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Cour des pairs, appellée aussi la cour de France, ou la cour du roi, est le tribunal où le roi, assisté des pairs, juge les causes qui concernent l’état des pairs, ou les droits de leurs pairies.

Dès le commencement de la monarchie, le roi avoit sa cour qui étoit composée de tous les francs qui étoient pairs ; dans la suite ces assemblées devenant trop nombreuses, furent réduites à ceux qui étoient chargés de quelque partie du gouvernement ou administration de l’état, lesquels furent alors considérés comme les plus grands du royaume ; ce qui demeura dans cet état jusques vers la fin de la seconde race de nos rois, auquel tems le gouvernement féodal ayant été introduit, les vassaux immédiats du roi furent obligés de se trouver en la cour du roi pour y rendre la justice avec lui, ou en son nom : ce fut une des principales conditions de ces inféodations ; la cour du roi ne fut donc plus composée que des vassaux immédiats de la couronne, qui prirent le nom de barons & de pairs de France, & la cour de France, ou cour du roi prit aussi le nom de cour des pairs ; non pas que ce fut la cour particuliere de ces pairs, mais parce que cette cour étoit composée des pairs de France.

Cette cour du roi étoit au commencement distincte des parlemens généraux, auxquels tous les grands du royaume avoient entrée ; mais depuis l’institution de la police féodale, les parlemens généraux ayant été réduits aux seuls barons & pairs, la cour du roi ou des pairs & le parlement furent unis & confondus ensemble, & ne firent plus qu’un seul & même tribunal ; c’est pourquoi le parlement a depuis ce tems été qualifié de cour de France, cour du roi, ou cour des pairs.

Quelque tems après se firent plusieurs réunions à la couronne, par le moyen desquelles les arriere-vassaux du roi devenant barons & pairs du royaume, eurent entrée à la cour du roi comme les autres pairs.

C’étoit donc la qualité de vassal immédiat du roi qui donnoit aussi la qualité de baron ou pair, & qui donnoit conséquemment l’entrée à la cour du roi, ou cour des pairs ; tellement que sous Lothaire en 964, Thibaud le Trichard, comte de Blois, de Chartres & de Tours, fut exclu d’un parlement, quelque considérables que fussent les terres qu’il possédoit, parce qu’il n’étoit plus vassal du roi, mais de Hugues duc de France.

La cour des pairs fut plus ou moins nombreuse, selon que le nombre des pairs fut restraint ou multiplié ; ainsi lorsque le nombre des pairs fut réduit aux six anciens pairs laïques, & aux six pairs ecclésiastiques, eux seuls eurent alors entrée, comme pairs à la cour du roi ou parlement, avec les autres personnes qui étoient nommées pour tenir le parlement.

Depuis que le parlement & la cour du roi ont été unis ensemble, le parlement a toujours été considéré comme la cour des pairs, c’est-à-dire, comme le tribunal où ils ont entrée, séance & voix délibérative ; ils sont toujours censés y être présens avec le roi dans toutes les causes qui s’y jugent ; c’est aussi le tribunal dans lequel ils ont droit d’être jugés, & auquel ressortit l’appel de leurs justices pairies lorsqu’elles sont situées dans le ressort du parlement.

Le parlement est ainsi qualifié de cour des pairs dans plusieurs ordonnances, édits & déclarations, notamment dans l’édit du mois de Juillet 1644, registré le 19 Août suivant, « laquelle cour, porte cet édit, a rendu de tout tems de grands & signalés services aux rois, dont elle fait regner les lois, & reconnoître l’autorité & la puissance légitime ».

Il est encore qualifié de même dans la déclaration du 28 Décembre 1724, registrée le 29 qui porte celle que le parlement est encore aujourd’hui, la cour des pairs, & la premiere & la principale du royaume.

Anciennement les pairs avoient le privilege de ne répondre qu’au parlement pour toutes leurs causes civiles ou criminelles ; mais depuis ce privilege a été restraint aux causes où il s’agit de leur état, ou de la dignité & des droits de leur pairie.

Les pairs ayant eu de tout tems le privilege de ne pouvoir être jugés que par leurs pairs ; c’est sur-tout lorsqu’il s’agit de juger un pair, que le parlement est considéré comme la cour des pairs, c’est-à-dire le tribunal seul compétant pour le juger.

C’est sur-tout dans ces occasions que le parlement est qualifié de cour des pairs.

Le pere Labbé en ses mémoires rapporte un arrêt de 1224, rendu en la cour des pairs contre une comtesse de Flandres ; le chancelier, les grands bouteiller & chambellan, le connétable & autres officiers de l’hôtel du roi y étoient.

Froissard, ch. cclxvij. dit que le prince de Galles, fils d’Edouard III. roi d’Angleterre, ayant voulu exiger du Languedoc un subside considérable, la province en appella à la cour des pairs, où le prince fut cité ; & que n’étant point comparu, il fut réassigné : il y eut en 1370 un arrêt rendu contre lui par défaut, qui confisqua la Guyenne & toutes les terres que la maison d’Angleterre possédoit en France.

Un autre exemple plus récent où il est fait mention de la cour des pairs, est celui d’Henri IV. lequel s’opposant à l’excommunication qui avoit été prononcée contre lui, en appella comme d’abus à la cour des pairs de France, desquels il avoit, disoit-il, cet honneur d’être le premier.

On peut voir dans le recueil du pere Anselme, tome III. les différens exemples de la jurisdiction exercée par la cour des pairs sur les membres, & ses prérogatives expliquées ci-après au mot Parlement.

Il ne faut pas confondre la cour des pairs, ou cour commune des pairs, avec la cour particuliere de chaque pair : en effet, chaque pair avoit anciennement sa cour qui étoit composée de ses vassaux, ou pairs appellés pares, parce qu’ils étoient égaux entr’eux : on appelloit aussi quelquefois simplement franci, francs, les juges qui tenoient la cour d’un pair, comme il se voit en l’ordonnance de Philippe de Valois, du mois de Décembre 1344.

Présentement ces cours particulieres des pairs sont ce que l’on appelle les justices des pairies ; voyez ci-après l’art. Justice des pairies.

Cour suffisamment garnie de pairs, n’est autre chose que le parlement ou la cour des pairs, lorsqu’il s’y trouve au moins douze pairs, qui est le nombre nécessaire pour juger un pair, lorsqu’il s’agit de son état.

On en trouve des exemples dès le xj. siecle.

Richard, comte de Normandie, dit, en parlant du différend d’Eudes de Chartres avec le roi Robert, en 1025, que le roi ne pouvoit juger cette affaire, sine consensu parium suorum.

Le comte de Flandres revendiqua de même en 1109 le droit d’être jugé par ses pairs, disant que le roi devoit le faire juger par eux, & hoc per pares suos qui eum judicare debent.

Jean sans Terre, roi d’Angleterre, fut jugé en 1202, par arrêt du parlement suffisamment garni de pairs. Du Tillet, Mathieu Paris, à l’an 1216, dit, en parlant du jugement rendu contre ce prince, pro quo facto condemnatus fuit ad mortem in curiâ regis Francorum per judicium parium suorum.

On voit dans les registres du parlement, que quand on convoquoit les pairs, cela s’appelloit fortifier la cour de pairs, ou garnir la cour de pairs : curiam vestram parisius Franciæ vultis habere munitam, 1312 ; curia est sufficienter munita, 1315.

Au procès de Robert d’Artois en 1331, Philippe VI. émancipa son fils Jean, duc de Normandie, & le fit pair, afin que la cour fût suffisamment garnie de