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Il se fait des sujets de trouble et de tristesse ?
J’aime ailleurs.

ORMÈNE.

J’aime ailleurs.Vous, Madame ?

EURYDICE.

15J’aime ailleurs.Vous, Madame ?Ormène, je l’ai tu
Tant que j’ai pu me rendre à toute ma vertu.
N’espérant jamais voir l’amant qui m’a charmée,
Ma flamme dans mon cœur se tenoit renfermée :
L’absence et la raison sembloient la dissiper ;
20Le manque d’espoir même aidoit à me tromper.
Je crus ce cœur tranquille, et mon devoir sévère
Le préparoit sans peine aux lois du Roi mon père,
Au choix qui lui plairoit. Mais, ô Dieux ! quel tourment,
S’il faut prendre un époux aux yeux de cet amant !

ORMÈNE.

Aux yeux de votre amant !

EURYDICE.

25Aux yeux de votre amant !Il est temps de te dire
Et quel malheur m’accable, et pour qui je soupire.
Le mal qui s’évapore en devient plus léger,
Et le mien avec toi cherche à se soulager.
Quand l’avare Crassus[1], chef des troupes romaines,
30Entreprit de dompter les Parthes dans leurs plaines,
Tu sais que de mon père il brigua le secours ;
Qu’Orode en fit autant au bout de quelques jours ;
Que pour ambassadeur il prit ce héros même,
Qui l’avoit su venger et rendre au diadème[2].

ORMÈNE.

35Oui, je vis Suréna vous parler pour son roi,

  1. « On blasme aussi grandement les occupations ausquelles il vaqua pendant qu’il fut de seiour en la Syrie, comme tenant plus du marchand que du capitaine, » (Plutarque, Vie de Crassus, chapitre xvii, traduction d’Amyot.)
  2. Voyez plus haut, p. 462, note 6.