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CHAPITRE IV. — LA POÉSIE ALEXANDRINE

chose à la leçon qu’il a apprise chez Eudoxos, c’est tout au plus, dans son exorde, une gravité religieuse qui révèle le stoïcien, et, dans le reste du poème, quelques discrets souvenirs des vieilles légendes, quelques traces de la douceur homérique, quelques timides essais d’harmonie imitative. Ce serait une étude intéressante, mais trop longue pour être faite ici, que d’examiner de près les nombreux passages où il a servi de guide à Virgile. On saisirait aussitôt la différence profonde qui sépare l’habile versificateur du grand poète : là où le premier n’a vu qu’un thème à développer en vers précis et corrects, le second s’émeut, sent la vie des choses, tour à tour grandiose, ou douloureuse, ou aimable, et par la magie de ses peintures, nous fait entrer aussi en communion avec la divine et vivante nature[1].

Tel qu’il était cependant, avec ses qualités et ses imperfections, Aratos eut une réputation considérable. Ses qualités devaient charmer sa génération, qui ne sentait pas ses défauts ; et le monde romain à son tour subit l’influence de son grand nom. Théocrite et Callimaque, qui le connurent personnellement, l’aimèrent et l’admirèrent. Son livre devint classique. Dans un âge de culture générale étendue, beaucoup de lecteurs étaient charmés d’apprendre si vite et si agréablement tant de choses considérées comme difficiles. Même de vrais savants, comme Hipparque et Denys, le commentèrent. À Rome, Varron et Cicéron le traduisirent ; Virgile s’en inspira, mais pour le dépasser. En somme, Callimaque ne l’avait pas mal caractérisé, lorsqu’après avoir rappelé le souvenir d’Hésiode, il ajoutait : « Salut, délicates et subtiles paroles, compagnes des veilles d’Aratos[2]. »

  1. Comparer, par exemple, les signes précurseurs de La tempête, dans Aratos, v. 909-933, et dans Virgile, Géorg., I, v. 356-360.
  2. Callimaque, Épigr. 29 (Χαίρετε, λεπταὶ — ῥήσεις, Ἀράτου σύγγονοι ἀγρυπνίης).