L’Encyclopédie/1re édition/SÉNATUS-CONSULTE

SÉNATUS-CONSULTE romain, (Gouver. de Rome.) senatus-consultum ; decret, délibération, arrêt du sénat romain sur quelque question, quelque point de droit, quelque fait, ou quelque réglement concernant l’état. Voyons comment se formoient ces decrets, & quelle en étoit la force.

Un decret du sénat étoit toujours souscrit & attesté par un nombre considérable de sénateurs, qui avoient voulu intervenir à tout ce qui avoit été fait pour y ajouter leurs noms, comme un témoignage de l’approbation particuliere qu’ils donnoient à cette affaire, ainsi que du respect pour la personne, par l’autorité, ou en faveur de qui ce decret avoit été rendu.

Ces souscriptions ou signatures étoient appellées les autorités des sénatus-consultes, & telle étoit leur forme, in senatu fuerunt CCCLXXXLLL. on mettoit les noms des sénateurs, celui de la tribu dont ils étoient. Voyez le decret du sénat rapporté dans sa véritable forme dans une lettre de Célius à Cicéron, alors proconsul de Cilicie.

Lorsque l’on découvroit que le sénat étoit disposé à rendre un decret, il dépendoit de quelqu’un des tribuns du peuple d’interposer son autorité, & de renverser d’un seul mot tout ce qui avoit été résolu par la simple opposition, sans en rendre aucun raison. La loi générale de ces interventions, étoit que chaque magistrat eût le pouvoir de s’opposer aux actes de son collegue, ou des magistrats qui lui étoient subordonnés. Les tribuns avoient encore la prérogative de s’opposer aux actes des autres magistrats, quoique personne ne fût en droit de contredire les leurs.

Mais dans tous les cas où les déterminations du sénat étoient renversées par la simple opposition d’un tribun, ce dont on trouve des exemples sans nombre, si le sénat étoit unanime dans ses suffrages, & qu’il fût disposé à rendre le decret, on se servoit d’une formule ordinaire, & le decret changeoit de nom ; il étoit appellé l’autorité du sénat.

On le mettoit alors dans les registres de ce corps, quoiqu’il ne servît qu’à rendre témoignage de la façon de penser du sénat sur cette question particuliere, & à faire retomber sur le tribun qui l’avoit empêché la haine de l’opposition faite à un acte avantageux. Ainsi pour tenir chaque magistrat éloigné d’une conduite factieuse dans des affaires d’importance, ceux qui étoient d’avis de rendre le decret, y ajoutoient que si quelqu’un songeoit à s’y opposer, on le regarderoit comme ayant travaillé contre les intérêts de la république.

Cette clause néanmoins servoit rarement à mettre un frein à l’entreprise des tribuns, accoutumés à faire leur opposition avec la même liberté que dans les occasions les plus indifférentes. Les sénateurs les moins considérables, les factieux & les chefs de parti, avoient encore différens moyens d’empêcher ou de renvoyer un decret sous plusieurs prétextes & par les obstacles qu’ils y mettoient. Tantôt par des scrupules en matiere de religion, ils supposoient que les augures n’étoient pas favorables, & qu’ils n’avoient pas été pris légitimement, ce qui étant confirmé par les augures, retardoit l’affaire pour quelques jours ; tantôt ils insistoient sur quelque prétendu passage des livres sibyllins, qu’il falloit alors consulter, & qu’ils interprétoient selon leurs vues.

Ainsi, dans une contestation qui s’éleva sur la proposition faite de remettre le roi Ptolomée sur le trône d’Egypte, le tribun Caton qui s’y opposoit, rapporta quelques vers des livres sibyllins, qui avertissoient de ne rétablir sur son trône aucun roi d’Egypte avec une armée, ce qui fit qu’on décida dans cette occasion qu’il étoit dangereux de donner à ce roi une armée pour rentrer dans son royaume.

Mais la méthode la plus ordinaire d’empêcher la décision d’une affaire, étoit celle d’employer le jour entier à parler deux ou trois heures de suite, de façon qu’il ne restât pas assez de tems ce jour-là. On trouve dans les anciens auteurs des exemples de cette conduite ; & lorsque quelqu’un des magistrats les plus séditieux abusoit trop ouvertement de ce droit contre le penchant général de l’assemblée, les sénateurs étoient alors si impatiens, qu’ils lui imposoient silence, pour ainsi dire, par la force ; & ils le troubloient de telle maniere par leurs clameurs, leurs huées, & leurs sifflemens, qu’ils l’obligeoient à se désister.

Il est probable que les lois exigeoient la présence d’un certain nombre de sénateurs pour rendre un acte légitime, & donner de la force à un decret, puisqu’on s’oppose quelquefois aux consuls pour avoir poursuivis des decrets subreptices secrétement dans une assemblée qui n’étoit pas assez nombreuse ; & nous y voyons que le sénat avoit renvoyé quelques affaires, lorsqu’il ne s’étoit pas trouvé un nombre suffisant de sénateurs pour la décider. Ainsi, lorsque dans une assemblée qui étoit imparfaite, un des sénateurs avoit dessein d’empêcher le jugement de quelque affaire, il intimoit le consul de compter le sénat, en lui adressant ces mots, numera senatum, comptez les sénateurs.

