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Scène V[1]

GRIMOALD, RODELINDE, GARIBALDE, UNULPHE.
GRIMOALD.

Madame, il est donc vrai que votre âme sensible[2].
À la compassion s’est rendue accessible ;
625Qu’elle fait succéder dans ce cœur plus humain
La douceur à la haine et l’estime au dédain,
Et que laissant agir une bonté cachée,
À de si longs mépris elle s’est arrachée[3] ?

RODELINDE.

Ce cœur dont tu te plains, de ta plainte est surpris :
630Comte, je n’eus pour toi jamais aucun mépris ;
Et ma haine elle-même auroit cru faire un crime
De t’avoir dérobé ce qu’on te doit d’estime.
Quand je vois ta conduite en mes propres États
Achever sur les cœurs l’ouvrage de ton bras,
635Avec ces mêmes cœurs qu’un si grand art te donne
Je dis que la vertu règne dans ta personne ;
Avec eux je te loue, et je doute avec eux
Si sous leur vrai monarque ils seroient plus heureux :
Tant ces hautes vertus qui fondent ta puissance
640Réparent ce qui manque à l’heur de ta naissance !
Mais quoi qu’on en ait vu d’admirable et de grand,
Ce que m’en dit Unulphe aujourd’hui me surprend.
Un vainqueur dans le trône, un conquérant qu’on aime,
Faisant justice à tous, se la fait à soi-même !

  1. Voyez ci-dessus la fin de la note 1 de la p. 36.
  2. Var. Madame, est-il donc vrai que votre âme sensible. (1653-56)
  3. L’édition de 1682 donne attachée, pour arrachée ; c’est une faute évidente, et nous ne la mentionnons que parce qu’elle a été reproduite dans l’impression de 1692.