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écorné ou rogné, le grenetis effleuré, les figures biffées, la légende effacée, la tête méconnoissable ; ne lui donnez point de place dans votre cabinet : mais plaignant le sort malheureux des grandeurs humaines, laissez aller ces princes qui ont autrefois fait trembler la terre, mollir sur l’enclume de l’orfevre, ou sous le marteau du chaudronnier.

Si néanmoins c’étoient de certaines médailles si rares, qu’elles pussent passer pour uniques, ou que l’un des deux côtés fût encore entier, ou que la légende fût singuliere ou lisible, elles mériteroient fort d’être gardées, & ne laisseroient pas d’avoir leur prix.

En effet, on voit peu de cabinets où il n’y en ait quelqu’une de mal conservée, & l’on est trop heureux quand on peut avoir, même avec imperfection, certaines têtes rares, pourvû qu’elles soient tant-soit peu connoissables, il ne faut pas sur-tout se rebuter pour une légende effacée, quand le type est bien conservé, puisqu’il y a des savans qui les déchiffrent à merveille, témoins M. Vaillant & M. Morel, qui par un peu d’application, rappelloient les mots les plus invisibles, & résuscitoient les caracteres les plus amortis.

Il est bon de savoir que les bords des médailles, éclatées par la force du coin, ne passent pas pour un défaut qui diminue le prix de la médaille, quand les figures n’en sont point endommagées ; au contraire, c’est un signe que la médaille n’est point moulée ; ce signe néanmoins ne laisse pas d’être équivoque, à l’égard de ceux qui auroient battu sur l’antique, car cela ne prouveroit pas que la tête ou le revers ne fût d’un coin moderne, & peut-être tous les deux.

Prenez garde aussi à ne pas rebuter les médailles d’argent dont les bords sont dentelés, & qu’on nomme numismata serrata, parce que c’est encore une preuve de la bonté & de l’antiquité de la médaille.

Mais il se trouve certains défauts qui nuisent à la beauté des médailles, & qu’on ne peut attribuer qu’à la négligence des monnoyeurs ; par exemple, lorsque le coin ayant coulé forme deux têtes pour une, deux grenetis ou deux légendes ; lorsque les lettres de la légende sont ou confondues ou supprimées, ou déplacées, comme on en voit communément sur les médailles de Claude-le-Gothique, & des trente tyrans, ce sont des monstres dont il ne faut point faire des miracles ; car quoique cela n’empêche pas que la médaille ne soit antique, cependant le prix au-lieu d’en augmenter en diminue notablement. Quant à certaines médailles qui ont une tête d’empereur avec quelques revers bisarres, ou avec des revers qui appartiennent à un autre empereur que celui dont elles portent la tête, il n’en faut faire aucune estime, puisque ce n’est qu’un effet de l’ignorance ou de la précipitation du faux monnoyeur.

Enfin il arrive quelquefois que ce monnoyeur oublie de mettre les deux quarrés, & laisse ainsi la médaille sans revers : on nomme incuses ces sortes de médailles. Voyez Médaille incluse.

C’est ici le lieu de parler des contre-marques, que les jeunes curieux pourroient prendre pour des disgraces arrivées aux médailles, dont elles entament le champ, quelquefois du côté de la tête, d’autres fois du côté du revers, particulierement dans le grand & moyen bronze, assez semblables à ces marques qui se voyent sur nos sous, que le peuple nomme tappés, à cause que l’impression du coup qu’ils ont reçu, quand on leur a fait cette marque, y est demeurée : cependant ce sont des beautés pour les savans, qui recherchent les médailles où sont des contre-marques.

On en trouve sur les médailles des rois & des villes greques, sur celles des colonies, & sur les impériales. Il y a quelquefois plus d’une contre-mar-

que sur la même médaille, mais les Antiquaires n’en

ont jamais vû au-delà de trois. Rien n’est moins informe que ces contre marques, même sur les médailles latines : le plus souvent ce sont des lettres liées ensemble, qui expriment simplement le nom de l’empereur ; quelquefois ce sont les lettres S. C. Sonatus Consulto, sur les médailles frappées dans les monnoies de Rome, D. D. Decreto Decurionum ; sur les médailles des colonies, comme sur une de Sagunte, & sur une autre de Nismes, ou enfin N. C. A. P. R. que Golthius expliquoit avec Angeloni, Vicus & Manuce, par Nobis Concessum A Populo Romano, formule qu’on peut peut-être mieux interpreter par Nummus Cusus, Auctoritate Populi Romani ; d’autres fois ces contre-marques sont des types, tantôt accompagnés de lettres, comme sur une médaille de Jules-César, frappée à Bérite, où l’on voit au contre-marque une corne d’abondance au milieu de deux C ; & tantôt sans lettres, comme une petite roue, qui porte sur les têtes d’Auguste & d’Agrippa, dans une médaille de la colonie de Nismes ; & une tête de taureau gravée sur le cou de Domitien, dans une médaille de ce prince. Le malheur est que d’un côté les Antiquaires ne conviennent pas de la signification de plusieurs contremarques, & que de l’autre ils savent encore moins les raisons qui les ont fait naître, comme nous le dirons au mot Médailles contre-marquées.

Quant au relief des médailles, voyez Relief, il suffit d’observer ici que c’est une beauté, mais qui n’est pas une marque indubitable de l’antique.

Des fourberies en médailles. Non-seulement il est facile d’attraper les nouveaux curieux, par de fausses médailles, auxquelles on donne du relief, mais il est encore aisé de les surprendre à plusieurs autres égards, principalement lorsqu’ils sont dans la premiere ardeur de leur passion pour les médailles, & qu’ils se trouvent assez opulens pour ne pas appréhender la dépense. On les voit tous les jours se livrer à la mauvaise foi & à l’avarice des trafiquans, qu’on nomme par mépris brocanteurs, faute d’en soupçonner les artifices. Ils sont trompés d’autant plus aisément, que les meilleurs connoisseurs se trouvent partagés sur de certaines médailles, que les uns croyent antiques & les autres modernes ; les uns moulées, les autres frappées, à peu près comme il arrive par rapport aux tableaux, où les yeux les plus savans ne laissent pas de prendre quelquefois un original pour une copie, & une copie pour l’original. Le danger est encore devenu plus grand pour les amateurs des médailles, depuis que parmi les Médaillistes il s’est trouvé un Padouan & un Parmésan en Italie, qui ont su imiter parfaitement l’antique.

Pour dévoiler tout ce mystere, il faut commencer par indiquer les manieres différentes de falsifier les médailles, & le moyen de reconnoître la falsification, afin que le mal ne demeure pas sans remede.

La premiere & la plus grossiere, est de fabriquer des médailles qui jamais n’ont existé, comme celle de Priam, d’Enée, de Cicéron, de Virgile, & semblables personnages illustres, pour qui le Parmésan, & quelques autres ouvriers modernes, ont fait des coins tout exprès, afin de surprendre les curieux, animés du desir d’avoir des médailles singulieres.

C’est avec la même mauvaise foi, & par le même motif d’intérêt, que l’on a fabriqué des revers extraordinaires, & capables de piquer la curiosité ; par exemple, un Jules-César, avec ces mots, Veni, vidi, vici ; un Auguste avec ces deux-ci, Festina lente ; car quoique ce bon mot soit effectivement d’Auguste, cependant on ne s’étoit pas avisé d’en conserver la mémoire sur le métal.

Il est aisé à ceux qui ne sont pas novices dans l’inspection des médailles, de reconnoître l’impos-