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la liqueur restante des premieres crystallisations, alors le sel marin, par la propriété qu’il a de crystalliser même dans l’eau bouillante, dès que la juste proportion de son eau de dissolution commence à lui manquer ; le sel marin, dis-je, crystallise & abandonne la liqueur ; & le nitre qui, par une propriété contraire, demeure suspendu dans une quantité d’eau beaucoup moins considérable que celle dont il a besoin pour être dissout à froid, pourvu que cette eau soit suffisamment chaude, le nitre, dis-je, reste suspendu, dissout par le moyen de l’ébullition. Il n’y a donc lorsqu’on estime que la plus grande partie du sel marin a crystallisé, qu’à retirer le vaisseau du feu, le laisser reposer un instant pour donner lieu à un peu de sel marin, qui pouvoit être balloté par le bouillonnement, de se déposer ; & ensuite décanter la lessive dans un vaisseau convenable, dans lequel, pour empêcher la lessive de se figer en une seule masse, & la disposer à crystalliser régulierement, on versera en même tems une quantité convenable d’eau bouillante. La premiere partie de cette opération est absolument analogue à la manœuvre, par laquelle on sépare le sel commun du salpetre dans le raffinage. Voyez ci-dessus.

Les crystaux de nitre sont des prismes qui paroissent hexaedres, lorsqu’on ne les considere que superficiellement ; mais qu’on trouve octoedres, lorsqu’on les examine avec plus d’attention, attendu que deux des angles ne sont qu’apparens, sont coupés ou abattus en effet, & forment ainsi deux vrais côtés, mais beaucoup moins grands que les six autres. Ces crystaux adherent communément par une de leurs extrémités au corps sur lequel ils se sont formés, ou à un autre crystal, rarement sont-ils couchés sur l’un des côtés ; l’extrémité de ces crystaux opposée à la base, ou le sommet, est tronqué obliquement ; ils sont transparens, mais non pas parfaitement, ils paroissent formés intérieurement par une opposition peu exacte de couches ou lames ; ils blanchissent d’ailleurs, quoique très peu à leur surface en séchant ; ils sont quelquefois aussi gros, & plus longs que le petit doigt. Voyez les planches de Chimie.

Les autres caracteres extérieurs, ou qualités sensibles du nitre parfait, sont les suivantes : ce sel imprime à la langue une saveur légerement amere, accompagnée d’un sentiment de fraîcheur, ou froid très-remarquable ; il fuse par le contact d’un charbon ardent ; il détonne avec la plupart des matieres phlogistiques embrasées, ou en s’enflammant avec ces matieres, étant exposé à un feu léger dans un vaisseau convenable, il y prend la liquidité que Becher a appellée aqueuse, ou coule comme de l’eau, & à la faveur de son eau de crystallisation. Voyez Liquidité, Chimie.

De ces propriétés, la principale, celle qui est véritablement chimique, qui a exercé & qui a mérité d’exercer les Chimistes-physiciens, c’est la propriété de fuser ou de détonner par le contact de certaines matieres phlogistiques embrasées. Ce phénomene est composé de deux événemens distincts ; savoir, l’inflammation & l’explosion, ou fulmination. Le premier dépend évidemment de la très-grande facilité avec laquelle l’acide nitreux se combine avec le phlogistique, & forme avec lui une matiere analogue au soufre vulgaire, ou, si l’on veut, une espece particuliere de soufre si éminemment inflammable, qu’il prend feu dès l’instant de sa formation, & même dans les vaisseaux fermés. C’est cette derniere circonstance qui rend le soufre nitreux incoercible, inramassable, tandis que les deux autres especes, le soufre vitriolique ou vulgaire, & le soufre marin ou microcosmique, c’est-à-dire, le phosphore, qui ne brûlent point sans le concours de l’air, se retiennent facilement lorsqu’on les compose dans les vaisseaux

fermés. Voyez Soufre. L’analogie est d’ailleurs parfaite, absolue entre les produits respectifs de la combinaison du phlogistique avec chacun des trois acides minéraux, en admettant l’identité supposée à cet égard, entre l’acide marin, & l’acide microcosmique. Quant à l’explosion, elle se déduit d’une maniere démontrable de l’expansion soudaine & violente de l’eau de crystallisation du nitre. La prodigieuse force explosive de la poudre à canon ne dépend que de ce principe. L’action de fuser n’est qu’un moindre degré de détonnation.

Le nitre détonne avec toutes les substances phlogistiques embrasées, qui laissent échaper du phlogistique, lorsqu’elles sont dans l’état d’embrasement ; telles que toutes les matieres végétales, animales & minérales, réductibles & actuellement réduites en état de charbon, avec le soufre commun, & apparemment avec le phosphore, avec toutes les substances métalliques, excepté les métaux parfaits & le mercure ; car ces dernieres ne laissent pas leur phlogistique dans l’état d’embrasement. Il y a ici encore une singularité remarquable, c’est que le cuivre & le plomb étant mis avec le nitre dans l’état d’ignition, lâchent leur phlogistique, ou se calcinent ; voyez Calcination ; & que le nitre perd son acide, ce qui est l’effet propre de la détonnation du nitre, avec les substances métalliques ; mais dans les deux cas dont nous parlons, cet effet a lieu sans détonnation, & sans déflagration ou flamme sensible. Si quelque chimiste se propose jamais de retenir du soufre artificiel nitreux, il paroît raisonnable d’employer à sa préparation le cuivre ou le plomb.

D’ailleurs, dans cette opération, le nitre perd donc, comme nous l’avons déja insinué, un de ses principes, son acide. Son autre principe plus fixe & inaltéré reste. Les Chimistes l’appellent nitre fixe ou fixé. Il y a une seule substance, le soufre, qui en même tems qu’elle donne du phlogistique au principe acide du nitre, agit aussi par son propre acide sur la base du nitre. Dans cette détonnation, l’acide du nitre est en partie dissipé sous la forme de soufre nitreux enflammé, & détruit par cette inflammation, & en partie chassé sous la forme de vapeur acide nitreuse, simplement dégagée par l’action précipitante, ou le plus grand rapport de l’acide du soufre, avec la base alkaline du nitre. Il résulte de cette nouvelle combinaison un nouveau sel neutre, qui est un vrai tartre vitriolé, & qui est connu dans l’art, sous le nom de sel polychreste de Glaser, & sous les noms très-impropres de nitre soufré, sulfuratum, & de nitre fixé par le soufre. Si c’est de l’antimoine crud qu’on emploie au lieu du soufre, le résidu ou le produit fixe de cette opération est encore le même sel, parce que c’est principalement par son soufre que l’antimoine agit alors, mais ce produit a un autre nom ; il est appellé, & encore très-improprement, nitre antimonié. Voyez Tartre vitriolé, & Sel.

Il est encore à observer que la base du nitre détonné avec des substances métalliques, s’anime ou devient caustique, comme quand les alkalis fixes quelconques sont convenablement traités dans cette vûe avec la chaux vive. Voyez Chaux, Pierre a cautere, Savon.

Si on exécute toutes ces détonnations dans les vaisseaux fermés, au moyen d’une cornue de fer tubulée, au bec de laquelle on a adapté une file de balons, voyez les Planches de Chimie, on retient divers produits volatils, connus dans l’art sous le nom de clissi. Voyez Clissus.

Les flux simples & ordinaires, employés dans les travaux de la Docimastique, sont principalement formés de la base du nitre, fixé ou décomposé par sa détonnation avec le tartre. Voyez Flux & Tartre.