Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 10.djvu/102

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seroit sous la puissance de son mari : sub viri potestate eris, & ipse dominabitur tui.

On lit aussi dans Esther, chap. j. qu’Assuerus ayant ordonné à ses eunuques d’amener devant lui Vasthi, & celle-ci ayant refusé & méprisé le commandement du roi son mari, Assuerus, grandement courroucé du mépris qu’elle avoit fait de son invitation & de son autorité, interrogea les sages, qui, suivant la coutume, étoient toujours auprès de lui, & par le conseil desquels il faisoit toutes choses, parce qu’ils avoient la connoissance des lois & des coutumes des anciens ; de ce nombre étoient sept princes qui gouvernoient les provinces des Perses & des Medes : leur avant demandé quel jugement on devoit prononcer contre Vasthi, l’un d’eux répondit, en présence du roi & de toute la cour, que non-seulement Vasthi avoit offensé le roi, mais aussi tous les princes & peuples qui étoient soumis à l’empire d’Assuerus ; que la conduite de la reine seroit un exemple dangereux pour toutes les autres femmes, lesquelles ne tiendroient compte d’obéir à leurs maris ; que le roi devoit rendre un édit qui seroit déposé entre les lois du royaume, & qu’il ne seroit pas permis de transgresser, portant que Vasthi seroit répudiée, & la dignité de reine transférée à une autre qui en seroit plus digne ; que ce jugement seroit publié par tout l’empire, afin que toutes les femmes des grands, comme des petits, portassent honneur à leurs maris. Ce conseil fut goûté du roi & de toute la cour, & Assuerus fit écrire des lettres en diverses sortes de langues & de caracteres, dans toutes les provinces de son empire, afin que tous ses sujets pussent les lire & les entendre, portant que les maris étoient chacun princes & seigneurs dans leurs maisons. Vasthi fut répudiée, & Esther mise à sa place.

Les constitutions apostoliques ont renouvellé le même principe. S. Paul dans sa premiere aux Corinthiens, chap. xj. dit que le mari est le chef de la femme, caput est mulieris vir : il ajoute, que l’homme n’est pas venu de la femme, mais la femme de l’homme, & que celui-ci n’a pas été créé pour la femme, mais bien la femme pour l’homme ; comme en effet il est dit en la Genese, faciamus ei adjutorium simile sibi.

S. Pierre, dans son épitre I. chap. iij. ordonne pareillement aux femmes d’être soumises à leurs maris : mulieres subdita sint viris suis ; il leur rappelle à ce propos, l’exemple des saintes femmes qui se conformoient à cette loi, entr’autres celui de Sara, qui obéissoit à Abraham, & l’appelloit son seigneur.

Plusieurs canons s’expliquent à-peu-près de même, soit sur la dignité, ou sur la puissance du mari.

Ce n’est pas seulement suivant le droit divin que cette prérogative est accordée au mari ; la même chose est établie par le droit des gens, si ce n’est chez quelques peuples barbares où l’on tiroit au sort qui devoit être le maître du mari ou de la femme, comme cela se pratiquoit chez certains peuples de Scythie, dont parle Aelien ; où il étoit d’usage que celui qui vouloit épouser une fille, se battoit auparavant avec elle ; si la fille étoit la plus forte, elle l’emmenoit comme son captif, & étoit la maîtresse pendant le mariage ; si l’homme étoit le vainqueur, il étoit le maître ; ainsi c’étoit la loi du plus fort qui décidoit.

Chez les Romains, suivant une loi que Denis d’Halicarnasse attribue à Romulus, & qui fut insérée dans le code papyrien, lorsqu’une femme mariée s’étoit rendue coupable d’adultere, ou de quelqu’autre crime tendant au libertinage, son mari étoit son juge, & ponvoit la punir lui-même, après en avoir délibéré avec ses parens ; au lieu que la femme n’avoit cependant pas seulement droit de mettre la main sur son mari, quoiqu’il fût convaincu d’adultere.

Il étoit pareillement permis à un mari de tuer sa femme, lorsqu’il s’appercevoit qu’elle avoit bû du vin.

La rigueur de ces lois fut depuis adoucie par la loi des douze Tables. Voyez Adultere & Divorce, loi Cornelia de adulteriis, loi Cornelia de sicariis.

César, dans ses commentaires de bello gallico, rapporte que les Gaulois avoient aussi droit de vie & de mort sur leurs femmes comme sur leurs enfans.

En France, la puissance maritale est reconnue dans nos plus anciennes coutumes, telles que celles de Toulouse, de Berri & autres ; mais cette puissance ne s’étend qu’à des actes légitimes.

La puissance maritale a plusieurs effets.

Le premier, que la femme doit obéir à son mari, lui aider en toutes choses, & que tout ce qui provient de son travail est acquis au mari, soit parce que le tout est présumé provenir des biens & du fait du mari, soit parce que c’est au mari à acquitter les charges du mariage. C’est aussi la raison pour laquelle le mari est le maître de la dot ; il ne peut pourtant l’aliéner sans le consentement de sa femme : il a seulement la jouissance des revenus, & en conséquence est le maître des actions mobiliaires & possessoires de sa femme.

Il faut excepter les paraphernaux, dont la femme a la libre administration.

Quand les conjoints sont communs en biens, le mari est le maître de la communauté, il peut disposer seul de tous les biens, pourvû que ce soit sans fraude : il oblige même sa femme jusqu’à concurrence de ce qu’elle ou ses héritiers amendent de la communauté, à moins qu’ils n’y renoncent.

Le second effet de la puissance maritale est que la femme est sujette à correction de la part de son mari, comme le décide le canon placuit 33. quæst. 2. mais cette correction doit être modérée, & fondée en raison.

Le troisieme effet est que c’est au mari à défendre en jugement les droits de sa femme.

Le quatrieme est que la femme doit suivre son mari lorsqu’il le lui ordonne, en quelque lieu qu’il aille, à moins qu’il ne voulût la faire vaguer çà & là sans raison.

Le cinquieme effet est qu’en matiere civile, la femme ne peut ester en jugement, sans être autorisée de son mari, ou par justice, à son refus.

Enfin le sixieme effet est que la femme ne peut s’obliger sans l’autorisation de son mari.

Au reste, quelque bien établie que soit la puissance maritale, elle ne doit point excéder les bornes d’un pouvoir légitime ; car, si l’Ecriture-sainte ordonne à la femme d’obéir à son mari, elle ordonne aussi au mari d’aimer sa femme & de l’honorer ; il doit la regarder comme sa compagne, & non comme un esclave ; & comme il n’est permis à personne d’abuser de son droit, si le mari administre mal les biens de sa femme, elle peut se faire séparer de biens ; s’il la maltraite sans sujet, ou même qu’ayant reçu d’elle quelque sujet de mécontentement, il use envers elle de sévices & mauvais traitemens qui excédent les bornes d’une correction modérée, ce qui devient plus ou moins grave, selon la condition des personnes, en ce cas, la femme peut demander sa séparation de corps & de biens. Voyez Séparation.

La femme participe aux titres, honneurs & privileges de son mari ; celui-ci participe aussi à certains droits de sa femme : par exemple, il peut se dire seigneur des terres qui appartiennent à sa femme ; il fait aussi la foi & hommage pour elle : pour ce qui est de la souveraineté appartenante à la femme de son chef, le mari n’y a communément point de part. On