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que l’enfant le suce ; delà vient que les femmes dont les mammelles sont en forme de poire, passent pour les meilleures nourrices, parce que l’enfant peut alors prendre dans la bouche le mammellon, conjointement avec une partie de l’extrémité de la mammelle.

Cet avantage est fort au-dessus de la beauté réelle des mammelles, qui consiste à être rondes, fermes, bien placées sur la poitrine, & à une certaine distance l’une de l’autre ; car suivant la régle de proportion mise en œuvre par nos statuaires, il faut qu’il y ait autant d’espace de l’un des mammelons à l’autre, qu’il y en a depuis le mammelon jusqu’au milieu de la fossette des clavicules ; ensorte que ces trois points fassent un triangle équilatéral ; mais laissons ces choses accessoires pour nous occuper de faits plus intéressans.

La premiere question qui se présente, c’est si le tissu des mammelles n’est pas celluleux aussi-bien que glanduleux. Il paroît qu’il s’y trouve des cellules ou des organes, dans lesquels le lait filtré se verse. Delà naissent sans doute les tuyaux lactés qui sont longs, grossissent dans leurs progrès, & en approchant du mammelon forment des tuyaux plus étroits ; ces canaux sont accompagnés d’un tissu spongieux dans lequel le sang se répand, & cet assemblage va se terminer de deux façons ; car les tuyaux lactés retrécis vont aboutir à une espece de tuyau circulaire qui forme un confluent ; & le tissu spongieux va former le corps du mammelon, & finit par un amas de méches & de faisceaux plissés. Cet amas est un tissu qui peut prendre divers degrés de fermeté, qui s’allonge & se racourcit, & qui est extrèmement sensible à cause des houpes nerveuses que M. Ruysch y a observées.

Du confluent dont nous avons parlé, partent plusieurs tuyaux, lesquels vont s’ouvrir à la surface du bout du mammelon, & qui sont réserrés & racourcis par le pli des méches du mammelon.

Autour de la base du mammelon, on voit un plan circulaire parsemé de petites glandes dont les ouvertures excrétoires sont assez visibles ; il est certain que par les ouvertures qui sont répandues sur la surface de ce plan circulaire, il sort une matiere sébacée & une matiere laiteuse ; c’est Morgagny qui a fait cette découverte.

On demande, 2°. quelle est la nature du lait qui sort des mammelles des femmes. Je réponds qu’il est de la nature même du lait des animaux : ce lait a quelque rapport avec le chyle, tel qu’il est dans les intestins, mais il en differe par plusieurs de ses propriétés ; car 1°. le lait a moins de sérosité, parce que la sérosité qui se trouve dans le chyle, se partage à toute la masse du sang ; il ne doit donc y en avoir qu’une partie dans le lait. 2°. Le lait a été plus trituré, puisqu’il a passé par le cœur & par les vaisseaux. 3°. On en peut faire du fromage, ce qu’on ne peut faire du chyle, parce que l’huile n’est pas assez séparée du phlegme, & mêlée avec la matiere gélatineuse & terreuse qui est mêlée avec le sang, 4°. Le lait ne se coagule pas comme la sérosité du sang, parce que la sérosité du sang a plus souvent passé par les filieres ; dans ce passage la partie la plus aqueuse, coule dans les filtres & dans les vaisseaux lymphatiques ; alors la partie huileuse se ramasse davantage, ensuite elle ne se mêle plus si bien avec l’eau. 5°. Le lait devient âcre & tend à s’alkaliser dans les fiévres, il change de couleur ; on l’a vû quelquefois devenir jaune du soir au lendemain ; on donne cette couleur au lait en le faisant bouillir avec des alkalis ; la chaleur qui s’excite dans le sang par la fiévre, produit le même effet, aussi les nourrices qui ont la fiévre ou qui jeûnent, donnent un lait jaunâtre & très-nuisible aux enfans ; on

voit par-là que les matieres animales sont moins propres à former de bon lait que les matieres végétales, car les parties des animaux sont plus disposées à la pourriture.

La troisieme question qu’on propose, c’est si le lait vient du sang dans les mamelles, ou si le chyle peut y être porté par les vaisseaux sanguins. Nous répondons, 1°. qu’on a des exemples qui prouvent que le lait peut sortir par plusieurs endroits du corps humain, comme par la cuisse, &c. or dans ces parties, il n’y a pas lieu de douter, que ce ne soit le sang qui y porte le suc laiteux. 2°. Les injections démontrent, qu’il y a un chemin continu des artères aux tuyaux laiteux ; or cette continuation de canaux ne peut être que pour décharger les artères. On objectera que le sang pourroit changer le chyle ; mais il faut remarquer que le chyle mêlé au sang ne quitte pas d’abord la blancheur, & qu’il circule au contraire assez long-tems avec le sang, sans se dépouiller de sa couleur ; si on ouvre la veine d’un animal quatre ou cinq heures après qu’il a beaucoup mangé, on verra une grande quantité de chyle semblable au lait qui nage avec le sang coagulé. Lower a observé qu’un homme qui avoit perdu beaucoup de sang par une longue hémorrhagie, rendoit le chyle tout pur par le nez.

On demande comment le lait se filtre, & comment il est sucé par l’enfant. Voici le méchanique de cette filtration. Le sang rempli de chyle, étant porté dans les artères mamaires, se trouve trop grossier pour passer par les filtres, tandis que le lait dont les molécules sont plus déliées s’y insinue ; parmi les organes qui séparent le lait, il y a des vaisseaux lymphatiques ; la partie aqueuse passe dans ces vaisseaux, ce lait porté dans les follicules & dans les tuyaux, est poussé par le sang qui se trouve dans le tissu spongieux dont les canaux laiteux sont environnés, & dont le mamelon est formé. Les tuyaux qui reçoivent le lait filtré, s’élargissent vers leur partie moyenne, & par-là peuvent contenir une grande quantité de lait qui coulera de lui-même, lorsque la détension de ces vaisseaux surmontera le resserrement du mamelon ; pour ce qui regarde l’action de l’enfant qui suce. Voyez-en la méchanique, au mot Suction ou au mot Tetter.

La cinquieme question qu’on fait ici, c’est pourquoi les hommes ont des mamelles ? On peut répondre qu’on en ignore l’usage, & que peut-être les mamelles n’en ont aucun dans les hommes. La nature a d’abord formé les parties qui étoient nécessaires à la conservation de l’espece ; mais quoique ces parties soient inutiles dans un sexe, elle ne les retranche pas, à moins que ce retranchement ne soit une suite nécessaire de la structure qui différencie les sexes. Il est certain que les mamelles sont les mêmes dans les hommes & dans les femmes ; car dans les deux sexes elles filtrent quelquefois de vrai lait, de sorte que les menstrues & la matrice ne sont que des causes occasionnelles qui déterminent l’écoulement du suc laiteux. Les enfans des deux sexes qui ont souvent du lait suintant de leurs mamelles, en sont une nouvelle preuve.

Mais, dira-t-on, pourquoi les hommes en général n’ont-ils pas du lait comme les femmes, & pourquoi leurs mamelles sont-elles plutôt seches ? Tâchons d’expliquer ce phénomene. 1°. Dans les enfans de l’un & de l’autre sexe, les mamelles sont fort gonflées, & contiennent ordinairement du lait ; cela doit être ainsi, puisque les organes sont les mêmes, & qu’il n’y a pas plus de transpiration d’un côté que d’autre, durant que le fœtus est dans le sein de la mere, & durant l’enfance. 2°. Dès que les filles sont venues à un certain âge, & que la plénitude arrive dans l’utérus, alors les mamelles se gon-