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On lui doit des honneurs, des titres sans exemples ;
Mais enfin elle est reine, elle abhorre nos temples,
Et sert un Dieu jaloux qui ne peut endurer
1070Qu’aucun autre que lui se fasse révérer ;
Elle traite à nos yeux les nôtres de fantômes.
On peut lui prodiguer des villes, des royaumes :
Il est des rois pour elle ; et déjà Polémon[1]
De ce Dieu qu’elle adore invoque le seul nom ;
1075Des nôtres pour lui plaire il dédaigne le culte :
Qu’elle règne avec lui sans nous faire d’insulte.
Si ce trône et le sien ne lui suffisent pas,
Rome est prête d’y joindre encor d’autres États[2],
Et de faire éclater avec magnificence
1080Un juste et plein effet de sa reconnoissance. »

BÉRÉNICE.

Qu’elle répande ailleurs ces effets éclatants,
Et ne m’enlève point le seul où je prétends.
Elle n’a point de part en ce que je mérite :
Elle ne me doit rien, je n’ai servi que Tite.
1085Si j’ai vu sans douleur mon pays désolé,
C’est à Tite, à lui seul, que j’ai tout immolé ;
Sans lui, sans l’espérance à mon amour offerte,
J’aurais servi Solyme, ou péri dans sa perte ;
Et quand Rome s’efforce à m’arracher son cœur,
1090Elle sert le courroux d’un Dieu juste vengeur.
Mais achevez, Philon ; ne dit-on autre chose ?

PHILON.

On parle des périls où votre amour l’expose :

  1. Voyez plus haut, p. 194, note, et p. 216, vers 381. L’historien Josèphe raconte au livre XX de ses Antiquités judaïques, chapitre VII, 3, que Polémon, pour épouser Bérénice, se fit circoncire ; puis que Bérénice l’ayant quitté fort peu de temps après le mariage, il renonça à la religion juive.
  2. Dans la Bérénice de Racine (acte II, scène II, et acte III, scène i), il s’agit d’un semblable témoignage de reconnaissance, de l’agrandissement des États de Bérénice.