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LE BARON DE SAINT CASTIN

La Vallière garda son exploitation à Beaubassin tout en exerçant une vague surveillance sur l’ensemble de la colonie. En 1681, Frontenac en était encore à le recommander à la cour 2 qui ne confirma son titre de gouverneur qu’en 1683. Versailles lui suscitait toutes sortes d’ennuis, appuyant, contre le gouverneur, une compagnie mercantile. Indice, à coup sûr, du sans-gêne avec lequel était traitée la colonie du golfe Saint-Laurent. On le vit mieux, en 1684, quand la France choisit, pour remplacer l’honnête La Vallière, le vaurien François Perrot, chassé du gouvernement de Montréal à cause de ses malversations.

L’absence de commandement n’empêchait pas le progrès de la colonie. Les habitants y étant habitués s’en accommodaient. S’ils voyaient avec méfiance l’arrivée d’un nouveau gouverneur, c’est qu’elle ne pouvait leur attirer que des ennuis de la part des Anglais et qu’ils avaient parfaitement appris à s’en passer. Sans soutien contre un voisin fort et entreprenant (mais d’une médiocre valeur guerrière, est-il juste d’ajouter), l’Acadie était à la merci de tous les coups de main, et nous avons vu qu’ils ne manquaient pas. Versailles s’en souciait assez peu, comptant sur sa diplomatie pour regagner le terrain perdu, et ne se préoccupant pas le moins du monde des souffrances que les invasions infligeaient à la population. Le bon peuple se tirait d’affaire, mais il savait prendre ses précautions. La crainte était son état d’âme habituel 3.

À cet égard, rien n’est révélateur comme le récit que fit le subrécargue Diéreville de son arrivée en rade de Port-Royal, au mois de septembre 1699, à bord de la frégate dite la Royale-Paix. Pendant que le capitaine parlementait avec un navire du roi, les habitants couraient porter « à leurs cachettes, dans les bois, leurs meilleurs effets. Quand nous fûmes descendus à terre, et qu’ils surent que nous étions leurs amis, nous vîmes les charrettes revenir toutes chargées » 4.

Chaque fois que paraissait une voile suspecte, les Acadiens s’enfuyaient de la sorte. L’Anglais, si Anglais il y avait, détruisait leurs maisons construites sommairement, puis se retirait. Sortis immédiatement de leurs cachettes, les habitants se remettaient à l’œuvre. C’est ainsi qu’ils firent l’Acadie, en dépit des gouvernants, de sorte qu’on a pu dire : « Seul le peuple fut grand » 5.