L’Encyclopédie/1re édition/ADULTERE

Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 150-151).

ADULTERE, est l’infidélité d’une personne mariée qui au mépris de la foi conjugale qu’elle a jurée, a un commerce charnel avec quelqu’autre que son épouse ou son époux ; ou le crime d’une personne libre avec une autre qui est mariée. Voyez Fornication, Mariage. (H)

Adultere, (Morale.) Je ne mettrai pas ici en question si l’adultere est un crime, & s’il défigure la société. Il n’y a personne qui ne sente en sa conscience que ce n’est pas là une question à faire, s’il n’affecte de s’étourdir par des raisonnemens qui ne sont autres que les subtilités de l’amour propre. Mais une autre question bien digne d’être discutée, & dont la solution emporte aussi celle de la précédente, seroit de savoir lequel des deux fait le plus de tort à la société, ou de celui qui débauche la femme d’autrui, ou de celui qui voit une personne libre, & qui évite d’assurer l’état des enfans par un engagement régulier.

Nous jugeons avec raison, & conformément au sentiment de toutes les Nations, que l’adultere est, après l’homicide, le plus punissable de tous les crimes, parce qu’il est de tous les vols le plus cruel, & un outrage capable d’occasionner les meurtres & les excès les plus déplorables.

L’autre espece de conjonction illégitime ne donne pas lieu communément aux mêmes éclats que l’adultere. Les maux qu’elle fait à la société ne sont pas si apparens : mais ils ne sont pas moins réels, & quoique dans un moindre degré d’énormité, ils sont peut-être beaucoup plus grands par leurs suites.

L’adultere, il est vrai, est l’union de deux cœurs corrompus & pleins d’injustice, qui devroient être un objet d’horreur l’un pour l’autre, par la raison que deux voleurs s’estiment d’autant moins, qu’ils se connoissent mieux. L’adultere peut extrèmement nuire aux enfans qui en proviennent, parce qu’il ne faut attendre pour eux, ni les effets de la tendresse maternelle, de la part d’une femme qui ne voit en eux que des sujets d’inquiétude, ou des reproches d’infidélité ; ni aucune vigilance sur leurs mœurs, de la part d’une mere qui n’a plus de mœurs, & qui a perdu le goût de l’innocence. Mais quoique ce soient là de grands désordres, tant que le mal est secret, la société en souffre peu en apparence : les enfans sont nourris, & reçoivent même une sorte d’éducation honnête. Il n’en est pas de même de l’union passagere des personnes qui sont sans engagement.

Les plaisirs que Dieu a voulu attacher à la société conjugale, tendent à faire croître le genre humain ; & l’effet suit l’institution de la Providence, quand ces plaisirs sont assujettis à une regle : mais la ruine de la fécondité & l’opprobre de la société sont les suites infaillibles des liaisons irrégulieres.

D’abord elles sont la ruine de la fécondité : les femmes qui ne connoissent point de devoirs, aiment peu la qualité de mere, & s’y trouvent trop exposées ; ou si elles le deviennent, elles ne redoutent rien tant que le fruit de leur commerce. On ne voit qu’avec dépit ces malheureux enfans arriver à la lumiere ; il semble qu’ils n’y aient point de droit, & l’on prévient leur naissance par des remedes meurtriers ; ou on les tue après qu’ils ont vu le jour, ou l’on s’en délivre en les exposant. Il se forme de cet amas d’enfans dispersés à l’aventure, une vile populace sans éducation, sans biens, sans profession. L’extrème liberté dans laquelle ils ont toujours vécu, les laisse nécessairement sans principe, sans regle & sans retenue. Souvent le dépit & la rage les saisissent, & pour se vanger de l’abandon où ils se voyent, ils se portent aux excès les plus funestes.

Le moindre des maux que puissent causer ces amours illégitimes, c’est de couvrir la terre de citoyens infortunés, qui périssent sans pouvoir s’allier, & qui n’ont causé que du mal à cette société, où on ne les a vûs qu’avec mépris.

Rien n’est donc plus contraire à l’accroissement & au repos de la société, que la doctrine & le célibat infame de ces faux Philosophes, qu’on écoute dans le monde, & qui ne nous parlent que du bien de la société, pendant qu’ils en ruinent en effet les véritables fondemens. D’une autre part, rien de si salutaire à un Etat, que la doctrine & le zele de l’Eglise, puisqu’elle n’honore le célibat que dans l’intention de voir ceux qui l’embrassent en devenir plus parfaits, & plus utiles aux autres ; qu’elle s’applique à inculquer aux grands comme aux petits, la dignité du mariage, pour les fixer tous dans une sainte & honorable société ; puisqu’enfin c’est elle qui travaille avec inquietude à recouvrer, à nourrir, & à instruire ces enfans, qu’une Philosophie toute bestiale avoit abandonnés.

Les anciens Romains n’avoient point de loi formelle contre l’adultere ; l’accusation & la peine en étoient arbitraires. L’Empereur Auguste fut le premier qui en fit une, qu’il eut le malheur de voir exécuter dans la personne de ses propres enfans : ce fut la loi Julia, qui portoit peine de mort contre les coupables : mais, quoiqu’en vertu de cette loi, l’accusation du crime d’adultere fût publique & permise à tout le monde, il est certain néanmoins que l’adultere a toûjours été consideré plûtôt comme un crime domestique & privé, que comme un crime public ; ensorte qu’on permettoit rarement aux étrangers d’en poursuivre la vengeance, surtout si le mariage étoit paisible, & que le mari ne se plaignît point.

