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tifs, & un grand ascendant sur les membres d’un état qui sont d’une extraction moins élevée. Aussi ceux qui jouissent de ce bonheur, n’ont qu’à ne rien gâter par leur conduite, pour être sûr d’obtenir légitimement de justes préférences sur les autres citoyens.

Mais ceux que la naissance démêle heureusement d’avec le peuple, & qu’elle expose davantage à la louange ou à la censure, ne sont-ils pas obligés en conséquence de soutenir dignement leur nom ? Quand on se pare des armes de ses peres, ne doit-on pas songer à hériter des vertus qu’ils peuvent avoir eues ? autrement, ceux qui vantent leurs ancêtres, sans imiter leurs belles actions, disposent les autres hommes à faire des comparaisons qui tournent au desavantage de telles personnes qui deshonorent leur nom. Le peuple est si porté à respecter les gens de naissance, qu’il ne tient qu’à eux d’entretenir ce favorable préjugé. En voyant le jour ils entrent en possession des honneurs : les grands emplois, les dignités, le maniement des affaires, le commandement des armées, tombent naturellement dans leurs mains. De quoi peuvent-ils se plaindre que d’eux-mêmes, quand l’envie & la malignité les attaquent ? Sans doute, qu’alors ils ne sont pas faits pour leur place, quoique la place semblât faite pour eux.

On reprochoit à Ciceron, d’être un homme nouveau ; la réponse est toute simple : j’aime mieux, répondit-il, briller par mon propre mérite, que par un nom hérité de mes ancêtres ; & il est beau de commencer sa noblesse par les exemples de vertu qu’on laisse à sa posterité. Satius est enim me meis rebus florere, quàm majorum opinione niti, & ità vivere, ut ego sim potius meæ nobilitatis initium & virtutis exemplum. A la vérité, on soupçonne les gens qui tiennent ce propos, de faire, si l’on peut parler ainsi, de nécessité vertu. Mais que dire à ceux qui ayant en partage une grande naissance, en comptent pour rien l’éclat, s’ils ne le soutiennent & ne l’illustrent de tous leurs efforts, par de belles actions. Voyez Noblesse. (D. J.)

Naissance, jour de la, (Hist. rom.) Le jour de la naissance étoit particulierement honoré chez les Romains. Des mouvemens de tendresse & de religion consacroient chez eux une journée, où il sembloit qu’ils recevoient leurs enfans des dieux mêmes, & pour ainsi dire de la main à la main. On les saluoit avec cérémonie, & dans ces termes, hodiè nate salve : ils invoquoient le Génie comme une divinité qui présidoit à la nativité de tous les hommes.

La solemnité du jour de cette naissance se renouvelloit tous les ans, & toujours sous les auspices du Genie. On dressoit un autel de gazon, entouré de toutes les herbes sacrées, & sur lequel on immoloit un agneau. On étaloit chez les grands tout ce qu’on avoit de plus magnifique, des tables, des cuvettes, des bassins d’or & d’argent, mais dont la matiere étoit encore moins précieuse que le travail. Auguste avoit toute l’histoire de sa famille gravée sur des meubles d’or & d’argent : le sérieux d’une cérémonie religieuse étoit égayé, par ce que les fêtes ont de plus galant ; toute la maison étoit ornée de fleurs & de couronnes, & la porte étoit ouverte à la compagnie la plus enjouée. Envoyez-moi Philis, dit un berger dans Virgile à Iolas ; envoyez moi Philis, car c’est aujourd’hui le jour de ma naissance, mais pour vous ne venez ici que lorsque j’immolerai une génisse pour les biens de la terre.

Les amis ce jour-là ne manquoient guere d’envoyer des présens ; Martial raille finement Clyté, qui pour en avoir, faisoit revenir le jour de sa naissance sept ou huit fois l’année :

Nasceris octies in anno.

On célébroit même souvent l’honneur de ces grands hommes, dont la vertu consacre la mémoire, & qui enlevés aux yeux de leurs contemporains, se réveillent pour la postérité qui en connoît le mérite dans toute son étendue, & quelquefois les dédommage de l’injustice de leur siecle. Pourquoi, dit Séneque, ne fêterai-je pas le jour de la naissance de ces hommes illustres ? Pline dans le troisieme livre de ses épîtres, rapporte que Silius Italicus célébroit le jour de la naissance de Virgile, plus scrupuleusement que le sien même.

La flatterie tenant une coquille de fard à la main ne manqua pas de solemniser la nativité des personnes que la fortune avoit mis dans les premieres places, & par qui se distribuoient les graces & les bienfaits : Horace invite une de ses anciennes maîtresses à venir célébrer chez lui la naissance de Mécénas ; & afin que rien ne trouble la fête, il tâche de la guérir de la passion qu’elle avoit pour Téléphus. Philis, j’ai chez-moi, dit il, du vin de plus de neuf feuilles, mon jardin me fournit de l’ache pour faire des couronnes. J’ai du lierre propre à relever la beauté de vos cheveux : l’autel est couronné de verveine ; les jeunes garçons & les jeunes filles qui doivent nous servir, courent déja de tous côtés. Venez donc célebrer le jour des ides qui partage le mois d’Avril consacré à Vénus ; c’est un jour solemnel pour moi, & presque plus sacré que le jour de ma naissance, car c’est de ce jour-là que Mécénes compte les années de sa vie.

On voit dans ce propos une image bien vive d’une partie destinée à la célébration d’un jour de naissance ; il ne s’agit pas de savoir, si elle étoit conforme à l’esprit de l’institution ; sans doute que ce vin délicieux, cette parure galante, cette propreté, ce luxe, cette liberté d’esprit que le poëte recommande à Philis, plus dangereuse que la passion même ; enfin, cette troupe de jeunes filles & de jeunes garçons n’étoient guère appellés dans les fêtes religieuses, où on songeoit sérieusement à honorer les dieux.

Le jour de la naissance des princes étoit sur-tout un jour consacré par la piété ou par la flatterie des peuples. Leur caractere, la distinction de leur rang & de leur fortune, devenoit la mesure des honneurs & des réjouissances établies à cette occasion. La tyrannie même, bien loin d’interrompre ces sortes de fêtes, en rendoit l’usage plus nécessaire, & dans la dureté d’un regne où chacun craignoit de laisser échapper ses sentimens, on entroit avec une espece d’émulation dans toutes les choses dont on pouvoit se servir pour couvrir la haine qu’on portoit au prince ; tous ces signes équivoques d’amour & de respect, n’empêcherent pas que les empereurs n’en fussent extrèmement jaloux. Suétone remarque que Caligula fut si piqué de la négligence des consuls, qui oublierent d’ordonner la célébration du jour de sa naissance, qu’il les dépouilla du consulat, & que la république fut trois jours sans pouvoir exercer l’autorité souveraine.

Ces honneurs eurent aussi leur contraste : on mit quelquefois avec cérémonie au rang des jours malheureux, le jour de la naissance, & c’étoit-là la marque la plus sensible de l’exécration publique. La memoire d’Agrippine, veuve de Germanicus, fut exposée à cette flétrissure, par l’injustice & la cruauté de Tibere. Diem quoque natalem ejus, inter nefastos suasit. C’est à ce sujet que M. Racine, si exact dans la peinture des mœurs, fait dire par Narcisse à Néron, en parlant de Britannicus & d’Octavie.

Rome sur les autels prodiguant les victimes,
Fussent-ils innocens, leur trouvera des crimes ;
Et saura mettre au rang des jours infortunés,