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Toutes ces explications, que les Médecins dans divers tems ont tâché de donner de l’œconomie animale, quelque spécieuses qu’elles aient paru, sous quel jour avantageux qu’elles se soient montrées, n’ont pu emporter les suffrages des vrais observateurs. Elles sont la plûpart inexactes, d’autres ne sont que trop généralisées, quelques-unes évidemment fausses, toutes insuffisantes ; cette insuffisance frappoit d’abord qu’on les approfondissoit, & jettoit dans l’esprit une sorte de mécontentement qu’on ne pouvoit déterminer, & dont on ignoroit la source immédiate. Enfin, parmi les bons esprits nécessairement peu satisfaits de toutes ces théories, mais plutôt par ce sentiment vague & indéfini que par une notion claire & raisonnée, s’éleva un homme de génie qui découvrit la source de l’ignorance & des erreurs, & qui se frayant une route nouvelle, donna à l’art une consistance & une forme qui le rapprochent autant qu’il est possible, de l’état de science exacte & démontrable.

Des le premier pas, il apperçut les deux vices fondamentaux de la méthode adoptée. 1°. Les sources des connoissances lui parurent mal choisies : les expériences de la physique vulgaire, les analogies déduites des agens méchaniques, la contemplation des propriétés chimiques des humeurs, soit saines soit dégénérées, celles de la contexture des organes de la distribution des vaisseaux, &c. ces sources des connoissances, dis-je, lui parurent absolument insuffisantes, quoique précieuses en soi, du moins pour la plupart.

Le second vice essentiel des théories régnantes lui parut être le manque absolu de liaison entre les notions particulieres ; car en prescindant, même de la fausseté des principes sur lesquels la plûpart sont établies, en accordant que les dogmes particuliers reçus fussent des vérités, il est incontestable qu’un amas aussi immense qu’on voudra le supposer, de vérités isolées, ne sauroit former une science réelle. Il conclut de ces deux considérations préliminaires, 1°. qu’il falloit recourir à un autre moyen de recherche ; 2°. qu’il étoit nécessaire de ramener, s’il étoit possible, les connoissances particulieres à un petit nombre de principes, dont il faudroit ensuite tâcher d’établir les rapports ; & se proposa même un objet plus grand, & auquel on doit toujours tendre : savoir, d’établir un principe unique & général, embrassant, ralliant, éclairant tous les objets particuliers, ce qui fait le complément & le faîte de toute science ; car selon un axiome ancien, que l’auteur rappelle d’après Séneque : omnis scientia atque ars debet aliquid habere manifestum, sensu comprehensum, ex quo oriatur & crescat.

Ce nouveau moyen de recherche, ce guide éclairé, & jusqu’alors trop négligé, que notre réformateur a scrupuleusement suivi, c’est le sentiment intérieur : en effet, quel sujet plus prochain, plus approprié, plus continuellement soumis à nos observations que nous-mêmes, & quel flambeau plus fidele & plus sûr que notre propre sentiment, pourroit nous découvrir la marche, le jeu, le méchanisme de notre vie ?

L’auteur du nouveau plan de médecine que nous exposons, s’étudia donc profondément, & appliqua ensuite la sagacité qu’il dut nécessairement acquérir par l’habitude de cette observation, à découvrir chez les autres les mêmes phénomenes qu’il avoit apperçus en lui même. Il commença par s’occuper des maladies & des incommodités, à s’orienter par la contemplation de l’état contre nature, parce que la santé parfaite consiste dans un calme profond & continu, un équilibre, une harmonie qui permettent à peine de distinguer l’action des organes vitaux, la correspondance & la succession des fonctions. Mais

dès que cet état paisible est détruit par le trouble de la maladie ou par la secousse des passions, dès-lors la maladie & la douleur, ces sentimens si distincts & si énergiques, manifestent le jeu des divers organes, leurs rapports, leurs influences réciproques. En procédant donc selon cette méthode, & se conduisant avec ordre depuis l’inéquilibre le plus manifeste jusqu’à l’état le plus voisin de l’équilibre parfait, notre ingénieux observateur parvint à se former une image sensible de l’œconomie animale, tant dans l’état de santé que dans celui de maladie.

Il soumit d’abord à l’examen la vue la plus simple, & en même tems la plus féconde sous laquelle on ait envisagé toute l’œconomie animale, celle qui la représente comme roulant sur deux pivots ou deux points essentiels & fondamentaux, le mouvement & le sentiment, & il adopta ce principe. Ses observations lui firent admettre cette autre vérité reçue, que le mouvement & le sentiment & les diverses fonctions qui dépendent de chacun, se modifient & se combinent de différentes manieres. Mais dès qu’il fut parvenu à cet autre point de doctrine régnante : savoir, que le système de ces différentes modifications est tel, que par une vicissitude constante les causes & les effets sont réciproques, ou, ce qui revient au même, les premiers agens sont à leur tour mis en jeu par les puissances dont ils avoient eux-mêmes déterminé l’action ; il se convainquit sans peine que c’étoit là un cercle très-vicieux qui exprimoit une absurdité pour les gens qui prendroient littéralement & positivement cette assertion ; & pour le moins un aveu tacite, mais formel, d’ignorance pour ceux qui veulent seulement faire entendre par-là que l’enchaînement de ces phénomenes leur paroît impénétrable ; car certainement un système d’actions, dans lequel l’effet le plus éloigné devient premiere cause, est absolument & rigoureusement impossible. Ayant ainsi découvert la source des erreurs de tous les médecins philosophes qui s’étoient occupés de l’étude théorique de l’homme ; pleinement convaincu de la nécessité d’admettre une fonction premiere le mobile de toutes les autres, il appliqua ce principe lumineux & fécond à ses recherches sur l’œconomie animale. Il fut donc question de trouver dans le cercle prétendu & apparent ce point primordial & opérateur, ou, pour parler sans figure, dans la suite des fonctions, cette fonction fondamentale & premiere le vrai principe de la vie & de l’animalité.

Cette fonction ne sauroit être la circulation du sang, qui, quand même elle seroit aussi uniforme & aussi universelle qu’on le prétend, est d’ailleurs trop subordonnée, trop passive, s’il est permis de s’exprimer ainsi. Les altérations qu’elle éprouve sont trop lentes & trop peu considerables dans les cas fondamentaux : tels que les événemens communs des passions, des incommodités, des maladies, & la mort même qui arrive très-communément sans dérangement sensible dans le système vasculeux, sans inflammation, sans gangrene, sans arrêts d’humeur, &c. Voyez Mort. D’ailleurs elle existe dans le fœtus qui n’a point de vie propre, comme nous l’observerons dans un instant, aussi bien que dans l’animal qui est devenu un être isolé & à soi, sui juris.

Les principales fonctions, qui par leur importance sensible, mériterent de fixer ensuite son attention, sont la respiration, l’action des organes de la digestion, & celle des organes internes de la tête. La respiration est évidemment celle des trois qui s’est exercée la premiere, & dont l’influence sur toute la machine s’est manifestée dès l’instant de la naissance ; & ce n’est que des ce moment que l’animal doit être considéré comme ayant une vie