L’Encyclopédie/1re édition/L

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L, s. f. c’est la douzieme lettre, & la neuvieme consonne de notre alphabet. Nous la nommons èle ; les Grecs l’appelloient lambda, & les Hébreux lamed : nous nous sommes tous mépris. Une consonne représente une articulation ; & toute articulation étant une modification du son, suppose nécessairement un son, parce qu’elle ne peut pas plus exister sans le son, qu’une couleur sans un corps coloré. Une consonne ne peut donc être nommée par elle-même, il faut lui prêter un son ; mais ce doit être le moins sensible & le plus propre à l’épellation : ainsi l doit se nommer le.

Le caractere majuscule L nous vient des Latins qui l’avoient reçu des Grecs ; ceux-ci le tenoient des Phéniciens ou des Hébreux, dont l’ancien lamed est semblable à notre l, si ce n’est que l’angle y est plus aigu, comme on peut le voir dans la dissertation du P. Souciet, & sur les médailles hébraïques.

L’articulation représentée par l, est linguale, parce qu’elle est produite par un mouvement particulier de la langue, dont la pointe frappe alors contre le palais, vers la racine des dents supérieures. On donne aussi à cette articulation le nom de liquide, sans doute parce que comme deux liqueurs s’incorporent pour n’en plus faire qu’une seule resultée de leur mélange, ainsi cette articulation s’allie si bien avec d’autres, qu’elles ne paroissent plus faire ensemble qu’une seule modificatiou instantanée du même son, comme dans blâme, clé, pli, glose, flûte, plaine, bleu, clou, gloire, &c.

L triplicem, ut Plinio videtur, sonum habet ; exilem, quando geminatur secundo loco posita, ut ille, Metellus ; plenum, quando finit nomina vel syllabas, & quando habet ante se in eâdem syllabâ aliquam consonantem, ut sol, sylva, flavus, clarus ; medium in aliis, ut lectus, lecta, lectum (Prisc. lib. I. de accidentibus litterarum. Si cette remarque est fondée sur un usage réel, elle est perdue aujourd’hui pour nos organes, & il ne nous est pas possible d’imaginer les différences qui faisoient prononcer la lettre l, ou foible, ou pleine, ou moyenne. Mais il pourroit bien en être de cette observation de Pline, répétée assez modestement par Priscien, comme de tant d’autres que font quelques-uns de nos grammairiens sur certaines lettres de notre alphabet, & qui, pour passer par plusieurs bouches, n’en acquierent pas plus de vérité ; & telle est par exemple l’opinion de ceux qui prétendent trouver dans notre langue un i consonne différent de j, & qui lui donnent le nom de mouillé foible. Voyez I.

On distingue aussi un l mouillée dans quelques langues modernes de l’Europe ; par exemple, dans le mot françois conseil, dans le mot italien meglio (meilleur), & dans le mot espagnol llamar (appeller). L’ortographe des Italiens & des Espagnols à l’égard de cette articulation ainsi considérée, est une & invariable ; gli chez les uns, ll chez les autres, en est toujours le caractere distinctif : chez nous, c’est autre chose.

1o . Nous représentons l’articulation mouillée dont il s’agit, par la seule lettre l, quand elle est finale & précédée d’un i, soit prononcé, soit muet ; comme dans babil, cil, mil (sorte de graine), gentil (payen), péril, bail, vermeil, écueil, fenouil, &c. Il faut seulement excepter fil, Nil, mil (adjectif numérique qui n’entre que dans les expressions numériques composées, comme mil-sept-cent-soixante, & les adjectifs en il, comme vil, civil, subtil, &c. où la lettre l garde sa prononciation naturelle : il faut aussi excepter les cinq mots fusil, sourcil, outil, gril, gentil (joli), & le nom fils, où la lettre l est entierement muette.

