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LES ANCIENS CANADIENS.

ment des hommes quand le songe de la vie sera passé ! Ma religion ne m’enseigne-t-elle pas que tout n’est que vanité ! Et il se courba avec résignation sous la main de Dieu.

Les trois guerriers assis en rond à une douzaine de pieds de Locheill, fumaient la pipe en silence. Les sauvages sont naturellement peu expansifs, et considèrent, d’ailleurs, les entretiens frivoles comme indignes d’hommes raisonnables ; bons, tout au plus, pour les femmes et les enfants. Cependant Talamousse, l’un d’eux, s’adressant à l’homme de l’îlot, lui dit :

— Mon frère va-t-il attendre longtemps ici les guerriers du portage ?

— Trois jours, répondit celui-ci, en élevant trois doigts : la Grand’-Loutre et Talamousse pourront partir demain avec le prisonnier : le Français ira les rejoindre au grand campement du capitaine Launière.

— C’est bien, dit la Grand’-Loutre en étendant la main vers le sud, nous allons mener le prisonnier au campement du petit Marigotte, où nous attendrons pendant trois jours mon frère avec les guerriers du portage, pour aller au grand campement du capitaine Launière (a).

De Locheill crut s’apercevoir pour la première fois que le son de voix de l’homme au bonnet de renard n’était pas le même que celui des deux autres, quoiqu’il parlât leur langue avec facilité. Il avait souffert jusque-là les tourments d’une soif brûlante sans proférer une seule parole : c’était bien le supplice de Tantale, à la vue des eaux si fraîches et si limpides du beau lac qui dormait à ses pieds ; mais sous l’impression que cet homme pouvait être un Français il se hasarda à dire :