On ne voit à la vérité dans aucun des anciens auteurs qu’il fallût un nombre déterminé de sénateurs, si ce n’est dans un ou deux cas particuliers. Par exemple, lorsque les bacchanales furent défendues à Rome, on ordonna que personne n’osât les célebrer sans une permission particuliere accordée à cet effet par le sénat, composé au-moins de cent sénateurs ; & peut-être dans ce tems, étoit-ce le nombre juste & requis dans tous les cas, & lorsque le sénat n’étoit composé que de trois cens personnes ? Le senatus-consulte dont nous parlons fut fait dans le temple de Bellone, l’an 568 de Rome, sous le consulat de Posthumius, & de Q. Marius Philippus. Ce sénatus-consulte est en ancienne langue osque. On le trouvera rapporté en entier dans l’histoire de la jurisprudence romaine, par M. Terrasson.

Environ un siecle après, lorsque le nombre des sénateurs augmenta, & fut porté jusqu’à 500, Caïus Cornélius, tribun du peuple, donna lieu à l’établissement d’une loi, qui ôtoit au sénat le pouvoir d’absoudre qui que ce fût de l’obligation des lois, si 200 sénateurs au-moins n’avoient été présens au decret d’exemption. Ce Cornélius voulut rétablir la jurisprudence des premiers tems de la république, suivant laquelle le sénat n’accordoit point de dispense, où la clause de la faire agréer au peuple ne fût insérrée. Cette clause, qui n’étoit plus que de style, négligée même depuis quelque-tems dans les dispenses, dont un très-petit nombre de sénateurs s’étoient rendus les maîtres, déplaisoit au sénat. Il fut cependant forcé après une pénible résistance, l’an 688, sous le consulat de L. C. Calpurnius Piso, d’accueillir cette loi dans les comices. On fit en même tems défenses à celui qui auroit obtenu la dispense, de s’opposer à ce qui en seroit ordonné par le peuple, lorsque le decret d’exemption lui seroit rapporté.

Après tout, il est assez difficile de décider quel nombre de sénateurs étoit requis pour porter un senatus-consulte. Les anciens auteurs ne nous en apprennent rien exactement, & par conséquent nous ne faisons que deviner. Denys d’Halicarnasse a écrit qu’Auguste voyant que les sénateurs étoient en petit nombre, régla qu’on pouvoit porter des senatus-consultes, quoiqu’il n’y eût pas 400 sénateurs présens. Anciennement, dit Prudence, il n’étoit pas permis de porter de senatus-consultes qu’il n’y eût 300 peres conscrits du même sentiment ; mais ce passage paroît plutôt se rapporter au nombre des avis qu’au nombre des sénateurs. Il est cependant certain qu’il y avoit un nombre fixe de sénateurs nécessaires pour les senatus-consultes ; car, comme je l’ai remarqué, tout sénateur qui vouloit empêcher de porter de senatus-consultes, pouvoit dire au consul, comptez les sénateurs.

Les decrets du sénat étoient d’ordinaire lus & publiés dès qu’ils avoient été rendus, & l’on en déposoit toujours une copie authentique dans le trésor public, qui étoit au capitole, au lieu où l’on voit à présent le palais du conservateur.

Sans ce préalable, on ne les regardoit pas comme des decrets valides, & rendus selon la forme des lois : lorsque l’affaire dont on traitoit dans le jour étoit finie, le consul ou quelqu’autre magistrat, qui avoit convoqué l’assemblée, étoit dans l’usage de la séparer, & de la rompre par ces paroles, peres conscrits, il n’est plus besoin de vous retenir ici, ou bien il n’y a plus rien ici qui vous retienne.

Il est encore bien difficile de dire précisément quelle étoit la force des decrets du sénat. Il est certain qu’ils n’étoient pas regardés comme des lois ; mais il paroît qu’originairement, ils avoient été rendus dans l’objet de préparer la loi dont ils étoient comme le fonds & la base principale. Ils avoient une espece de force & d’autorité provisionnelle, jusqu’à ce que le peuple eût fait une loi selon les formes prescrites & ordinaires ; car dans tous les siecles de la république on ne fit jamais aucune loi sans le consentement général du peuple.

Les decrets du sénat regardoient principalement la partie exécutrice du gouvernement, la destination des provinces à leurs magistrats, la quotité des appointemens des généraux. Ils portoient aussi sur le nombre des soldats qu’on leur donnoit à commander ; sur toutes les affaires imprévues, & de hasard, sur lesquelles on n’avoit fait aucun réglement, & qui en requéroient un ; de sorte que l’autorité de la plûpart de ces decrets, n’étoit que passagere & momentanée ; qu’ils n’avoient ni force ni vigueur, si ce n’est dans les occasions particulieres, & pour lesquelles ils avoient été faits. Mais quoiqu’en rigueur ils n’eussent point force de loi, ils étoient cependant regardés comme obligatoires, & l’on y obéissoit.

