Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 1.djvu/597

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

marquer le retranchement d’une voyelle à la fin d’un mot pour la facilité de la prononciation. Le signe de ce retranchement est une petite virgule que l’on met au haut de la consonne, & à la place de la voyelle qui seroit après cette consonne, s’il n’y avoit point d’apostrophe ; ainsi on écrit en Latin men’ pour mene ? tanton’ pour tantò-ne ?

....Tanton’ me crimine dignum ?

Virg. Æneid. v. 668.

....Tanton’ placuit coneurrere motu ?

Virg. Æneid. XII. v. 503.

viden’ pour vides-ne ? ain’ pour ais-ne ? dixtin’ pour dixisti-ne ? & en François grand’- messe, grand’- mere, pas grand’chose, grand’peur, &c.

Ce retranchement est plus ordinaire quand le mot suivant commence par une voyelle.

En François l’emuet ou féminin est la seule voyelle qui s’élide toûjours devant une autre voyelle, au moins dans la prononciation ; car dans l’écriture on ne marque l’élision par l’apostrophe que dans les monosyllabes je, me, te, se, le, ce, que, de, ne, & dans jusque & quoique, quoiqu’il arrive. Ailleurs on écrit l’e muet quoiqu’on ne le prononce pas : ainsi on écrit, une armée en bataille, & l’on prononce un armé en bataille.

L’a ne doit être supprimé que dans l’article & dans le pronom la, l’ame, l’église, je l’entends, pour je la entends. On dit la onzieme, ce qui est peut-être venu de ce que ce nom de nombre s’écrit souvent en chiffre, le XI. roi, la XI. lettre. Les enfans disent m’amie, & le peuple dit aussi m’amour.

L’i ne se perd que dans la conjonction si devant le pronom masculin, tant au singulier qu’au pluriel ; s’il vient, s’ils viennent, mais on dit si elles viennent.

L’u ne s’élide point, il m’a paru étonné. J’avoue que je suis toujours surpris quand je trouve dans de nouveaux livres viendra-t’il, dira-t’il : ce n’est pas là le cas de l’apostrophe, il n’y a point là de lettre élidée ; le t en ces occasions n’est qu’une lettre euphonique, pour empêcher le bâillement ou rencontre des deux voyelles ; c’est le cas du tiret ou division : on doit écrire viendra-t-il, dira-t-il. Les Protes ne lisent-ils donc point les grammaires qu’ils impriment ?

Tous nos dictionnaires François font ce mot du genre féminin ; il devroit pourtant être masculin quand il signifie ce signe qui marque la suppression d’une voyelle finale. Après tout on n’a pas occasion dans la pratique de donner un genre à ce mot en François : mais c’est une faute à ces dictionnaires quand ils font venir ce mot d’ἀποστροφὴ, qui est le nom d’une figure de Rhétorique. Les dictionnaires Latins sont plus exacts ; Martinius dit : Apostrophe. R. ἀποστροφὴ, figura Rhetoricæ ; & il ajoûte immédiatement : apostrophus, R. ἀπόστροφος, signum rejectæ vocalis. Isidore, au liv. I. de ses origines, chapitre xviij. où il parle des figures ou signes dont on se sert en écrivant, dit : apostrophos, pars circuli dextra, & ad summam litteram apposita, fit ita’, quâ notâ deesse ostenditur in sermone ultimas vocales (F)

* APOSTROPHIE, de ἀποστρέφειν, détourner, (Myth.) nom que Cadmus donna à Venus Uranie, que les Grecs révéroient, pour en obtenir la pureté de corps & d’esprit. Elle eut un temple à Rome, sous le nom de Verticorda : les femmes débauchées & les jeunes filles lui sacrifioient ; les unes pour se convertir, & les autres pour persister.

APOTACTITES ou APOTACTIQUES, s. m. pl. (Théol.) en Grec, ἀποτάκτιται, composé d’ἀπὸ & τάττω, je renonce. C’est le nom d’une secte d’anciens hérétiques, qui affectant de suivre les conseils évangéliques sur la pauvreté & les exemples des Apôtres & des premiers Chrétiens, renonçoient à tous leurs biens, meubles & immeubles. V. Apostoliques.

