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Voici le plus fort argument des premiers ; supposons un globe en repos, & que Dieu cesse de vouloir son repos, que s’ensuivra-t-il de là ? il restera toujours en repos ; mais supposons le corps en mouvement, & que Dieu cesse de le vouloir en mouvement, que s’ensuivra-t-il maintenant ? que le corps cessera d’être en mouvement, c’est-à-dire qu’il sera en repos, & cela parce que la force par laquelle un corps qui est en mouvement, persévere dans cet état, est la volonté positive de Dieu ; au lieu que celle par laquelle un corps qui est en repos y persévere, n’est autre chose que la volonté générale par laquelle il veut qu’un corps existe. Mais ce n’est là qu’une pétition de principe ; car la force ou le conatus par lequel les corps soit en repos, soit en mouvement, perséverent dans leurs états, ne vient que de l’inertie de la matiere ; de sorte que s’il étoit possible pour un moment à Dieu de ne rien vouloir sur l’état du corps, quoiqu’il en voulût toujours l’existence, un corps qui auroit été auparavant en mouvement y continueroit toujours, comme un corps en repos resteroit toujours en cet état. C’est cette inactivité ou inertie de la matiere qui fait que tous les corps résistent suivant leur quantité de matiere, & que tout corps qui en choque un autre avec une vitesse donnée, le forcera de se mouvoir avec d’autant plus de vitesse, que la densité & quantité de matiere du corps choquant sera plus grande par rapport à la densité & quantité de matiere de l’autre. Voyez Force d’inertie.

On peut réduire les modifications de la force active & de la force passive des corps dans leur choc à trois lois principales, auxquelles les autres sont subordonnées. 1°. Un corps persévere dans l’état où il se trouve, soit de repos, soit de mouvement, à moins que quelque cause ne le tire de son mouvement ou de son repos. 2°. Le changement qui arrive dans le mouvement d’un corps est toujours proportionnel à la force motrice qui agit sur lui ; & il ne-peut arriver aucun changement dans la vitesse & la direction du corps en mouvement, que par une force extérieure ; car sans cela ce changement se feroit sans raison suffisante. 3°. La réaction est toujours égale à l’action ; car un corps ne pourroit agir sur un autre corps, si cet autre corps ne lui résistoit : ainsi l’action & la réaction sont toujours égales & opposées. Mais il y a encore bien des choses à considérer dans le mouvement, savoir :

1°. La force qui l’imprime au corps ; elle s’appelle force motrice : elle a pour premiere cause l’Être suprème, qui a imprimé le mouvement à ses ouvrages, après les avoir créés. L’idée de quelques philosophes qui prétendent que tout mouvement actuel que nous remarquons dans les corps, est produit immédiatement par le créateur, n’est pas philosophique. Quoique nous ne puissions concevoir comment le mouvement passe d’un corps dans un autre, le fait n’en est pas moins sensible & certain. Ainsi, après avoir posé l’impression générale du premier moteur, on peut faire attention aux diverses causes que les êtres sensibles nous présentent pour expliquer les mouvemens actuels ; tels sont la pesanteur, qui produit du mouvement tant dans les corps célestes que dans les corps terrestres ; la faculté de notre ame, par laquelle nous mettons en mouvement les membres de notre corps, & par leur moyen d’autres corps sur lesquels le nôtre agit ; les forces attractives, magnétiques & électriques répandues dans la nature, la force élastique, qui a une grande efficace ; & enfin les chocs continuels des corps qui se rencontrent. Quoi qu’il en soit, tout cela est compris sous le nom de force motrice, dont l’effet, quand elle n’est pas détruite par une résistance invincible, est de faire parcourir au corps un certain espace en un certain tems,

dans un milieu qui ne résiste pas sensiblement ; & dans un milieu qui résiste, son effet est de lui faire surmonter une partie des obstacles qu’il rencontre. Cette cause communique au corps une force qu’il n’avoit pas lorsqu’il étoit en repos, puisqu’un corps ne change jamais d’état de lui-même. Un mouvement une fois commencé dans le vuide absolu, s’il étoit possible, continueroit pendant toute éternité dans ce vuide, & le corps mû y parcourroit à jamais des espaces égaux en tems égaux, puisque dans le vuide aucun obstacle ne consumeroit la force du corps.

2°. Le tems pendant lequel le corps se meut : si un corps parcourt un espace donné, il s’écoulera une portion quelconque de tems, tandis qu’il ira d’un point à l’autre, quelque court que soit l’espace en question ; car le moment où le corps sera au point A ne sera pas celui où il sera en B, un corps ne pouvant être en deux lieux à la fois. Ainsi tout espace parcouru l’est en un tems quelconque.

3°. L’espace que le corps parcourt, c’est la ligne droite décrite par ce corps pendant son mouvement. Si le corps qui se meut n’étoit qu’un point, l’espace parcouru ne seroit qu’une ligne mathématique ; mais comme il n’y a point de corps qui ne soit étendu, l’espace parcouru a toujours quelque largeur. Quand on mesure le chemin d’un corps, on ne fait attention qu’à la longueur.

4°. La vitesse du mouvement, c’est la propriété qu’a le mobile de parcourir un certain espace en un certain tems. La vitesse est d’autant plus grande que le mobile parcourt plus d’espace en moins de tems. Si le corps A parcourt en deux minutes un espace auquel le corps B emploie quatre minutes, la vitesse du corps A est double de celle du corps B. Il n’y a point de mouvement sans une vitesse quelconque, car tout espace parcouru est parcouru dans un certain tems ; mais ce tems peut être plus ou moins long à l’infini. Par exemple, un espace que je suppose être d’un pié, peut être parcouru par un corps en une heure ou dans une minute, qui est la 60e partie d’une heure, ou dans une seconde, qui en est la 3600e partie, &c. Le mouvement, c’est-à-dire la vitesse, peut être uniforme ou non uniforme, accélérée ou retardée, également ou inégalement accélérée & retardée. Voyez Vitesse.

5°. La masse des corps en vertu de laquelle ils résistent à la force qui tend à leur imprimer ou à leur ôter le mouvement. Les corps résistent également au mouvement & au repos. Cette résistance étant une suite nécessaire de leur force d’inertie, elle est proportionnelle à leur quantité de matiere propre, puisque la force d’inertie appartient à chaque particule de la matiere. Un corps résiste donc d’autant plus au mouvement qu’on veut lui imprimer, qu’il contient une plus grande quantité de matiere propre sous un même volume, c’est-à-dire d’autant plus qu’il a plus de masse, toutes choses d’ailleurs égales. Ainsi plus un corps a de masse, moins il acquiert de vitesse par la même pression, & vice versâ. Les vitesses des corps qui reçoivent des pressions égales sont donc en raison inverse de leur masse. Par la même raison le mouvement d’un corps est d’autant plus difficile à arrêter, que ce corps a plus de masse ; car il faut la même force pour arrêter le mouvement d’un corps qui se meut avec une vitesse quelconque, & pour communiquer à ce même corps le même degré de vitesse qu’on lui a fait perdre. Cette résistance-que tous les corps opposent lorsqu’on veut changer leur état présent, est le fondement de cette loi générale du mouvement, par laquelle la réaction est toujours égale à l’action. L’établissement de cette loi étoit nécessaire afin que les corps pussent agir les uns sur les autres, & que le mouvement étant une fois produit dans l’univers, il pût être communiqué d’un corps à un