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seurs des muscs ; aucun voyageur de mérite n’en parle.

D’autres enfin se sont persuadés que les Asiatiques font le musc avec la chair de l’animal qu’ils broyent dans un mortier de pierre jusqu’à la consistance de bouillie, y mêlant de tems en tems du sang de la bête, qu’ils ont eu soin de recueillir aussi-tôt après sa mort. Cette bouillie mise dans des sacs faits de la peau de l’animal puis séchée à l’ombre est, disent-ils, la drogue que nous appellons musc, mais cette opinion n’est pas plus vraissemblable que les précédentes. Le sang & la chair de l’animal n’ont aucune odeur de musc, elles ne sauroient l’acquérir par le mélange, & ne peuvent que se pourrir ou se dessécher comme nous l’avons prouvé ci-dessus.

Concluons que la substance grasse & onctueuse, contenue dans la vessie du chevreuil musqué, est le fruit de la structure singuliere des vaisseaux, des glandes, & des couloirs qui en font la sécrétion dans cette partie.

On le sophistique en Asie. On en retire à peine trois ou quatre drachmes, aussi est-ce une des marchandises où l’on cherche le plus à tromper, & que les habitans ont l’adresse d’altérer d’une infinité de manieres, avec de la terre, du sang desséché, les testicules, les rognons de l’animal & autres ingrédiens de cette espece ; & ces tromperies se font dans le pays malgré les défenses des princes de l’Asie, & des précautions qu’ils ont tâche de prendre pour les empêcher, à ce que rapporte Tavernier : d’ailleurs, comme ils aiment extrèmement ce parfum, ils font enlever pour eux-mêmes le plus pur qu’on peut trouver ; c’est ainsi qu’en agit l’empereur de la Chine.

On le vend en vessie ou hors de vessie. Le musc se vend en Europe chez les marchands Epiciers & Droguistes, de deux manieres, ou en vessie, ou séparé de son enveloppe.

Choix du musc en vessie. Quand on achete le musc en vessie, il faut le tirer de bonne main, le choisir sec, onctueux, odorant ; que la peau de la vessie soit mince, peu garnie de poil ; car plus il s’y rencontre de peau & de poil, & moins il y a de marchandise. Il faut que le poil soit de couleur brune qui est la marque du musc de Tunquin qu’on estime le plus. Le musc de Bengale est enveloppé dans des vessies garnies de poil blanc.

Choix du musc séparé des vessies. Quand le musc est séparé de la vessie, on doit le conserver dans une boîte de plomb & dans un lieu frais, parce que la fraîcheur du lieu & du métal, empêchent qu’il ne se desseche trop, & tendent à lui conserver ses parties les plus volatiles. Le bon musc sans enveloppe doit être gras, mais sec, pur, sans mélange, d’une couleur tannée, d’une odeur forte & insupportable, d’un goût amer ; mis sur le feu, il doit se consumer tout entier, quoique cette derniere marque de bonté soit équivoque, l’épreuve n’étant bonne que pour le musc mélangé de terre, de plomb, de chair hachée, & ne servant de rien pour celui qui est mêlé de sang.

Son prix est en Hollande. Le musc dont on fait négoce à Amsterdam, vient ordinairement de Tunquin & de Bengale, & quelquefois de Moscovie. Celui de Tunquin est de deux sortes, en vessie ou hors de vessie, l’un & l’autre se vend à l’once ; celui en vessie se vend jusqu’à neuf florins, celui hors des vessies jusqu’à douze florins, celui de Bengale est le meilleur marché. A l’égard du musc de Moscovie, on l’estime moins que les autres, son odeur quoique très-forte d’abord, s’évapore fort aisément.

On en débitoit autrefois en France quatre à cinq cens onces par année. On seroit surpris aujourd’hui du peu qui s’en consomme dans le royaume.

Son odeur est violente. Ce parfum est presque tout

huile & sel volatil, il contient très-peu de terre. Son odeur est fort incommode & desagréable, quand on en sent quelque quantité à la fois ; mais elle est suave & douce, lorsqu’on en mélange seulement quelques grains avec d’autres matieres. La raison de cette différence vient, de ce qu’étant en trop grande quantité, il s’en exhale tant de parties, qu’elles pressent & fatiguent les nerfs olfactoires, au lieu qu’étant en petite quantité, le peu de parties volatiles qui s’en élevent ne font que chatouiller les nerfs de l’odorat.

Elle se répare quand elle est perdue. Si le musc perd son odeur, comme il arrive quelquefois, il la reprend & se raccommode, en le suspendant pour quelque tems au haut d’un plancher humide, & surtout près d’un privé, ce qui dénote que la nature du musc est recrémenticielle.

Elle est composée de corpuscules très-subtils. On peut juger de la subtilité des parties volatiles qui constituent son odeur, puisqu’en s’exhalant perpétuellement, le musc paroît au poids ne rien perdre de sa masse. Il faut, sans doute, qu’à mesure que les petits corpuscules odoriférans s’exhalent, ils soient remplacés par de nouvelles particules mêlées dans l’air.

Le musc n’est plus d’usage en Médecine. On a attribué précédemment au musc de grandes vertus médicinales ; on le donnoit intérieurement seul ou avec d’autres aromates pour fortifier l’estomac, pour les maux de tête, pour résister au venin, pour exciter la semence, pour dissoudre le sang grumelé, & dans divers autres cas ; il entroit aussi dans plusieurs compositions pharmaceutiques, mais présentement on n’en fait plus d’usage, & c’est le mieux. D’ailleurs, les vapeurs que son odeur provoque aux femmes & à la plûpart des hommes, lui ont ôté tout crédit, tant en médecine que dans les parfums, qui de leur côté sont extrèmement tombés de mode. (Le chevalier de Jaucourt.)

MUSCADE, noix, (Botan. exot.) La noix muscade est une espece de noix aromatique des Indes orientales, qui est proprement l’amande, le noyau du fruit du muscadier. Voyez Muscadier.

La noix muscade s’appelle en latin dans les boutiques nux moschata, nux myristica aromatica. Avicenne la nomme giauziban ; Sérapion, jeuzbave ou jusbaque ; les Grecs modernes, μοσχοκάρυον ou κάρυον μυριστίκον.

C’est un noyau ferme & compacte, fragile cependant, & qui se fend aisément en petits morceaux quand on le pile. Il est long d’un demi-pouce, gras, odorant, un peu ridé en-dehors, & d’une couleur presque cendrée. Il est panaché en-dedans de veines d’un rouge brun & d’un jaune blanchâtre, qui font des ondulations ou qui vont de côté & d’autre, sans aucun ordre. Le goût de cette noix est d’une saveur âcre & suave, quoiqu’amere. Sa substance est odorante, huileuse.

On distingue dans les boutiques deux sortes de vraies noix muscades cultivées, nommées noix muscades femelles ; l’une est de la forme d’une olive, d’une odeur aromatique un peu astringente ; l’autre est plus longue, presque cylindrique, & moins estimée : ce sont néanmoins des fruits du même arbre qui ont plus ou moins réussi, selon l’âge de l’arbre, le terroir, l’exposition, la culture. Entre ces deux sortes de noix, il s’en trouve d’autres mélées de figures diverses & irrégulieres, qui sont des jeux de la nature.

Il y a pareillement des noix muscades sauvages qu’on appelle autrement noix muscades mâles. Cette derniere noix muscade est sujette comme la femelle à des figures irrégulieres, & est d’ordinaire plus grosse que la noix muscade cultivée, de forme oblongue,