Tous les ordres des citoyens s’y soumettoient, jusqu’à ce qu’ils eussent été annullés par quelqu’autre décret, ou renversé par l’établissement de quelque loi. Il est vrai que le respect qu’on avoit pour eux, étoit plutôt la suite d’un usage reçu, & venoit plus de l’estime générale des citoyens pour l’autorité de ce conseil suprème, que de quelque obligation prise de la forme du gouvernement, puisque dans les tems les plus reculés, lorsqu’il naissoit quelque difficulté sur un decret particulier, nous trouvons que les consuls auxquels l’exécution en étoit confiée, & qui ne vouloient pas leur donner force de loi, se fondoient sur ce qu’ils étoient faits par leurs prédécesseurs, & donnoient pour raison que les decrets du sénat ne devoient avoir lieu qu’une année seulement, & pendant la durée de la magistrature de ceux qui les avoient rendus.

Cicéron dans un cas pareil, lorsqu’il plaidoit la cause d’un de ses cliens qu’il défendoit sur le mépris qu’il avoit marqué pour un decret du sénat, déclara que ce decret ne devoit avoir aucun effet, parce qu’il n’avoit jamais été porté au peuple pour lui donner l’autorité d’une loi. Dans ces deux cas, quoique le consul & Cicéron ne dissent rien qui ne fût afférant, & qui ne convînt à la nature de la cause, ils le disoient cependant, peut-être plus par nécessité, & à raison de l’intérêt particulier qu’ils y avoient, qu’ils ne l’auroient fait dans d’autres circonstances ; les consuls le faisoient pour éviter l’exécution d’un acte qui ne leur plaisoit pas ; & Cicéron pour la défense d’un client qui se trouvoit dans le plus grand danger.

Mais véritablement dans toutes les occasions, les magistrats principaux, soit de Rome, soit du dehors, paroissent avoir eu plus ou moins de respect pour les decrets du sénat, selon qu’ils étoient plus ou moins avantageux à leur intérêt particulier ; à leur penchant ou au parti qu’ils avoient embrassé dans la république. Dans les derniers tems, lorsque le pouvoir suprème usurpé par quelqu’un de ces chefs, eut surmonté tous les obstacles, & eut mis à l’écart toutes sortes de coutumes & de lois, dont le maintien & la conservation pouvoit nuire à leurs vues ambitieuses, nous trouvons que les decrets du sénat étoient traités avec beaucoup de mépris par eux & par leurs créatures, tandis qu’ils avoient à leurs ordres une populace subordonnée, aussi corrompue que prompte à leur accorder tout ce qu’ils demandoient, jusqu’à la ruine entiere de la liberté publique. (Le Chevalier de Jaucourt.)

Sénatus-consulte secret, (Hist. rom.) senatusconsultum tacitum. C’étoit une délibération secrette, à laquelle les anciens sénateurs seulement étoient d’ordinaire appellés dans les premiers tems de la république.

C. Capitolinus nous apprend que cet usage émanoit de la nécessité publique, lorsque dans quelques dangers pressans de la part des ennemis, le sénat se trouvoit forcé de prendre de prompts expédiens, qu’il falloit employer avant que de les divulguer, & qu’on vouloit tenir cachés à ses meilleurs amis. Dans ces sortes d’occasions, le sénat formoit un decret tacite. Pour y parvenir, l’on excluoit alors de l’assemblée les greffiers ; & les sénateurs se chargeoient eux-mêmes de leur emploi, afin que rien ne transpirât au-dehors. On voit dans les tems les plus reculés de la république divers exemples de ces assemblées secrettes, où n’assistoient, & ne pouvoient être admis que les vieux sénateurs. Ces assemblées convoquées par les consuls, se tenoient dans leurs propres maisons, ce dont les tribuns faisoient de grandes plaintes. Voyez Denys d’Halicarnasse, l. X. c. xxxx, l. XI. c. lv. &c. (D. J.)

Sénatus-consulte Macédonien, (Histoire rom.) c’étoit un sénatus-consulte, par lequel il étoit ordonné que toute action fût déniée à celui qui prêteroit de l’argent à un fils en puissance de pere. Ce sénatus-consulte n’est point reçu en pays coutumier, & les enfans de famille se peuvent valablement obliger pour prêt d’argent, s’ils sont majeurs ; & s’ils sont mineurs, ils peuvent recourir au bénéfice de restitutions. (D. J.)

Sénatus-consulte Velléien, (Droit coutum.) c’est par ce sénatus-consulte que les femmes ne peuvent pas s’obliger valablement pour d’autres ; en sorte que si elles se sont chargées de quelque obligation contractée par une autre personne, comme servant de caution ou autrement, elles ne peuvent être valablement poursuivies, pour raison de telles obligations. Ce sénatus-consulte a été long-tems observé dans toute la France ; mais sous Henri IV. par un édit du mois d’Août 1606, sa disposition fut abrogée ; cependant on l’a conservée en Normandie, où le cautionnement des femmes est nul de droit. (D. J.)