Il ne paroît pas qu’ils ayent donné dans aucune er-

reur, pendant que subsista leur premier état ; quelques

écrivains Ecclésiastiques nous assûrent, qu’ils eurent des martyrs & des vierges dans le quatrieme siecle, durant la persécution de Dioclétien ; mais qu’ensuite ils tomberent dans l’hérésie des Encratites, & qu’ils enseignerent que le renoncement à toutes les richesses étoit non-seulement de conseil & d’avis, mais de précepte & de nécessité. De-là vient que la sixieme loi du Code Théodosien joint les apotactiques aux Eunomiens & aux Ariens. Voyez Eunomiens & Ariens.

Selon saint Epiphane, les apotactites se servoient souvent de certains actes apocryphes de S. Thomas & de S. André, dans lesquels il est probable qu’ils avoient puisé leurs opinions. V. Apocryphe. (G)

APOTHEME, s. m. dans la Géométrie élémentaire, est la perpendiculaire menée du centre d’un polygone régulier sur un de ses côtés.

Ce mot vient du Grec ἀπὸ, ab, de, & ἵστημι, sto, pono, je pose ; apparemment comme qui diroit ligne tirée depuis le centre jusque sur le côté. (O)

APOTHÉOSE, s. f. (Hist. anc.) ou consécration ; du Grec ἀποθειν, diviniser ; elle est plus ancienne chez les Romains qu’Auguste, à qui l’on en attribue communément l’origine. M. l’Abbé Mongault a démontré que du tems de la République, on avoit institué en Grece & dans l’Asie mineure des fêtes & des jeux en l’honneur des Proconsuls Romains ; qu’on avoit même établi des sacrificateurs & des sacrifices, érigé des autels & bâti des temples, où on les honoroit comme des divinités. Ainsi les habitans de Catane en Sicile avoient consacré leur Gymnase à Marcellus ; & ceux de Chalcide associerent Titus Flaminius avec Hercule & Apollon dans la dédicace des deux principaux édifices de leur ville. Cet usage qui avoit commencé par la reconnoissance, dégénéra bien-tôt en flatterie, & les Romains l’adopterent pour leurs Empereurs. On éleva des temples à Auguste de son vivant, non dans Rome ni dans l’Italie, mais dans les provinces. Les honneurs de l’apothéose lui furent déferés après sa mort, & cela passa en coûtume pour ses successeurs. Voici les principales cérémonies qu’on y observoit.

Si-tôt que l’Empereur étoit mort, toute la ville prenoit le deuil. On ensevelissoit le corps du Prince à la maniere ordinaire, cependant avec beaucoup de pompe ; & l’on mettoit dans le vestibule du palais sur un lit d’ivoire couvert d’étoffes d’or, une figure de cire, qui représentoit parfaitement le défunt, avec un air pâle, comme s’il étoit encore malade. Le Sénat en robe de deuil restoit rangé au côté gauche du lit, pendant une grande partie du jour ; & au côté droit étoient les femmes & les filles de qualité avec de grandes robes blanches, sans colliers ni bracelets. On gardoit le même ordre sept jours de suite, pendant lesquels les Medecins s’approchoient du lit de tems en tems, & trouvoient toûjours que le malade baissoit, jusqu’à ce qu’enfin ils prononçoient qu’il étoit mort. Alors les Chevaliers Romains les plus distingués avec les plus jeunes Sénateurs le portoient sur leurs épaules par la rue qu’on nommoit sacrée jusqu’à l’ancien marché, où se trouvoit une estrade de bois peint. Sur cette estrade étoit construit un péristyle enrichi d’ivoire & d’or, sons lequel on avoit préparé un lit d’étoffes fort riches, où l’on plaçoit la figure de cire. Le nouvel Empereur, les Magistrats s’asseyoient dans la place, & les Dames sous des portiques, tandis que deux chœurs de musique chantoient les loüanges du mort ; & après que son successeur en avoit prononcé l’éloge, on transportoit le corps hors de la ville dans le champ de Mars, où se trouvoit un bucher tout dressé. C’étoit une charpente quarrée en forme de pavillon, de quatre ou cinq étages, qui alloient toûjours en dimi-