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voient les orphies ou éguillettes attroupées, ils lancent leurs dards, & en prennent quelquefois plusieurs d’un seul coup ; comme le bateau dérive doucement, la manœuvre de la pêche n’effarouche point les poissons. Dans les pêches heureuses, on en prend jusqu’à 12 à 1500 dans une nuit. Pour cet effet, il faut que l’obscurité soit grande & le tems très-calme, deux conditions requises pour toutes les pêches au feu. Cette manœuvre est la même que la pêche au farillon, expliquée à ce mot, & représentée dans nos Planches.

ORPHIQUE, vie, (Littér.) ὀρφιϰὸς βίος, sorte de vie pure, religieuse, & dont une des pratiques consistoit à ne point manger la chair des animaux.

Orphée, dit Eschyle dans Aristophane, nous a montré les cérémonies, & nous a enseigné à nous abstenir de tout meurtre. Horace exprime la même idée encore plus élégamment :

Sylvestres homines sacer interpresque deorum
Cœdibus & victu fœdo deterruit Orpheus.

« Le divin Orphée, l’interprete des dieux, détourna les hommes du meurtre, & leur fit quitter le genre de vie brutal qu’ils menoient ». Il composa des hymnes en l’honneur des dieux, & apprit aux mortels les cérémonies de la religion. Les poëtes furent les premiers prêtres, les premiers philosophes, & les premiers législateurs.

Platon, après avoir raisonné dans le VI. livre de ses lois, de la brutalité de plusieurs peuples, & de l’usage que quelques-uns avoient encore d’immoler des hommes, ajoute que les anciens Grecs tout au contraire n’auroient pas osé tuer un bœuf ; & qu’alors on ne sacrifioit point d’animaux aux dieux. Les gâteaux, dit-il, les fruits trempés dans le miel, & telles autres offrandes pures étoient ce qu’on leur présentoit. On s’abstenoit de la chair, & c’eût été un acte impie que d’en manger, ou de souiller de sang les autels. Alors se forma parmi nous, continue-t-il, une sorte de vie, nommée vie orphique, où l’usage des choses inanimées étoit libre & permis, au lieu que l’usage de celles qui avoient eu vie, étoit défendu.

Cette pratique d’austérité mérite le nom d’orphique, & parce qu’Orphée en étoit l’instituteur, & parce que le même Orphée, le plus ancien des sages, pouvoit avoir donné son nom à tous ceux qui faisoient profession de vertu & de lettres. C’est ce que l’on voit clairement dans un passage d’Euripide ; car Thésée, à-peu-près contemporain d’Orphée, reprochant à son fils Hippolite le peu de rapport qu’il y a entre l’action infame dont il le croit coupable, & l’austere sagesse dont ce jeune homme faisoit profession : « Voilà donc cet homme, lui dit-il, qui est en commerce avec les dieux, comme un personnage d’éminente vertu : voilà cet exemple de tempérance, & d’une conduite irreprochable. N’espere pas m’imposer plus long-tems par ce vain éclat, ni que j’attribue aux dieux un commerce qui seroit une preuve de leur folie. Trompe nous, si tu peux, maintenant par ton affectation de ne rien manger qui ait eu vie ; & soumis à ton Orphée, joue l’inspiré, & te remplis de la fumée du vain savoir, puisque te voilà pris dans le crime ».

On trouve dans ce passage les trois points qui constituoient la vie orphique, savoir la religion, l’abstinence de ce qui avoit eu vie, & la science.

Les livres d’Orphée, qui justifioient sa science, sont cités par tous les anciens auteurs. Euripide, dans un chœur de son Alceste, après avoir dit que la nécessité est insurmontable, ajoute que les livres d’Orphée n’indiquent aucun remede contre ce mal. C’est de l’étude de ces livres & de leur intelligence,

autant que de l’attachement pour la chasse & pour la déesse qui y préside, dont Thésée veut parler lorsqu’il reproche à Hippolite son prétendu commerce avec les dieux.

En un mot, Orphée fut une espece de réformateur, qui, à l’aide de la poésie & de la musique, ayant adouci des hommes féroces, donna naissance à une secte distinguée par son attachement à l’étude de la religion, & par une austérité de vie, dont la pratique éloignant les hommes des plaisirs sensuels, si funestes à la vertu, les portoit à une haute perfection. Témoin l’Hippolite d’Euripide, qui, libre de toute passion, aima mieux perdre la vie, que de manquer au secret qu’il avoit promis.

Il fait lui-même au commencement de la piece une peinture charmante de la vie orphique sous l’allégorie d’une prairie, conservée contre tout ce qui peut en altérer la fraîcheur, dans laquelle il vient de cueillir la couronne qu’il offre à Diane. « Recevez, lui dit-il, de ma main, déesse respectable, la couronne de fleurs que j’ai cueillie dans une prairie, où la fraîcheur de l’herbe n’a jamais été livrée à l’avidité des troupeaux, ni au tranchant d’une faux sacrilege ; la seule abeille en suce les fleurs, que la Pudeur elle-même prend soin d’arroser d’une eau toujours pure. Ceux en qui la tempérance est un don du ciel, ont seuls le droit d’en cueillir : l’accès en est défendu aux méchans. Ornez-en vos beaux cheveux, & soyez propice à la main pleine d’innocence qui vous l’offre. Seul entre les mortels, j’ai l’avantage de vivre avec vous, de vous entendre & de vous répondre. Quoique privé de votre vûe, accordez-moi, grande déesse, de terminer ma carriere comme je l’ai commencée » !

Il la termina en effet par une action de vertu, & fit voir en sa personne ce que la justice peut sur une ame, qui ayant reçu de la naissance de grandes dispositions au bien, les a nourries par la pratique d’un vie pure, qu’on appelloit alors & qu’on a appellé depuis la vie orphique. (D. J.)

Orphiques, adject. (Littérat.) surnom des orgies de Bacchus ; il leur fut donné, les uns disent en memoire de ce qu’Orphée avoit perdu la vie dans la célébration des orgies, d’autres parce qu’il avoit introduit dans la Grece la pratique de ces fêtes singulieres dont l’Egypte étoit le berceau. (D. J.)

ORPHITIEN, senatus consulte, (Jurisprud.) voyez au mot Senatus consulte.

ORPIMENT ou ORPIN, (Hist. nat. Minéralog.) en latin auripigmentum, sandaracha, risigallum, realgar, arsenicum flavum, arsenicum rubrum, &c. substance minérale d’un jaune plus ou moins vif, en feuillets luisans comme ceux du talc, composé d’arsenic, & d’une quantité tantôt plus tantôt moins grande de soufre, qui lui donne la couleur, soit d’un jaune de citron, soit d’un jaune orangé, soit d’un rouge vif comme le cinnabre que l’on y remarque. L’orpiment naturel est un minéral très-rare, cependant on le trouve soit en masses, soit en petites venules, soit attaché à la surface des fentes des mines en Hongrie, en Turquie, à Kremnitz, à Neusol & Coronsay.

Quelques auteurs ont confondu l’orpiment, dont on vient de donner la description avec l’arsenic jaune, ou l’orpiment factice, qui est un produit de l’art, comme nous le ferons voir dans cet article, mais il differe de ce dernier par la beauté de sa couleur & même par son tissu ; celui de l’orpiment naturel est communément par lames ou feuillets, tandis que l’orpiment factice n’a jamais ce tissu. Aussi les Peintres donnent-ils la préférence à l’orpiment natu-