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le subjonctif, & c’est la même chose en-latin, en allemand, en italien, en espagnol. Les Grecs en avoient un autre, l’optatif, que les copistes de méthodes & de rudimens vouloient autrefois admettre dans le latin sans l’y voir, puisque le verbe n’y a de déterminaisons obliques que celles du subjonctif. Voyez Subjonctif, Optatif.

Ces modes different encore entr’eux comme les précédens : le subjonctif est mixte, puisqu’il ajoute à la signification directe de l’indicatif l’idée d’un point de vûe grammatical ; mais l’optatif est doublement mixte, parce qu’il ajoute à la signification totale du subjonctif l’idée accessoire d’un souhait, d’un desir.

V. Pour ce qui concerne les modes impersonnels, il n’y en a que deux dans toutes les langues qui conjuguent les verbes ; mais il y en a deux, l’infinitif & le participe.

L’infinitif est un mode qui exprime d’une maniere abstraite & générale l’existence d’un sujet totalement indéterminé sous un attribut. Ainsi, sans cesser d’être verbe, puisqu’il en garde la signification & qu’il est indéclinable par tems, il est effectivement nom, puisqu’il présente à l’esprit l’idée de l’existence sous un attribut, comme celle d’une nature commune à plusieurs individus. Mentir, c’est se déshonorer, comme on diroit, le mensonge est déshonorant : avoir fui l’occasion de pécher, c’est une victoire, comme si l’on disoit, la fuite de l’occasion de pécher est une victoire : devoir recueillir une riche succession, c’est quelquefois l’écueil des dispositions les plus heureuses, c’est-à-dire, une riche succession à venir est quelquefois l’écueil des dispositions les plus heureuses. Voyez Infinitif.

Le participe est un mode qui exprime l’existence sous un attribut, d’un sujet déterminé quant à sa nature, mais indéterminé quant à la relation personnelle. C’est pour cela qu’en grec, en latin, en allemand, le participe reçoit des terminaisons relatives aux genres, aux nombres & aux cas, au moyen desquelles il se met en concordance avec le sujet auquel on l’applique ; mais il ne reçoit nulle part aucune terminaison personnelle, parce qu’il ne constitue dans aucune langue la proposition que l’on veut exprimer : il est tout à-la-fois verbe & adjectif ; il est verbe, puisqu’il en a la signification, & qu’il reçoit les inflexions temporelles qui en sont la suite : precans, priant, precatus, ayant prié, precaturus devant prier. Il est adjectif, puisqu’il sert, comme les adjectifs, à déterminer l’idée du sujet par l’idée accidentelle de l’événement qu’il énonce, & qu’il prend en conséquence les terminaisons relatives aux accidens des noms & des pronoms. Si nos participes actifs ne se déclinent point communément, ils se déclinent quelquefois, ils se sont déclinés autrefois plus généralement ; & quand il ne se seroient jamais déclinés, ce seroit un effet de l’usage qui ne peut jamais leur ôter leur déclinabilité intrinseque. Voyez Participe.

Puisque l’infinitif figure dans la phrase comme un nom, & le participe comme un adjectif, comment concevoir que l’un appartienne à l’autre & en fasse partie ? Ce sont assurément deux modes différens, puisqu’ils présentent la signification du verbe sous différens aspects. Par une autre inconséquence des plus singulieres, tous les méthodistes qui dans la conjugaison joignoient le participe à l’infinitif, comme en étant une partie, disoient ailleurs que c’étoit une partie d’oraison différente de l’adjectif, du verbe, & même de toutes les autres ; & pourtant l’infinitif continuoit dans leur système d’appartenir au verbe. Scioppius, dans sa grammaire philosophique, de participio, pag. 17, suit le torrent des Grammairiens, en reconnoissant leur erreur dans une note.

Mais voici le système figuré des modes, tel qu’il résulte de l’exposition précédente.

Les modes
sont
Purs. Mixtes.
Personnels. Directs. Indicatif.
Impératif.
Suppositif.
Obliques Subjonctif.
Optatif.
Impersonnels Infinitif.
Participe.

Voilà donc trois modes purs, dont l’un est personnel & deux impersonnels, & qui paroissent fondamentaux, puisqu’on les trouve dans toutes les langues qui ont reçu la conjugaison des verbes. Il n’en est pas de même des quatre modes mixtes ; les Hébreux n’ont ni suppositif, ni subjonctif, ni optatif : le suppositif n’est point en grec ni en latin ; le latin ni les langues modernes ne connoissent point l’optatif ; l’impératif est tronqué par-tout, puisqu’il n’a pas de premiere personne en grec ni en latin, quoique nous ayons en françois celle du plurier, qu’au contraire il n’a point de troisieme personne chez nous, tandis qu’il en a dans ces deux autres langues ; qu’enfin il n’a point en latin de prétérit postérieur, quoiqu’il ait ce tems en grec & dans nos langues modernes. C’est que ces modes ne tiennent point à l’essence du verbe comme les quatre autres : leurs caracteres différenciels ne tiennent point à la nature du verbe ; ce sont des idées ajoutées accidentellement à la signification fondamentale ; & il auroit été possible d’introduire plusieurs autres modes de la même espece, par exemple, un mode interrogatif, un mode concessif, &c.

Sanctius, minerv. I. xiij. ne veut point reconnoître de modes dans les verbes, & je ne vois guere que trois raisons qu’il allegue pour justifier le parti qu’il prend à cet égard. La premiere, c’est que modus in verbis explicatur fréquentiùs per casum sextum, ut meâ sponte, tuo jussu feci ; non rarò per adverbia, ut malè currit, benè loquitur. La seconde, c’est que la nature des modes est si peu connue des Grammairiens, qu’ils ne s’accordent point sur le nombre de ceux qu’il faut reconnoître dans une langue, ce qui indique, au gré de ce grammairien, que la distinction des modes est chimérique, & uniquement propre à répandre des ténebres dans la Grammaire. La troisieme enfin, c’est que les différens tems d’un mode se prennent indistinctement pour ceux d’un autre, ce qui semble justifier ce qu’avoit dit Scaliger, de caus. L. L. liv. V. cap. cxxj. modus in verbis non fuit necessarius. L’auteur de la méthode latine de P. R. semble approuver ce système, principalement à cause de cette troisieme raison. Examinons-les l’une après l’autre.

I. Sanctius, & ceux qui l’ont suivi, comme Scioppius & M. Lancelot, ont été trompés par une équivoque, quand ils ont statu que le mode dans les verbes s’exprime ou par l’ablatif ou par un adverbe, comme dans meâ sponte feci, benè loquitur. Il faut distinguer dans tous les mots, & conséquemment dans les verbes, la signification objective & la signification formelle. La signification objective, c’est l’idée fondamentale qui est l’objet de la signification du mot, & qui peut être commune à des mots de différentes especes ; la signification formelle, c’est la maniere particuliere dont le mot présente à l’esprit l’objet dont il est le signe, laquelle est commune à tous les mots de la même espece, & ne peut convenir à ceux des autres especes. Ainsi le même objet pouvant être signifié par des mots de différentes es-