2o . Nous représentons l’articulation mouillée par ll, dans le mot Sulli ; & dans ceux où il y a avant ll un i prononcé, comme dans fille, anguille, pillage, cotillon, pointilleux, &c. Il faut excepter Gilles, mille, ville, & tous les mots commençant par ill, comme illégitime, illuminé, illusion, illustre, &c.

3o . Nous représentons la même articulation par ill, de maniere que l’i est réputé muet, lorsque la voyelle prononcée avant l’articulation, est autre que i ou u ; comme dans paillasse, oreille, oille, feuille, rouille, &c.

4o . Enfin nous employons quelquefois lh pour la même fin, comme dans Milhaut, ville du Rouergue.

Qu’il me soit permis de dire ce que je pense de notre pretendue l mouillée ; car enfin, il faut bien oser quelque chose contre les préjugés. Il semble que l’i prépositif de nos diphtongues doive par-tout nous faire illusion ; c’est cet i qui a trompé les Grammairiens, qui ont cru démêler dans notre langue une consonne qu’ils ont appellée l’i mouillé foible ; & c’est, je crois, le même i qui les trompe sur notre l mouillée, qu’ils appellent le mouillé fort.

Dans les mots feuillages, gentillesse, semillant, carillon, merveilleux, ceux qui parlent le mieux ne font entendre à mon oreille que l’articulation ordinaire l, suivie des diphtongues iage, iesse, iant, ion, ieux, dans lesquelles le son prépositif i est prononcé sourdement & d’une maniere très-rapide. Voyez écrire nos dames les plus spirituelles, & qui ont l’oreille la plus sensible & la plus délicate ; si elles n’ont appris d’ailleurs les principes quelquefois capricieux de notre ortographe usuelle, persuadées que l’écriture doit peindre la parole, elles écriront les mots dont il s’agit de la maniere qui leur paroîtra la plus propre pour caractériser la sensation que je viens d’analyser ; par exemple feuliage, gentiliesse, semiliant, carilion, merveilieux, ou en doublant la consonne, feuilliage, gentilliesse, semilliant, carillion, merveillieux. Si quelques-unes ont remarqué par hazard que les deux ll sont précédées d’un i, elles le mettront ; mais elles ne se dispenseront pas d’en mettre un second après : c’est le cri de la nature qui ne cede dans les personnes instruites qu’à la connoissance certaine d’un usage contraire ; & dont l’empreinte est encore visible dans l’i qui précede les ll.

Dans les mots paille, abeille, vanille ; rouille, & autres terminés par lle, quoique la lettre l ne soit suivie d’aucune diphtongue écrite, on y entend aisément une diphtongue prononcée ie, la même qui termine les mots Blaie (ville de Guienne), paye, foudroye, truye. Ces mots ne se prononcent pas tout-à-fait comme s’il y avoit palieu, abélieu, vanilieu, roulieu ; parce que dans la diphtongue ieu, le son post-positif eu est plus long & moins sourd que le son muet e ; mais il n’y a point d’autre différence, pourvu qu’on mette dans la prononciation la rapidité qu’une diphtongue exige.

Dans les mots bail, vermeil, péril, seuil, fenouil, & autres terminés par une seule l mouillée ; c’est encore la même chose pour l’oreille que les précédens ; la diphtongue ie y est sensible après l’articulation l ; mais dans l’ortographe elle est supprimée, comme l’e muet est supprimé à la fin des mots bal, cartel, civil, seul, Saint-Papoul, quoiqu’il soit avoué par les meilleurs grammairiens, que toute consonne finale suppose l’e muet. Voyez remarques sur la prononciation, par M. Hardouin, secrétaire perpétuel de la société littéraire d’Arras, pag. 41. « L’articulation, dit-il, frappe toujours le commencement & jamais la fin du son ; car il n’est pas possible de prononcer al ou il, sans faire entendre un e féminin après l ; & c’est sur cet e féminin, & non sur l’a ou sur l’i que tombe l’articulation désignée par l ; d’où il s’ensuit que ce mot tel, quoique censé monosyllabe, est réellement dissyllabe dans la prononciation. Il se prononce en effet comme telle, avec cette seule différence qu’on appuie un peu moins sur l’e feminin qui, sans être écrit, termine le premier de ces mots ». Je l’ai dit moi même ailleurs (art. H), « qu’il est de l’essence de toute articulation de précéder le son qu’elle modifie, parce que le son une fois échappé n’est plus en la disposition de celui qui parle, pour en recevoir quelque modification ».

