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Préféra… Tu le sais, et c’est assez t’en dire[1].
45C’est par cet intérêt qu’il m’apporte sa foi ;
Mais pour le cœur, te dis-je, il n’est pas tout à moi.

PLAUTINE.

La chose est bien égale, il n’a pas tout le vôtre :
S’il aime un autre objet, vous en aimez un autre ;
Et comme sa raison vous donne tous ses vœux,
50Votre ardeur pour son rang fait pour lui tous vos feux.

DOMITIE.

Ne dis point qu’entre nous la chose soit égale.
Un divorce avec moi n’a rien qui le ravale :
Sans avilir son sort, il me renvoie au mien ;
Et du rang qui lui reste, il ne me reste rien.

PLAUTINE.

55Que ce que vous avez d’ambitieux caprice,
Pardonnez-moi ce mot, vous fait un dur supplice !
Le cœur rempli d’amour, vous prenez un époux,
Sans en avoir pour lui, sans qu’il en ait pour vous.
Aimez pour être aimée, et montrez-lui vous-même,
60En l’aimant comme il faut, comme il faut qu’il vous aime ;
Et si vous vous aimez, gagnez sur vous ce point
De vous donner entière, ou ne vous donnez point.

DOMITIE.

Si l’amour quelquefois souffre qu’on le contraigne,
Il souffre rarement qu’une autre ardeur l’éteigne ;
65Et quand l’ambition en met l’empire à bas,
Elle en fait son esclave, et ne l’étouffe pas.
Mais un si fier esclave, ennemi de sa chaîne,
La secoue à toute heure, et la porte avec gêne,

  1. Voyez ci-après, p. 204, les vers 87-91 et la note. — Dion Cassius (livre LXII, chapitre xxiii) rapporte que Corbulon, ayant un grand pouvoir comme général, et une grande renommée, aurait pu fort aisément se faire élire empereur, car tous haïssaient Néron et tous l’admiraient lui-même ; mais il demeura soumis, et ne tenta point de révolte.