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LES ANCIENS CANADIENS.

pigeons, du râble et des cuisses de deux lièvres : le tout recouvert de bardes de lard gras. Le godiveau de viandes hachées, sur lequel reposaient, sur un lit épais et mollet, ces richesses gastronomiques, et qui en couvrait aussi la partie supérieure, était le produit de deux jambons de cet animal que le juif méprise, mais que le chrétien traite avec plus d’égards. De gros oignons, introduits çà et là, et de fines épices complétaient le tout. Mais un point très important en était la cuisson, d’ailleurs assez difficile, car, si le géant crevait, il perdait alors cinquante pour cent de son acabit. Pour prévenir un événement aussi déplorable, la croûte du dessous, qui recouvrait encore de trois pouces les flancs du monstre culinaire, n’avait pas moins d’un pouce d’épaisseur. Cette croûte même, imprégnée du jus de toutes ces viandes, était une partie délicieuse de ce mets unique (d).

Des poulets et des perdrix rôtis, recouverts de doubles bardes de lard, des pieds de cochon à la Sainte-Ménéhould, un civet bien différent de celui dont un hôtelier espagnol régala jadis l’infortuné Gil Blas, furent en outre les autres mets que l’hospitalité du seigneur de Beaumont put offrir à ses amis.

On mangea longtemps en silence et de grand appétit ; mais au dessert, le vieux marin, qui, tout en dévorant comme un loup affamé, et buvant en proportion, n’avait cessé de regarder Arché avec un intérêt toujours croissant, rompit le premier silence :

— Il paraît, jeune homme, dit-il d’un ton goguenard, que vous ne craignez guère les rhumes de cerveau ! Il me semble aussi que vous n’êtes pas trop pressé de respirer l’air du ciel ; que comme le castor et la loutre, vos confrères, vous ne mettez le nez hors