Il me paroît donc assez vraissemblable que ce qui a trompé nos Grammairiens sur le point dont il s’agit, c’est l’inexactitude de notre ortographe usuelle, & que cette inexactitude est née de la difficulté que l’on trouva dans les commencemens à éviter dans l’écriture les équivoques d’expression. Je risquerai ici un essai de correction, moins pour en conseiller l’usage à personne, que pour indiquer comment on auroit pu s’y prendre d’abord, & pour mettre le plus de netteté qu’il est possible dans les idées ; car en fait d’ortographe, je sais comme le remarque très-sagement M. Hardouin (pag. 54), « qu’il y a encore moins d’inconvénient à laisser les choses dans l’état où elles sont, qu’à admettre des innovations considérables ».

1°. Dans tous les mots où l’articulation l est suivie d’une diphtongue où le son prépositif n’est pas un e muet, il ne s’agiroit que d’en marquer exactement le son prépositif i après les ll, & d’écrire par exemple, feuilliage, gentilliesse, semilliant, carillion, mervellieux, milliant, &c.

2°. Pour les mots où l’articulation l est suivie de la diphtongue finale ie, il n’est pas possible de suivre sans quelque modification, la correction que l’on vient d’indiquer ; car si l’on écrivoit pallie, abellie, vanillie, rouillie, ces terminaisons écrites pourroient se confondre avec celle des mots Athalie, Cornélie, Emilie, poulie. L’usage de la diérèze fera disparoître cette équivoque. On sait qu’elle indique la séparation de deux sons consécutifs, & qu’elle avertit qu’ils ne doivent point être réunis en diphtongue ; ainsi la diérèze sur l’e muet qui est à la suite d’un i détachera l’un de l’autre, fera saillir le son i ; si l’e muet final précédé d’un i est sans diérèze, c’est la diphtongue ie. On écriroit donc en effet pallie, abellie, vanillie, roullie, au lieu de pailie, abeille, vanille, rouille, parce qu’il y a diphtongue ; mais il faudroit écrire, Athalië, Cornélie, Emilië, poulië, parce qu’il n’y a pas de diphtongue.

3°. Quant aux mots terminés par une seule l mouillée, il n’est pas possible d’y introduire la peinture de la diphtongue muette qui y est supprimée ; la rime masculine, qui par-là deviendroit féminine, occasionneroit dans notre poésie un dérangement trop considérable, & la formation des pluriers des mots en ail deviendroit étrangement irréguliere. L’e muet se supprime aisément à la fin, parce que la nécessité de prononcer la consonne finale le ramene nécessairement ; mais on ne peut pas supprimer de même sans aucun signe la diphtongue ie, parce que rien ne force à l’énoncer : l’ortographe doit donc en indiquer la suppression. Or on indique par une apostrophe la suppression d’une voyelle ; une diphtongue vaut deux voyelles ; une double apostrophe, ou plutôt afin d’éviter la confusion, deux points posés verticalement vers le haut de la lettre finale l pourroit donc devenir le signe analogique de la diphtongue supprimée ie, & l’on pourroit écrire bal:, vermel:, péril:, seul:, finoul:, au lieu de bail, vermeil, péril, seuil, fenouil.

Quoi qu’il en soit, il faut observer que bien des gens, au lieu de notre l mouillée, ne font entendre que la diphtongue ie ; ce qui est une preuve assurée que c’est cette diphtongue qui mouille alors l’articulation l : mais cette preuve est un vice réel dans la prononciation, contre lequel les parens & les instituteurs ne sont pas assez en garde.

