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préparées pour le papier commun ; on observe seulement d’en charger davantage le baquet : mais comme à mesure qu’on enleve la couleur avec la tranche que l’on trempe, les couleurs s’étendent, on trempe son doigt dans le blanc, & l’on étend ce blanc à la place de la couleur enlevée, & qui resserre toutes les autres.

Les livres, au sortir des mains du marbreur, sont mis à sécher pour passer au doreur. Quand ils sont secs, il les égratigne avec un grattoir, puis il couche son or, & frotte son fer contre son visage, pour qu’il puisse enlever l’or. Voyez l’article Relier. Voyez aussi fig. 11. un ouvrier a qui marbre la tranche d’un livre b, son baquet c, &c.

Du papier marbré dit à la pate. C’étoit sur le papier une espece d’imitation des toiles peintes en deux ou trois couleurs. Voici comme on y procédoit ; car depuis que les découpures, les indiennes, les papiers en tapisserie, les papiers de la Chine sont devenus à la mode, les papiers marbrés à la pate en sont passés

L’on faisoit une colle d’amydon, dont on encolloit d’abord les feuilles avec une brosse à vergette. Encollées, on les laissoit sécher. On broyoit ensuite des couleurs avec la même colle. On les mettoit dans autant de petits pots de fayance vernissés ; on en prenoit avec un pinceau, & l’on dessinoit ce qu’on vouloit. On avoit une aiguille à tête de verre, dont on se servoit pour faire les blancs, ou tous les petits contours. Cela fait, on plioit la feuille en deux ; on la faisoit sécher ; on la ciroit, & on la lissoit.

Observations sur la maniere de fabriquer le papier marbré. 1. Richelet & Trévoux se sont lourdement trompés aux articles papier marbré ; l’un, en disant que pour le faire, on se servoit d’une eau dans laquelle on avoit détrempé des couleurs avec de l’huile & du fiel de bœuf, & sur laquelle on appliquoit le papier. Ce n’est pas cela ; on ne détrempe point les couleurs dans l’eau. L’autre, que les couleurs doivent être broyées avec l’huile ou le fiel de bœuf. L’huile n’a jamais été employée dans la fabrication du papier marbré, & ne peut y être employée. Cela est aussi ridicule que de dire qu’un peintre à l’huile broye ses couleurs à l’huile ou à l’eau.

2. Il y en qui prétendent qu’il faut ajouter à l’eau de gomme adragant, l’alun, dans le broyement des couleurs.

3. Il faut avoir des pinceaux de différentes grosseurs. Celui qu’on voit dans nos planches est fait comme une petite brosse. Il est emmanché d’un jonc applati. Il y en a au-dessous de celui-ci, de cinq ou six sortes, plus petits, mais faits de la même maniere.

4. On emplit les baquets d’eau pure, alunée ou gommée, jusqu’à un pouce du bord. On fait encore entrer ici l’alun, & l’on en donne le choix, ou de la gomme.

5. Les baquets sont placés ou sur des trepiés, ou sur un établi, à hauteur convenable. Les couleurs sont arrangées dans des pots. Pour les jetter, l’ouvrier tient le pinceau de la droite, & frappe de son manche sur la main gauche, ce qui détache la couleur avec vîtesse.

6. Lorsqu’on marbre un livre à demeure, c’est-à-dire que la tranche n’en doit pas être dorée, on ajoute aux couleurs du papier commun, le noir & le verd. On jette les couleurs en cet ordre, bleu, rouge, noir, verd, jaune très-menu ; puis on trempe les livres.

7. Il y a un ordre à observer dans le jet des couleurs.

8. On ne les jette pas toutes, il y en a qu’on couche.

9. Il y a des ouvriers qui disent que pour faire prendre également la couleur au papier, & la lui faire prendre toute, il faut passer légerement dessus la feuille étendue sur le baquet, une regle de bois mince, qui rejettera en même tems ce qui s’est élevé des couleurs par-dessus ses bords. Si cela est, il seroit convenable que les bords du baquet fussent bien égalisés, que le baquet fût plus rigoureusement de niveau, & qu’afin que la regle appuyât également par-tout, & ne fît qu’effleurer la surface de la feuille, elle fût entaillée par les deux bouts, d’une certaine quantité, telle que ces entailles portant sur les bords du baquet, le côté inférieur de la regle ne descendît dans le baquet qu’autant qu’il faudroit pour attendre la feuille : alors on n’auroit qu’à la pousser hardiment ; les bords du baquet & les entailles la dirigeroient. Voyez dans nos Planches cette regle entaillée. Mais l’habitude & l’adresse de la main peuvent suppléer à ces précautions difficiles d’ailleurs à prendre, parce que la profondeur des eaux va toujours en diminuant à mesure qu’on travaille, de la quantité dont chaque feuille s’en charge, & que la profondeur des entailles seroit toujours la même. Ainsi quoique je trouve cette manœuvre prescrite dans un des mémoires que j’ai sur le papier marbré, je ne crois pas qu’elle soit d’usage.

10. On prescrit de lever la feuille de dessus le baquet, en la prenant par les angles.

11. Il y a trois sortes de lissoirs. Nous avons parlé de deux. La troisieme est un plateau de verre, avec son manche de verre, qu’on voit dans nos Planches. Elle est aussi à l’usage des lingeres.

12. On voit que selon que les dents sur les peignes seront également ou inégalement écartées, on aura des ondes ou frisons égaux ou inégaux ; plus les dents seront écartées, plus les frisons seront grands ; si elles sont inégalement écartées sur la longueur du peigne, on aura sur le papier une ligne de frisons inégaux.

13. On conçoit qu’on veine le papier marbré d’autant de couleurs différentes qu’on en peut préparer, & que les figures régulieres ou irrégulieres correspondant à la variété infinie des traits qu’on peut former sur le tapis de couleur avec la pointe, & des mouvemens qu’on peut faire avec le peigne, elles n’ont point de limite. Il y a autant d’especes de papiers marbrés, qu’il y a de manieres de combiner les couleurs & de les brouiller.

14. Cet art est très-ingénieux, & fondé sur des principes assez subtils. Ceux qui le pratiquent sont dans la misere : leur travail n’est pas payé en raison du goût & de l’adresse qu’il demande.

15. Si sur un tapis à bandes de différentes couleurs, on fait mouvoir deux peignes en sens contraire, partant toutes deux du même lieu ; mais l’un brouillant en montant, & l’autre brouillant de la même maniere en descendant, il est évident qu’on aura des frisons, des pennaches & autres figures adossées, & tournées en sens contraire. En s’y prenant autrement, on les auroit se regardant. Je ne doute point que cet art ne soit susceptible d’une perfection qu’il n’a point encore eue, & qu’un ouvrier habile ne parvînt à disposer de son tapis de couleurs d’une maniere très-surprenante.

16. Un marbreur avoit trouvé le moyen d’imiter la mosaïque, les fleurs & même le paysage. Pour cet effet il avoit gravé en bois des planches où le trait étoit bien évuidé, large, épais, & les fonds avoient un pouce ou environ de profondeur. On voit un de ces morceaux dans nos Planches. Il formoit sur les eaux du baquet un tapis de couleurs, & les laissoit dans leur ordre, ou les brouilloit soit avec la pointe, soit avec le peigne ; puis il appliquoit sa planche à la surface. Les traits saillans de la planche empor-