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Concelebrare homines possint, aureisque juvare,
Et zephyri cava per calamorum sibila primum
Agresteis docuere cavas inflare cieutas.

A l’égard des autres sortes d’instrumens, les cordes sonores sont si communes, que les hommes ont dû observer de bonne heure leurs différens sons : ce qui a donné naidance aux instrumens à cordes. Voyez Corde.

Pour ce qui est des instrumens qu’on bat pour en tirer du son, comme les tambours & les tymbales, ils doivent leur origine au bruit sourd que rendent les corps creux quand on les frappe. Voyez Tambour, Tymbales, &c.

Il est difficile de sortir de ces généralités pour établir quelque chose de solide sur l’invention de la Musique réduite en art. Plusieurs anciens l’attribuent à Mercure, aussi-bien que celle de la lyre. D’autres veulent que les Grecs en soient rédevables à Cadmus, qui en se sauvant de la cour du roi de Phénicie (Athén. Deipn.), amena en Grece la musicienne harmonie. Dans un endroit du dialogue de Plutarque sur la Musique, Lysias dit que c’est Amphion qui l’a inventée ; dans un autre, Soterique dit que c’est Appollon ; dans un autre encore, il semble en faire honneur à Olympe. On ne s’accorde guere sur tout cela ; à ces premieres inventions succéderent Chiron, Demodocus, Hermès, Orphée, qui, selon quelques-uns, inventa la lyre. Après ceux-là vinrent Phœcinius & Terpandre, contemporains de Lycurgue, & qui donna des regles à la Musique. Quelques personnes lui attribuent l’invention des premiers modes. Enfin, on ajoute Thales & Thamiris, qu’on dit avoir été les inventeurs de la Musique purement instrumentale.

Ces grands musiciens vivoient avant Homere. D’autres plus modernes sont Lasus, Hermionensis, Melnippides, Philoxene, Thimothée, Phrynnis, Epigonius, Lysandre, Simmicus & Diodore, qui tous ont considérablement perfectionné la musique.

Lasus est, à ce qu’on prétend, le premier qui ait écrit sur la musique du tems de Darius Hystaspes. Epigonius inventa un instrument de quarante cordes appellée épigonium. Simmicus inventa aussi un instrument de trente-cinq cordes, appelle simmicium.

Diodore perfectionna la flûte en y ajoutant de nouveaux trous, & Thimothée la lyre, en y ajoutant une nouvelle corde, ce qui le fit mettre à l’amende par les Lacédemoniens.

Comme les anciens écrivains s’expliquent fort obscurément sur les inventeurs des instrumens de Musique, ils sont aussi fort obscurs sur les instrumens mêmes ; à peine en connoissons-nous autre chose que les noms.

Les instrumens se divisent généralement en instrumens à cordes, instrumens a vent, & instrumens qu’on frappe. Par instrumens à cordes, on entend ceux que les anciens appelloient lyra, psalterium, trigonium, sambuca, cithara, pectis, magas, barbiton, testudo, trigonium, epigonium, simmicium, epandoron, &c. On touchoit tous ces instrumens avec la main, ou avec le plectrum, espece d’archet. Voyez Lyre, &c.

Par instrumens à vent, on entend ceux que les anciens nommoient tibia, fistula, tuba, cornua, lituus, & les orgues hydrauliques. Voyez Flutes, &c.

Les instrumens de percussion étoient appellés tympanum, cymbalum, orepitaculum, tintinnabulum, crotalum, sisirum. Voyez Tympanum, Timbales, &c.

La Musique étoit dans la plus grande estime chez

divers peuples de l’antiquité, & principalement chez les Grecs, & cette estime étoit proportionnée à la puissance & aux effets surprenans qu’ils lui attribuoient. Leurs auteurs ne croient pas nous en donner une trop grande idée, en nous disant qu’elle étoit en usage dans le ciel, & qu’elle faisoit l’amusement principal des dieux & des ames des bienheureux. Platon ne craint point de dire, qu’on ne peut faire de changemens dans la Musique, qui n’en soit un dans la constitution de l’état ; & il prétend qu’on peut assigner les sons capables de faire naître la bassesse de l’ame, l’insolence & les vertus contraires. Aristote, qui semble n’avoir fait sa politique que pour opposer ses sentimens à ceux de Platon, est pourtant d’accord avec lui touchant la puissance de la Musique sur les mœurs. Le judicieux Polybe nous dit que la Musique étoit nécessaire pour adoucir les mœurs des Arcades, qui habitoient un pays où l’air est triste & froid ; que ceux de Cynete qui négligerent la Musique, surpasserent en cruauté tous les Grecs, & qu’il n’y a point de ville où l’on ait tant vu de crimes. Athenée nous assure qu’autrefois toutes les lois divines & humaines, les exhortations à la vertu, la connoissance de ce qui concernoit les dieux & les hommes, les vies & les actions des personnages illustres, étoient écrites en vers, & chantées publiquement par un chœur au son des instrumens. On n’avoit point trouvé de moyen plus efficace, pour graver dans l’esprit des hommes les principes de la morale, & la connoissance de leurs devoirs.

La Musique faisoit partie de l’étude des anciens Pythagoriciens ; ils s’en servoient pour exciter l’esprit à des actions louables, & pour s’enflammer de l’amour de la vertu. Selon ces philosophes, notre ame n’étoit, pour ainsi dire, formée que d’harmonie, & ils croyoient faire revivre par le moyen de la Musique, l’harmonie primitive des facultés de l’ame ; c’est-à-dire, l’harmonie qui, selon eux, existoit en elle avant qu’elle animât nos corps, & lorsqu’elle habitoit les cieux. Voyez Préexistence, Pythagoriciens.

La Musique paroît déchue aujourd’hui de ce degré de puissance & de majesté, au point de nous faire douter de la vérité de ces faits, quoiqu’attestés par les plus judicieux historiens & par les plus graves philosophes de l’antiquité. Cependant on retrouve dans l’histoire moderne quelques faits semblables. Si Thimothée excitoit les fureurs d’Alexandre par le mode phrygien, & l’adoucissoit ensuite jusqu’à l’indolence par le mode lydien, une musique plus moderne renchérissoit encore en excitant, dit-on, dans Erric roi de Danemark, une telle fureur, qu’il tuoit ses meilleurs domestiques : apparamment ces domestiques là n’étoient pas si sensibles que leur prince à la Musique, autrement il eût bien pû courir la moitié du danger. D’Aubigné rapporte encore une autre histoire toute pareille à celle de Thimothée. Il dit que du tems d’Henri III. le musicien Glaudin, jouant aux noces du duc de Joyeuse sur le mode phrygien, anima, non le roi, mais un courtisan, qui s’oublia au point de mettre la main aux armes en présence de son souverain ; mais le musicien se hâta de le calmer en prenant le mode sous-phrygien.

Si notre musique exerce peu son pouvoir sur les affections de l’ame, en revanche elle est capable d’agir physiquement sur le corps ; témoin l’histoire de la tarentule, trop connue pour en parler ici. Voyez Tarentule. Témoin ce chevalier gascon dont parle Boile, lequel au son d’une cornemuse, ne pouvoit retenir son urine ; à quoi il faut ajouter ce que raconte le même auteur de ces femmes qui fondoient en larmes lorsqu’elles entendoient un certain ton dont le reste des auditeurs n’étoient point affectés.