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champ fut-il avec raison appelé ainsi. Et Judas, qui en fournit le prix, quoiqu’il ne l’ait pas lui-même acheté, doit être justement considéré comme la cause d’une si grande désolation. Or, une étude sérieuse des faits nous montre que cette première désolation fut le principe de toutes celles qui accablèrent les Juifs. Eh ! ne savons-nous pas que la famine en fit périr des milliers, et que la guerre en moissonna un si grand nombre, que Jérusalem devint le cimetière des étrangers et des soldats ? Bien plus, on dédaignait d’enterrer les cadavres, parce qu’on les jugeait comme indignes des honneurs de la sépulture.
« Il faut », dit saint Pierre, « que parmi ceux qui se sont unis à nous ». Observez avec quel soin il veut des témoins oculaires, quoiqu’il sût bien que l’Esprit-Saint devait leur être envoyé, et qu’il y attachât une grande importance. « Qui se sont unis à nous pendant tout le temps que le Seigneur Jésus a vécu au milieu de nous ». Cette dernière parole signifie que les apôtres avaient habité avec lui, et qu’ils avaient été plus que ses disciples. Car, dès le commencement, plusieurs le suivaient, comme nous l’apprenons de l’évangéliste qui nous dit « qu’André, frère de Simon Pierre, était l’un des deux disciples qui avaient en« tendu Jean et qui avaient suivi Jésus ». (Jn. 1, 40) « Pendant tout le temps », poursuit l’apôtre, « que le Seigneur Jésus a vécu au milieu de nous, à commencer depuis le baptême de Jean ». Il précise avec raison cette époque, parce que l’Esprit-Saint leur avait seul révélé les mystères qui avaient précédé, et qui échappaient à la connaissance des hommes. « Jusqu’au jour où il a été enlevé du milieu de nous, on en choisisse un qui soit avec nous témoin de sa résurrection ». Il ne dit pas, un témoin de tous les miracles de Jésus-Christ, mais seulement un témoin de sa résurrection, parce qu’il avait droit à être cru sur tous les autres faits, celui qui pouvait dire : Ce Jésus, qui buvait et qui mangeait avec nous, et qui a été crucifié, est le même qui est ressuscité. Ainsi, il cherche, non un disciple qui ait vu les faits qui ont précédé ou suivi la résurrection, mais qui puisse rendre témoignage de celle-ci. Car les autres faits étaient publics et évidents, tandis que la résurrection s’était opérée comme en secret, et n’était connue que d’un petit nombre. Remarquez encore que les apôtres ne disent point : des anges nous l’ont affirmée, mais nous l’avons vue. Eh ! quelle preuve nous en donnez-vous ? Les miracles que nous faisons. Ils étaient donc des témoins entièrement dignes de foi.
« Alors, ils en présentèrent deux ». Et pourquoi pas un plus grand nombre ? Pour ne pas augmenter le trouble des esprits, et circonscrire l’élection. Ce n’est pas non plus sans raison que saint Luc ne place Matthias qu’au second rang ; cela prouve que souvent celui qui est prééminent devant les hommes, est bien petit devant Dieu. Et se mettant en prière, ils dirent : « Seigneur, vous qui connaissez les cœurs de tous les hommes, montrez-nous lequel des deux vous avez choisi ». Vous, Seigneur, disent-ils, et non pas nous. Et ils rappellent bien à propos qu’il connaît les cœurs, car c’est lui seul, et non les hommes, qui doit faire l’élection. Tous les disciples priaient donc avec une entière confiance, car il fallait absolument que l’un des deux fût choisi. Et ils ne disent pas : choisissez, Seigneur ; mais « montrez-nous lequel des deux vous avez choisi » ; parce qu’ils n’ignoraient pas le dogme de la prescience divine. « Pour prendre place dans ce ministère et l’apostolat ». C’est qu’en dehors de l’apostolat, il y avait un autre ministère. « Et ils les tirèrent au sort ». Ils s’en rapportèrent à ce signe de la volonté divine, se jugeant indignes de faire eux-mêmes l’élection.
4. L’histoire de Jonas nous apprend que sans égard à l’indignité des consultants, qui ne songeaient pas même à prier, le Seigneur dirigea le sort parce qu’ils agissaient de bonne foi. Mais ici cette direction ne pouvait leur faire défaut, puisqu’il s’agissait de compléter le chœur des apôtres et d’en parfaire le nombre sacré. Joseph ne murmura point de son exclusion, car, les apôtres ne nous l’eussent pas caché, eux qui nous ont rapporté les actes nombreux de murmures auxquels les principaux d’entre eux se laissèrent souvent entraîner. Imitons le silence de ce juste. Je ne le dis pas à tous, mais à ceux qui recherchent les dignités. Si vous croyez que le choix vient de Dieu, pourquoi murmurer ? Vous vous irritez et vous murmurez contre Dieu même, puisque c’est lui qui a fait ce choix. Or, dans ces circonstances, la jalousie et le murmure rappelleraient la conduite de Caïn. Celui-ci éprouva un vif ressentiment de ce que le sacrifice de son frère était plus agréable au