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LE NAUFRAGE DE “L’AUGUSTE.”

rages de rentes considérables qu’ils lui devaient, mais s’empressa plutôt de leur venir en aide en faisant reconstruire son moulin sur la rivière des Trois-Saumons, qu’il habita même plusieurs années avec sa famille, jusqu’à ce qu’il fût en moyen de construire un nouveau manoir.

C’était un bien pauvre logement que trois chambres exiguës, réservées dans un moulin, pour la famille jadis si opulente des d’Haberville ! Cependant tous supportaient avec courage les privations auxquelles ils étaient exposés ; le capitaine d’Haberville seul, tout en travaillant avec énergie, ne pouvait se résigner à la perte de sa fortune ; les chagrins le minaient ; et pendant l’espace de six ans, jamais sourire n’effleura ses lèvres. Ce ne fut que lorsque son manoir fut reconstruit, et qu’une certaine aisance reparut dans le ménage, qu’il reprit sa gaieté naturelle (c).

On était au 22 février 1762 ; il pouvait être neuf heures du soir, lorsqu’un étranger, assez mal vêtu, entra dans le moulin, et demanda l’hospitalité pour la nuit. Le capitaine d’Haberville était assis, comme de coutume lorsqu’il n’avait rien à faire, dans un coin de la chambre, la tête basse, et absorbé dans de tristes pensées. Il faut une grande force d’âme à celui qui de l’opulence est tombé dans une misère comparative, pour surmonter tout ce qu’un tel état a de poignant et d’humiliant, surtout s’il est père de famille. Il lui faut un grand courage, lorsque cette ruine n’est pas l’œuvre de son imprévoyance, de ses goûts dispendieux, de sa prodigalité, de sa mauvaise conduite, mais la conséquence inévitable d’événements qu’il n’a pu contrôler. Dans l’hypothèse contraire, les remords sont déchirants ; mais l’homme sensé dit :