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LÉGENDE DE MADAME D’HABERVILLE.

Et elle prêtait l’oreille en la collant sur la pierre glacée, comme si elle eût attendu une réponse. Elle tressaillait au moindre bruit, et se prenait à sangloter en découvrant que c’étaient les murmures du saule pleureur agité par l’aquilon. Et les passants disaient :

— L’herbe du cimetière, sans cesse arrosée par les larmes de la pauvre mère, devrait être toujours verte, mais ses larmes sont si amères qu’elles la dessèchent comme le soleil ardent du midi après une forte averse.

Elle pleurait assise sur les bords du ruisseau où elle l’avait menée si souvent jouer avec les cailloux et les coquilles du rivage ; où elle avait lavé tant de fois ses petits pieds dans ses ondes pures et limpides. Et les passants disaient :

— La pauvre mère verse tant de larmes qu’elle augmente le cours du ruisseau !

Elle rentrait chez elle pour pleurer dans toutes les chambres où elle avait été témoin des ébats de son enfant. Elle ouvrait une valise dans laquelle elle conservait précieusement tout ce qui lui avait appartenu : ses hardes, ses jouets, la petite coupe de vermeil dans laquelle elle lui avait donné à boire pour la dernière fois. Elle saisissait d’une main convulsive un de ses petits souliers, l’embrassait avec passion, et ses sanglots auraient attendri un cœur de diamant (b).

Elle passait une partie de la journée dans l’église du village à prier, à supplier Dieu de faire un miracle, un seul miracle pour elle : de lui rendre son enfant ! Et la voix de Dieu semblait lui répondre :

— Comme le saint roi David, tu iras trouver ton enfant un jour, mais lui ne retournera jamais vers toi.