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N, subst. f. selon l’ancienne épellation enne ; subst. m. selon l’épellation moderne ne. C’est la quatorzieme lettre, & la onzieme consonne de notre alphabet : le signe de la même articulation étoit nommé nu, νῦ, par les Grecs, & nun ou noun, par les Hébreux.

L’articulation représentée par la lettre N, est linguale, dentale & nasale : linguale, parce qu’elle dépend d’un mouvement déterminé de la langue, le même précisement que pour l’articulation D ; dentale, parce que pour opérer ce mouvement particulier, la langue doit s’appuyer contre les dents supérieures, comme pour D & T ; & enfin nasale, parce qu’une position particuliere de la langue, pendant ce mouvement, fait refluer par le nez une partie de l’air sonore que l’articulation modifie, comme on le remarque dans les personnes enchifrenées qui prononcent d pour n, parce que le canal du nez étant alors embarrassé, l’émission du son articulé est entierement orale.

Comme nasale, cette articulation se change aisément en m dans les générations des mots, voyez M : comme dentale ; elle est aussi commuable avec les autres de même espece, & principalement avec celles qui exigent que la pointe de la langue se porte vers les dents supérieures, savoir d & t : & comme linguale, elle a encore un degré de commutabilité avec les autres linguales, proportionné au degré d’analogie qu’elles peuvent avoir dans leur formation ; N se change plus aisément & plus communément avec les liquides L & R, qu’avec les autres linguales, parce que le mouvement de la langue est à-peu-près le même dans la production des liquides, que dans celle de N. Voyez L & Linguale.

Dans la langue françoise la lettre N a quatre usages différens, qu’il faut remarquer.

1o. N, est le signe de l’articulation ne, dans toutes les occasions où cette lettre commence la syllabe, comme dans nous, none, nonagénaire, Ninus, Ninive, &c.

2o. N, à la fin de la syllabe, est le signe orthographique de la nasalité de la voyelle précédente, comme dans an, en, ban, bon, bien, lien, indice, onde, fondu, contendant, &c. voyez M. il faut seulement excepter les trois mots examen, hymen, amen, où cette lettre finale conserve sa signification naturelle, & représente l’articulation ne.

Il faut observer néanmoins que dans plusieurs mots terminés par la lettre n, comme signe de nasalité, il arrive souvent que l’on fait entendre l’articulation ne, si le mot suivant commence par une voyelle ou par un h muet.

Premierement si un adjectif, physique ou métaphysique, terminé par un n nasal, se trouve immédiatement suivi du nom auquel il a rapport, & que ce nom commence par une voyelle, ou par un h muet, on prononce entre deux l’articulation ne : bon ouvrage, ancien ami, certain auteur, vilain homme, vain appareil, un an, mon ame, ton honneur, son histoire, &c. On prononce encore de même les adjectifs métaphysiques un, mon, ton, son, s’ils ne sont séparés du nom que par d’autres adjectifs qui y ont rapport : un excellent ouvrage, mon intime & fidele ami, ton unique espérance, son entiere & totale défaite, &c. Hors de ces occurrences, on ne fait

point entendre l’articulation ne, quoique le mot suivant commence par une voyelle ou par un h muet : ce projet est vain & blâmable, ancien & respectable, un point de vûe certain avec des moyens sûrs, &c.

Le nom bien en toute occasion se prononce avec le son nasal, sans faire entendre l’articulation ne : ce bien est précieux, comme ce bien m’est précieux ; un bien honnète, comme un bien considérable. Mais il y a des cas où l’on fait entendre l’articulation ne après l’adverbe bien ; c’est lorsqu’il est suivi immédiatement de l’adjectif, ou de l’adverbe, ou du verbe qu’il modifie, & que cet adjectif, cet adverbe, ou ce verbe commence par une voyelle, ou par un h muet : bien aise, bien honorable, bien utilement, bien écrire, bien entendre, &c. Si l’adverbe bien est suivi de tout autre mot que de l’adjectif, de l’adverbe ou du verbe qu’il modifie, la lettre n n’y est plus qu’un signe de nasalité : il parloit bien & à-propos.

Le mot en, soit préposition soit adverbe, fait aussi entendre l’articulation ne dans certains cas, & ne la fait pas entendre dans d’autres. Si la préposition en est suivie d’un complément qui commence par un h muet ou par une voyelle, on prononce l’articulation : en homme, en Italie, en un moment, en arrivant, &c. Si le complément commence par une consonne, en est nasal : en citoyen, en France, en trois heures, en partant, &c. Si l’adverbe en est avant le verbe, & que ce verbe commence par une voyelle ou par un h muet, on prononce l’articulation ne : vous en êtes assûré, en a-t-on parlé ? pour en honorer les dieux, nous en avons des nouvelles, &c. Mais si l’adverbe en est après le verbe, il demeure purement nasal malgré la voyelle suivante : parlez-en au ministre, allez-vous-en au jardin, faites en habilement revivre le souvenir, &c.

On avant le verbe, dans les propositions positives, fait entendre l’articulation ; on aime, on honorera, on a dit, on eût pense, on y travaille, on en revient, on y a réfléchi, quand on en auroit eu repris le projet, &c. Dans les phrases interrogatives, on étant après le verbe, ou du moins après l’auxiliaire, est purement nasal malgré les voyelles suivantes : a-t-on eu soin ? est on ici pour long-tems ? en auroit-on été assûré ? en avoit-on imaginé la moindre chose ? &c.

Est-ce le n final qui se prononce dans les occasions que l’on vient de voir, ou bien est-ce un n euphonique que la prononciation insere entre deux ? Je suis d’avis que c’est un n euphonique, différent du n orthographique ; parce que si l’on avoit introduit dans l’alphabet une lettre, ou dans l’orthographe un signe quelconque, pour en représenter le son nasal, l’euphonie n’auroit pas moins amené le n entre-deux, & on ne l’auroit assurement pas pris dans la voyelle nasale ; or on n’est pas plus autorisé à l’y prendre, quoique par accident la lettre n soit le signe de la nasalité, parce que la différence du signe n’en met aucune dans le son représenté.

On peut demander encore pourquoi l’articulation inserée ici est ne, plûtot que te, comme dans a-t-il reçu ? c’est que l’articulation ne est nasale, que par-là elle est plus analogue au son nasal qui précéde, & conséquemment plus propre à le lier avec le son suivant que route autre articulation, qui par la raison contraire seroit moins euphonique. Au contraire, dans a-t-il reçu, & dans les phrases semblables, il paroît que l’usage a inseré le t, parce qu’il est le signe ordinaire de la troisieme personne, & que toutes ces phrases y sont relatives.