Anciennement, lorsque le pronom général & indéfini on se plaçoit après le verbe, comme il arrive encore aujourd’hui, on inséroit entre deux la lettre l avec une apostrophe : « Celui jour portoit l’on les croix en processions en plusieurs lieux de France, & les appelloit l’on les croix noires ». Joinville.

Dans le passage des mots d’une langue à l’autre, ou même d’une dialecte de la même langue à une autre, ou dans les formations des dérivés ou des composés, les trois lettres l, r, n, sont commuables entre elles, parce que les articulations qu’elles représentent sont toutes trois produites par le mouvement de la pointe de la langue. Dans la production de n, la pointe de la langue s’appuie contre les dents supérieures, afin de forcer l’air à passer par le nez ; dans la production de l, la pointe de la langue s’éleve plus haut vers le palais ; dans la production de r, elle s’éleve dans ses trémoussemens brusqués, vers la même partie du palais. Voilà le fondement des permutations de ces lettres. Pulmo. de l’attique πλεύμων, au lieu du commun πνεύμων ; illiberalis, illecebræ, colligo, au lieu de inliberalis, inlecebræ, conligo ; pareillement lilium vient de λείριον, par le changement de ρ en l ; & au contraire varius vient de βαλιὸς, par le changement de λ en r.

L est chez les anciens une lettre numérale qui signifie cinquante, conformément à ce vers latin :

Quinquies L denos numero designat habendos.

La ligne horisontale au-dessus lui donne une valeur mille fois plus grande. L vaut 50000.

La monnoie fabriquée à Bayonne porte la lettre L.

On trouve souvent dans les auteurs LLS avec une expression numérique, c’est un signe abrégé qui signifie sextertius le petit sexterce, ou sextertium, le grand sexterce. Celui-ci valoit deux fois & une demi-fois le poids de metal que les Romains appelloient libra (balance), ou pondo, comme on le prétend communément, quoi qu’il y ait lieu de croire que c’étoit plutôt pondus, ou pondum, i (pesée) ; c’est pour cela qu’on le représentoit par LL, pour marquer les deux libra, & par S pour designer la moitié, semis. Cette libra, que nous traduisons livre, valoit cent deniers (denarius) ; & le denier valoit 10 as, ou 10 s. Le petit sexterce valoit le quart du denier, & conséquemment deux as & un demi-as ; ensorte que le sextertius étoit à l’as, comme le sextertium au pondus. C’est l’origine de la différence des genres : as sextertius, syncope de semistertius, & pondus sestertium, pour semistertium, parce que le troisieme as ou le troisieme pondus y est pris à moitié. Au reste quoique le même signe LLS désignât également le grand & le petit sesterce, il n’y avoit jamais d’équivoque ; les circonstances fixoient le choix entre deux sommes, dont l’une n’étoit que la millieme partie de l’autre. (B. E. R. M.)

L. Dans le Commerce, sert à plusieurs sortes d’abréviations pour la commodité des banquiers, négocians, teneurs de livres, &c. Ainsi L. ST. signifie livres sterlings L. DE G. ou L. G. signifie livre de gros. L majuscule batarde, se met pour livres tournois, qui se marque aussi par cette figure ₶ ; deux petites lb liées de la sorte dénotent livres de poids. Voyez le Dictionnaire de Commerce. (G)

L, (Ecriture.) dans sa forme italienne, c’est la partie droite de l’i doublée avec sa courbe. Dans la coulée, c’est la 6e, 7e, 8e & 1re parties de l’o avec l’i répété ; dans la ronde, c’est la 8e, 1re, 2e parties d’o & l’i répété avec une courbe seulement. Ces l se forment du mouvement mixte des doigts & du poignet. L’l italienne n’a besoin du secours du poignet que dans sa partie inférieure. Voyez nos Planches d’Ecriture.