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ration sera fort douloureuse ; on perd par-là l’avantage qu’on se promettroit. Outre la cruauté d’une pareille opération, on ne seroit pas dispensé de la ligature des vaisseaux lors de la chûte de l’escarre ; tous ces inconvéniens doivent faire rejetter cette opération, & semblent confirmer un axiome reçû en Chirurgie, que les amputations doivent se faire dans la partie saine. J’ose cependant assûrer que je me suis quelquefois fort bien trouvé de suivre une route moyenne entre ces deux préceptes. J’ai fait avec succès plusieurs amputations dans la partie attaquée d’inflammation, qui sépare la partie saine de la gangrenée. Cette méthode est fondée sur la raison & sur l’expérience : lorsqu’on a emporté un membre, on doit tâcher de procurer la suppuration de la plaie, & on sait que l’inflammation est un état antécedent nécessaire à la suppuration ; on doit donc l’obtenir plus facilement en coupant le membre dans une partie déja enflammée. On sait aussi qu’il ne se fait jamais de suppuration sans fievre, & que la fievre est causée par l’inflammation : la fievre sera donc plus violente si l’on coupe le membre dans la partie saine, puisque sans calmer celle que produisoit l’inflammation qui séparoit le sain du gangrené, on en excite encore une nouvelle. Voyez Gangrene. Lorsqu’on se détermine à faire l’amputation dans la partie enflammée, il faut avoir soin de débrider les membranes ou les aponévroses ; car par l’étranglement qu’elles causent, le moignon pourroit tomber en mortification, & on regarderoit alors ce que nous venons de dire comme un précepte meurtrier, malgré les avantages décrits, auxquels se joint celui de conserver une plus grande partie du membre.

Avant que d’entreprendre l’opération, il faut disposer toutes les choses qui y sont nécessaires : le tourniquet, & tout ce qui en dépend, sera rangé sur un plat, avec les instrumens, qui consistent en un grand couteau courbe pour l’incision circulaire des chairs ; (Voyez Couteau. ) un couteau droit pour couper les chairs qui entourent les os ; une compresse fendue pour retrousser les chairs ; une scie pour scier les os, (Voyez Scie. ) & des aiguilles enfilées pour faire la ligature des vaisseaux. (Voyez Aiguille. ) Sur un autre plat seront disposées les pieces de l’appareil, de façon qu’elles se présentent les unes après les autres dans l’ordre ou l’on doit les employer : ce sont de la charpie brute ; deux petites compresses quarrées larges d’un pouce, une compresse ronde de la grandeur du moignon, une croix de Malte, trois compresses longuettes, & une bande d’une longueur convenable. Il est bon d’avoir toutes ces pieces doubles, en cas qu’on soit obligé de changer l’appareil ; il faut en outre être muni de quelques boutons d’alun crud & d’alun en poudre.

Tout étant prêt, on peut faire l’opération : il faut d’abord mettre le malade dans une situation commode pour lui, autant qu’elle peut l’être dans cette circonstance, & pour l’opérateur. Si l’on doit couper le bras ou la cuisse, le Chirurgien se mettra extérieurement, & si c’est la jambe ou l’avant bras, il se placera à la partie interne, parce que dans cette situation, il sciera plus facilement les os.

Les aides Chirurgiens doivent être placés selon les fonctions dont ils seront chargés, pendant l’opération, où il y a trois conditions essentielles à remplir. Il faut d’abord se rendre maître du sang par le moyen du tourniquet. Voyez Tourniquet. Il faut en second lieu abattre le membre selon l’art ; & en dernier lieu il faut faire la ligature des vaisseaux & appliquer l’appareil.

Pour abattre le membre, il faut le faire soûtenir au-dessus & au-dessous du lieu où se doit faire la section. Lorsque le membre est fracturé en plusieurs pieces, il doit être sur une planche ou dans une espece de

caisse ; sans cette précaution, le moindre mouvement causeroit au malade des douleurs très-aiguës, aussi cruelles que l’opération. On peut mettre immédiatement au-dessus du lieu où l’on va faire l’incision une ligature circulaire un peu serrée ; elle sert à affermir les chairs & diriger l’incision. Il faut avoir soin de retrousser la peau & les chairs avant l’application de cette ligature.

Le Chirurgien, le genou droit en terre, & le bras droit passé sous le membre qu’il va amputer, reçoit de cette main le couteau courbe qu’un aide lui présente. Il en pose le tranchant sur le membre de façon que la pointe soit du côté de la poitrine le plus inférieurement qu’il est possible. Il pince avec le doigt index & le pouce de la main gauche le dos du coûteau vers sa pointe : il est inutile de poser fortement les quatre doigts de la main gauche sur le dos du coûteau ; car ce n’est point en appuyant que les instrumens tranchans sont capables de couper, mais en sciant pour ainsi dire. Sur ce principe, qui est incontestable, on commencera l’incision circulaire en tirant le coûteau inférieurement par l’action combinée des deux mains, & ensuite on coupera en glissant circulairement autour du membre ; quand on en est à la partie supérieure, le Chirurgien se releve, & il continue de couper en faisant ce mouvement, ensorte qu’il acheve l’incision circulaire lorsqu’il est entierement debout, avec cette attention de commencer le plus inférieurement que l’on peut ; on n’est pas obligé de reporter plusieurs fois le couteau, & d’un seul tour on fait l’incision.

Quelques praticiens font l’incision circulaire en deux tems ils coupent la peau & la graisse deux travers de doigts au-dessous du lieu où ils se proposent de scier l’os ; ils font ensuite retrousser & assujettir les parties coupées pour continuer à leur niveau l’incision jusqu’à l’os. L’avantage de cette méthode est d’éviter que l’os ne déborde les chairs ; ce qui rendroit la cure fort longue, en mettant dans l’obligation de rescier la portion d’os qui fait éminence. Mais on pourroit sans rendre l’opération plus longue & plus douloureuse, obtenir cet avantage, en inclinant le tranchant du couteau vers la partie supérieure du membre, le faisant entrer obliquement de bas en haut dans les chairs. J’ai fait plusieurs fois cette opération de cette maniere : je laisse de cette premiere incision environ un pouce de chair autour de l’os, & je coupe encore obliquement avec un bistouri droit ce qui reste jusqu’au périoste exclusivement. Par cette méthode le bout de l’os est toûjours caché dans les chairs, sans que le malade ait été obligé d’acheter cet avantage par un surcroît de douleurs ; & je ménage le tranchant de mon instrument pour une autre opération. C’est une attention qu’il faut avoir, sur-tout dans les armées, où il faut beaucoup opérer avec le même instrument.

Dès que l’incision circulaire est faite, on prend le couteau droit pour couper les chairs qui restent autour de l’os, ou dans l’entre-deux à la jambe & à l’avant-bras. On a soin d’inciser le périoste ; il est inutile de le ratisser vers la partie inférieure, comme on le fait communément ; cela allonge l’opération sans produire aucun fruit. On retrousse les chairs avec la compresse fendue, & on prend ensuite la scie que l’on appuie sur l’os légerement pour faire la premiere trace. On peut aller après à plus grands coups, mais toûjours sans trop appuyer de crainte d’engager les dents dans le corps de l’os. Quand on est sur la fin, il faut aller plus doucement pour ne point faire d’éclats. Celui qui soûtient le membre doit avoir attention de ne pas le baisser, car il feroit éclater l’os ; ni de le relever, car il serreroit la scie comme dans un étau & rendroit l’opération plus difficile. Lorsqu’il y a deux os, il faut faire ensorte de finir