des perceptions qui se sont succédées dans notre ame.

C’est une erreur de croire que tandis que nous fermons des milliers de fois les yeux, nous ne prenions point connoissance que nous sommes dans les ténebres. Cette erreur provient de ce que la perception des ténebres est si prompte, si subite, & la conscience si foible, qu’il ne nous en reste aucun souvenir. Mais que nous donnions notre attention au mouvement de nos yeux, cette même perception deviendra si vive, que nous ne douterons plus de l’avoir eue.

Non-seulement nous oublions ordinairement une partie de nos perceptions, mais quelquefois nous les oublions toutes, quand nous ne fixons point notre attention ; ensorte que nous recevons les perceptions qui se produisent en nous, sans être plus avertis des unes que des autres ; la conscience en est si légere, que si l’on nous retire de cet état, nous ne nous souvenons pas d’en avoir éprouvés. Je suppose qu’on me présente un tableau fort composé, dont à la premiere vûe les parties ne me frappent pas plus vivement les unes que les autres, & qu’on me l’enleve avant que j’aie eu le tems de le considérer en détail ; il est certain qu’il n’y a eu aucune de ses parties sensibles qui n’ait produit en moi des perceptions : mais la conscience en a été si foible, que je ne puis m’en souvenir : cet oubli ne vient pas de leur durée. Quand on supposeroit que j’ai eu pendant long-tems les yeux attachés sur ce tableau, pourvu qu’on ajoûte que je n’ai pas rendu tour-à-tour plus vive la conscience des perceptions de chaque partie, je ne serai pas plus en état, au bout de plusieurs heures, d’en rendre compte, qu’au premier instant.

Ce qui se trouve vrai des perceptions qu’occasionne ce tableau, doit l’être par la même raison de celles que produisent les objets qui m’environnent : si agissant sur les sens avec des forces presque égales, ils produisent en moi des perceptions toutes à-peu-près dans un pareil degré de vivacité ; & si mon ame se laisse aller à leur impression, sans chercher à avoir plus conscience d’une perception que d’une autre, il ne me restera aucun souvenir de ce qui s’est passé en moi. Il me semblera que mon ame a été pendant tout ce tems dans une espece d’assoupissement, où elle n’étoit occupée d’aucune pensée. Que cet état dure plusieurs heures, ou seulement quelques secondes, je n’en saurois remarquer la différence dans la suite des perceptions que j’ai éprouvées, puisqu’elles sont également oubliées dans l’un & l’autre cas. Si même on le faisoit durer des jours, des mois, ou des années, il arriveroit que, quand on en sortiroit par quelque sensation vive, on ne se rappelleroit plu-

sieurs années que comme un moment.

Concluons que nous ne pouvons tenir aucun compte du plus grand nombre de nos perceptions ; non qu’elles aient été sans conscience, mais parce qu’elles sont oubliées un instant après. Il n’y en a donc point dont l’ame ne prenne connoissance. Ainsi la perception & la conscience ne sont qu’une même opération sous deux noms : en tant qu’on ne la considere que comme une impression dans l’ame, on peut lui conserver celui de perception ; entant qu’elle avertit l’ame de sa présence, on peut lui donner celui de conscience. Voyez l’Essai sur l’origine des connoissances humaines, de qui ces réflexions sont tirées.

Perception, (Gram.) se dit encore de la recolte ou recette des fruits d’un bénéfice, & de la maniere de rassembler les impôts assis sur le peuple.

PERCER, v. act. (Gram.) c’est pratiquer une ouverture. Il se prend au simple & au figuré. On dit percer un mur, percer la foule, percer les nuits, percer dans le monde, percer un complot, &c.

Percer, en terme de Boutonnier, c’est faire quatre trous les uns après les autres à l’endroit tracé par la marque avec une pointe montée sur une mollette ou petite roue tournée dans la poupée avec la grande roue du rouet ; au moyen de la corde, qui de l’une tombe sur l’autre. Voyez Pointes.

Percer, l’aiguille, terme d’Epinglier ; c’est former le trou d’une aiguille par le moyen d’un petit poinçon d’acier bien trempé, que l’on frappe avec un marteau sur l’enclume de chaque côté du plat de la tête de l’aiguille.

Percer, en terme de Cloutier, faiseur d’aiguille de chirurgien ; c’est marquer le trou de l’aiguille sans enlever la piece.

Percer, (Jardinage.) se dit des traces qu’on fait sur une couche pour y semer des raves : on dit encore faire de beau percés, quand on ouvre des routes dans une forêt, des allées dans un bois.

Percer une étoffe, (Lainage.) on le dit des étoffes qui, à force d’être foulées, deviennent trop étroites, & perdent de la largeur ordonnée par les reglemens.

Percer, en terme de Potier ; c’est faire des trous au-tour d’un rechaud & à sa grille, pour donner de l’air au feu.

Percer, en terme de Rafineur ; c’est l’action de faire legerement un trou dans la tête du pain avec un prime, pour donner passage au syrop qui y descend. Voyez Prime & Sirop.

Percer, terme de Chasse, se dit & d’une bête qui tire de long, & s’en va sans s’arrêter, & du piqueur qui perce dans le fort ; le cerf a percé dans le bois, il faut percer dans ce fort.

PERCEUR, s. m. (Marine.) les perceurs sont ceux dont le métier est de percer les navires pour les cheviller. Selon l’ordonnance du roi de France de l’année 1681, une même personne peut exercer les métiers de charpentier, de calfateur & de perceur de vaisseau.

Perceur, s. m. c’est un poinçon dont le Cloutier faiseur d’aiguilles courbes se sert pour marquer & commencer la chasse de son aiguille ; il ne differe du troqueur qu’en ce qu’il a la pointe plus épaisse.

PERCHANS, s. m. (Oiselier.) oiseau attaché par le pié, & que l’on tire avec une ficelle pour le faire voltiger, appercevoir des oiseaux qui passent, les appeller & les faire prendre.

PERCHE, s. f. perca (Hist. nat. Ichtiolog.) on a donné ce nom à un poisson d’eau douce & à un poisson de mer, qui different l’un de l’autre. La perche d’eau douce a le corps large, fort applati pour un poisson de riviere, & couvert de petites écailles ; les nageoires & la queue sont rouges : elle a sur le dos deux nageoires dont la premiere est la plus grande, deux