Aussi quelques-uns des Empereurs qui suivirent, abrogerent-ils cette loi qui permettoit aux étrangers l’accusation d’adultere ; parce que cette accusation ne pouvoit être intentée sans mettre de la division entre le mari & la femme, sans mettre l’état des enfans dans l’incertitude, & sans attirer sur le mari le mépris & la risée ; car comme le mari est le principal intéressé à examiner les actions de sa femme, il est à supposer qu’il les examinera avec plus de circonspection que personne ; de sorte que quand il ne dit mot, personne n’est en droit de parler. Voyez Accusation.

Voilà pourquoi la loi en certains cas a établi le mari juge & exécuteur en sa propre cause ; & lui a permis de se venger par lui-même de l’injure qui lui étoit faite, en surprenant dans l’action même les deux coupables qui lui ravissoient l’honneur. Il est vrai que quand le mari faisoit un commerce infame de la débauche de sa femme, ou que témoin de son désordre, il le dissimuloit & le souffroit ; alors l’adultere devenoit un crime public ; & la loi Julia decernoit des peines contre le mari même aussi-bien que contre la femme.

A présent, dans la plûpart des contrées de l’Europe, l’adultere n’est point réputé crime public ; il n’y a que le mari seul qui puisse accuser sa femme : le Ministere public même ne le pourroit pas, à moins qu’il n’y eût un grand scandale.

De plus, quoique le mari qui viole la foi conjugale soit coupable aussi-bien que la femme, il n’est pourtant point permis à celle-ci de l’en accuser, ni de le poursuivre pour raison de ce crime. Voyez Mari, &c.

Socrate rapporte que sous l’Empereur Théodose en l’année 380, une femme convaincue d’adultere, fut livrée, pour punition, à la brutalité de quiconque voulut l’outrager.

Lycurgue punissoit un homme convaincu d’adultere comme un parricide ; les Locriens lui crevoient les yeux ; & la plûpart des peuples orientaux punissent ce crime très-séverement.

Les Saxons anciennement brûloient la femme adultere ; & sur ses cendres ils élevoient un gibet où ils étrangloient le complice. En Angleterre le Roi Edmond punissoit l’adultere comme le meurtre : mais Canut ordonna que la punition de l’homme seroit d’être banni, & celle de la femme d’avoir le nez & les oreilles coupés.

En Espagne on punissoit le coupable par le retranchement des parties qui avoient été l’instrument du crime.

En Pologne, avant que le Christianisme y fût établi, on punissoit l’adultere & la fornication d’une façon bien singuliere. On conduisoit le criminel dans la place publique ; là on l’attachoit avec un crochet par les testicules, lui laissant un rasoir à sa portée ; de sorte qu’il falloit de toute nécessité qu’il se mutilât lui-même pour se dégager ; à moins qu’il n’aimât mieux périr dans cet état.

Le Droit civil, réformé par Justinien, qui sur les remontrances de sa femme Theodora modéra la rigueur de la loi Julia, portoit que la femme fût fouettée & enfermée dans un couvent pour deux ans : & si durant ce tems le mari ne vouloit point se résoudre à la reprendre, on lui coupoit les cheveux & on l’enfermoit pour toute sa vie. C’est là ce qu’on appella authentique, parce que la loi qui contenoit ces dispositions étoit une authentique ou novelle. V. Authentique & Authentiquer.

Les lois concernant l’adultere sont à présent bien mitigées. Toute la peine qu’on inflige à la femme convaincue d’adultere, c’est de la priver de sa dot & de toutes ses conventions matrimoniales, & de la reléguer dans un monastere. On ne la fouette même pas, de peur que si le mari se trouvoit disposé à la reprendre, cet affront public ne l’en détournât.

Cependant les héritiers ne seroient pas reçûs à intenter contre la veuve l’action d’adultere, à l’effet de la priver de ses conventions matrimoniales. Ils pourroient seulement demander qu’elle en fût déchûe, si l’action avoit été intentée par le mari : mais il leur est permis de faire preuve de son impudicité pendant l’an du deuil, à l’effet de la priver de son doüaire. Voyez Deuil.

La femme condamnée pour adultere, ne cesse pas pour cela d’être sous la puissance du mari.

Il y eut un tems où les Lacédemoniens, loin de punir l’adultere, le permettoient, ou au moins le toléroient, à ce que nous dit Plutarque.

L’adultere rend le mariage illicite entre les deux coupables, & forme ce que les Theologiens appellent impedimentum criminis.

Les Grecs & quelques autres Chrétiens d’Orient sont dans le sentiment que l’adultere rompt le lien du mariage ; en sorte que le mari peut sans autre formalité épouser une autre femme. Mais le Concile de Trente, Session XXIV. can. 7. condamne ce sentiment, & anathématise en quelque sorte ceux qui le soûtiennent.

En Angleterre, si une femme mariée abandonne son mari pour vivre avec un adultere, elle perd son doüaire, & ne pourra pas obliger son mari à lui donner quelqu’autre pension :

Sponte virum mulier fugiens, & adultera facta,
Dote suâ careat, nisi sponso sponte retracta.
(H)

* Quelques Astronomes appellent adultere les éclipses du soleil & de la lune, lorsqu’elles arrivent d’une maniere insolite, & qu’il leur plaît de trouver irreguliere ; telles que sont les éclipses horisontales : car quoique le soleil & la lune soient diamétralement opposés alors, ils ne laissent pas de paroître tous deux au-dessus de l’horison ; ce mot n’est plus usité. Voyez Éclipse, Réfraction, &c.