des habitants mangeaient bouilli le peu de blé qu’ils avaient récolté, faute de moulin pour le moudre (a). Restait la ressource de la chasse et de la pêche, mais monsieur d’Egmont et son domestique étaient bien vieux pour se livrer à ces exercices pendant un hiver rigoureux. Mon oncle Raoul, quoique boiteux, se chargea du département des vivres. Il tendait, dans les bois, des collets pour prendre des lièvres et des perdrix, et sa charmante nièce le secondait. Elle s’était fait un costume propre à ces exercices : elle était ravissante ainsi, avec ses habits moitié sauvages et moitié français, son jupon de drap bleu qui lui descendait jusqu’à mi-jambe, ses mitasses écarlates, ses souliers de caribou ornés de rassades et de poils de porc-épic aux couleurs éclatantes et pittoresques. Elle était ravissante, lorsque, montée sur ses petites raquettes, le teint animé par l’exercice, elle arrivait à la maison avec lièvres et perdrix. Comme les habitants, dans cette grande disette, fréquentaient beaucoup le lac des Trois-Saumons, ils avaient battu sur la neige un chemin durci, qui servait au chevalier pour s’y transporter dans une traîne sauvage à l’aide d’un gros chien ; et il revenait toujours avec ample provision d’excellentes truites et de perdrix qui fréquentaient alors les montagnes du lac, et qu’il tuait au fusil. Ce gibier et ce poisson furent leur seule ressource pendant ce long hiver. La manne de tourtes qui parut le printemps sauva la colonie : elles étaient en si grand nombre qu’on les tuait à coups de bâton (b).
Lorsque le capitaine d’Haberville retourna dans sa seigneurie, il était complètement ruiné, n’ayant sauvé du naufrage que son argenterie. Il ne songea même pas à réclamer de ses censitaires appauvris, les arré-